Le miracle des urnes ou l'oracle de la démocratie.

 

     En République centrafricaine, la donne vient de changer. Le 27 décembre dernier, malgré les menaces et les intimidations, une poignée de citoyens ont bravé les contraintes pour aller voter. Ils ont au premier tour choisi le président sortant à 53,92 % des voix exprimées. Depuis, l'espace politique a changé de dimensions.

 

1 – L'agence nationale des élections se recycle.

Adieu Madame Marie-Madeleine Hoovaert, bienvenue M. Mathias Barthélémy Morouba. Avocat au barreau de Centrafrique, Maître Morouba qui se prévaut du titre de docteur, est désormais le président de l'ANE. Ancien candidat aux élections présidentielles de décembre 2015, qui a vu la victoire de Faustin-Archange Touadéra, l'impétrant connaît bien les arcanes de la démocratie centrafricaine et ses pièges.

L'homme a le physique d'un lutteur de sumo et paraît difficile à déstabiliser. On espère donc que sa présidence sera moins tortueuse que celle qui vient de s'achever. Les prochaines échéances nous éclaireront.

 

2 – Le procès en annulation !

Annulation ! Qui a dit annulation ? Je n'ai pas dit annulation. Les élections du 27 décembre 2020 se sont soldées par la victoire de Faustin-Archange Touadéra dès la sortie des urnes.

A Paris, malgré le froid et la pluie glacée, 800 personnes se sont déplacées jusqu'au 30, rue des Perchamps, au siège de l'ambassade centrafricaine, pour accomplir leur devoir. Sur l'ensemble du territoire, malgré le terrorisme intérieur, 700.000 électeurs ont pu voter sur 1.858.436 inscrits, soit un taux de participation de 37 % ou, mieux, un taux d'abstention de 63 %, équivalent au taux d'abstention observé aux dernières élections municipales en France (1).

Pourtant, dix candidats de l'opposition démocratique, dont les deux principaux leaders arrivés en tête des battus, réclament l'annulation des résultats de ces scrutins, tels que publiés par l'ANE. Ils ont introduit un recours collectif devant la Cour constitutionnelle en invoquant : de nombreuses dérogations accordées à des électeurs pour voter ailleurs que dans leur circonscription, des procès-verbaux non remis à leurs représentants, des fraudes massives, l'insécurité, etc.

Ces risques, ils les connaissaient ; ce qui ne les a pas empêchés de se précipiter pour se présenter, en dépit des conseils contraires (2).

Ce recours collectif a des précédents, en 2005, en 2010 voire même en 1999. Ils n'ont pas prospéré. On doute fort que la Cour constitutionnelle se renie, les conditions matérielles de ces scrutins ayant été jugées crédibles par les observateurs.

 

3 – Des législatives en suspension.

S'il ne fait pas de doute que le résultat de la présidentielle soit jugé sincère malgré les couacs invoqués par l'opposition, il n'en va pas de même pour les législatives. En effet, ces scrutins présentent un caractère plus disparate : sur 71 sous-préfectures, 29 n'ont pas voté et, dans dix autres sous-préfectures, ces votes sont partiels ou nuls car certaines urnes ont été vandalisées.

Deux options se présentent à la Cour constitutionnelle :

-        soit valider les résultats du premier tour et organiser le second tour aux dates prévues (14 février 2021) en y incluant les démembrements qui n'ont pas pu s'exprimer (3) ;

-        soit invalider ces législatives et les reporter aux dates retenues pour les partielles éventuelles (avril-juin 2021).

Chacune de ces deux options a ses avantages et ses inconvénients. La première option a le mérite de la continuité constitutionnelle, mais le désavantage d'organiser des élections perlées qui désorganiseraient le travail parlementaire. La deuxième formule a l'avantage de la cohérence, mais oblige le président élu, qui sera investi le 30 mars 2021, à gouverner par ordonnances ; ce qui en fait un « petit dictateur » ! L'avenir du pays se vivra alors en suspension … entre le miracle de l'élection présidentielle et les oracles de la démocratie représentative.

Paris, le 14 janvier 2021

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

 

(1)   – Beaucoup d’électeurs se sont abstenus, même lorsque leur sécurité n’était pas en danger, au prétexte que tous les candidats à la présidentielle se valent, aucun n’ayant apporté quoi que ce soit à la bonne gouvernance du pays. A l’étranger, l’abstention est la conséquence de l’existence d’un seul bureau de vote (Paris pour toute la Franc, où les élections se sont déroulées dans un excellent état d’esprit général et une bonne organisation).

(2)   – Prosper INDO : « Il faut reporter les élections à une date convenable », 6/10.2020, in Sangonet Centrafrique.

(3)   - Le 13 août 2021 à l’aube, des éléments armés de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) ont tenté de prendre d’assaut la ville de Bangui, capitale de la RCA. L’attaque a été repoussée. La coalition est constituée par les différents membres des groupes terroristes signataires des accords de Khartoum, lesquels ont donné leur accord pour la tenue des élections avant de se dédire et de se retirer de l’APPRCA. Il n’est pas dit qu’ils ne recommencent.