Pourquoi ça recommence en Centrafrique !
Pourquoi la crise se perpétue en Centrafrique ? Les causes sont évidentes, multiples et multiformes.
D’aucuns les enveloppent dans un terme générique : la mal gouvernance. Ce concept ne veut rien dire s’il n’est pas explicité. Il ne s’agit pas seulement de mauvaise gestion, au sens comptable et financier, qui laisse à penser que les autorités locales détournent les fonds publics ou ne savent pas exercer un meilleur contrôle sur les circuits économiques et financiers. En réalité, la mal gouvernance suppose trois conditions cumulatives :
- Une mauvaise appréciation de la situation générale réelle, c’est-à-dire un défaut de diagnostic réaliste et fiable de l’existant.
- Le diagnostic de l’existant étant faussé, les objectifs retenus sont erronés. Les éléments subjectifs prennent le pas sur les éléments objectifs ; les premiers devenant prioritaires à la place des seconds, relégués au rang d’objectifs subsidiaires.
- Fausse appréciation de l’existant et objectifs irréalistes conduisent à prendre des mesures inappropriées ou des décisions circonstancielles inadaptées ; c’est alors un choix de mauvaise stratégie.
1 – Un mauvais
diagnostic.
Pendant longtemps, s’agissant de la sécurité du territoire, les différentes autorités politiques centrafricaines ont nié les risques réels de déstabilisation du pays. Pour elles, l’insécurité est le fait de coupeurs de route, les « zaraguinas », voleurs de bétail et détrousseurs de voyageurs.
Pour faire bonne mesure et donner le change, ces autorités se sont souvent contentées de dépêcher sur les zones concernées des soldats des forces armées centrafricaines (FACA), mal renseignés, mal équipés et mal préparés à leurs missions. Comme de plus, ces soldats étaient mal payés, ils ont terrorisés les populations locales en pratiquant la politique de la terre brûlée.
En réalité, les coupeurs de route sont des bandes organisées et endoctrinées, constituées en commandos d’avitaillement, pour se procurer de la nourriture et les moyens d’acquérir des armes et munitions. Certaines bandes se sont spécialisées dans l’enlèvement et la prise en otages des enfants contre rançon ; à défaut de règlement, elles en font des enfants soldats.
On retrouve parmi ces « zaraguinas », d’anciens miliciens des précédentes dictatures ou d’anciens militaires démobilisés ou radiés de l’armée. Il s’agit donc bien de rébellion ou de mouvements insurrectionnels – nous éviterons de parler de terrorisme, tant ce mot est désormais entaché de subjectivité. Ce n’est donc pas une politique de simple police ou de maintien de l’ordre public qui en viendrait à bout.
2 – Une mauvaise définition des
priorités.
Le diagnostic de l’existant étant faussé, l’objectif fixé est erroné : on choisit de verser des écots en échange de la restitution des armements individuels. Ce faisant, les sommes distribuées constituent des trésors de guerre, permettant d’acquérir des armes lourdes, de s’équiper militairement, d’assurer une logistique conséquente, et de mener des opérations de propagande et de communication de grandes envergures.
Les chefs rebelles ainsi financés ont pris la destination de Bamako, Cotonou, Lomé ou Libreville, voire Paris, afin de se faire connaître et reconnaître comme interlocuteurs privilégiés d’une situation de crise politique.
Finalement, pour acheter la paix civile, les autorités sont contraintes de négocier une amnistie générale, au risque d’accorder l’impunité à des criminels et assassins.
Bien au contraire, l’objectif principal doit être de rétablir l’autorité de l’Etat, dans toutes ses composantes et sur toute l’étendue du territoire. Cette reprise en main, qui exige fermeté et respect des principes républicains, consiste à raffermir l’autorité des préfets, des administrateurs territoriaux et des élus locaux, en leur accordant les moyens nécessaires pour mener à bien leurs missions d’arbitrage et de bonne gestion de la chose publique.
La reprise en main suppose que soient fermement sanctionnés les fauteurs des délits et crimes de toute nature.
Pour cela, il faut créer et renforcer un véritable corps de police judiciaire ; assurer la promotion et garantir l’indépendance de la magistrature (il convient à ce titre de dissoudre l’école nationale d’administration et de la magistrature en créant deux entités spécifiques, l’une pour les fonctionnaires, l’autre pour les magistrats) ; sécuriser et moderniser les espaces juridiques de détention ; spécialiser et asseoir la responsabilité des comptables publics ; etc.
En un mot, l’organisation et l’organigramme des services de l’Etat doivent être repensés.
3 – Une stratégie erronée.
L’objectif consiste à mieux maîtriser les circuits monétaires et financiers de l’économie, ainsi que la régulation sociale de celle-ci.
La bonne gouvernance en ce domaine impose à l’Etat de mettre en place une politique de promotion et d’incitation des investissements directs, publics ou privés ; de favoriser le désenclavement du territoire en observant une politique volontariste de développement des infrastructures de communication.
Il faut donc garantir la libre entreprise afin d’asseoir une économie viable. En contrepartie, l’Etat doit mieux contrôler les arbitragistes ; lutter contre l’économie informelle ; combattre les fraudes fiscales ainsi que la délinquance à col blanc ; s’attaquer aux monopoles injustifiés, aux barrières commerciales ou industrielles ; dénoncer les situations de rentes ou les entreprises de spéculation.
Il n’y a pas que la mal gouvernance qui obère l’avenir de la république Centrafricaine. Il faut ici dénoncer la culture de l’assistanat – la mendicité d’Etat - et le business humanitaire.
L’humanitaire, qui s’inscrit désormais comme la forme ultime des situations de guerre, est devenue une affaire, et emprunte beaucoup aux mondes des affaires ! L’assistanat international en est la forme achevée.
Partout où l’ONU installe ses troupes, le statu quo devient un modus vivendi. Les troupes onusiennes n’ont jamais quitté un théâtre d’opérations. Elles sont toujours présentes à Chypre, au Liban, en Haïti, au Sierra Leone, au Congo. Là où elles sont absentes, la relève est assurée par quelques forces de coalition. Une paix armée s’installe et se perpétue. Elle favorise l’émergence d’une économie souterraine autarcique.
La même analyse vaut pour la présence des organisations non gouvernementales. Celles-ci sont devenues la caution morale du statu quo.
Elles s’installent dans la durée et deviennent les réceptacles des subventions des Etats-nations et des organismes internationaux.
Les organisations non gouvernementales ont ainsi leurs propres permanents, lesquels jouissent d’un quasi statut de fonctionnaires humanitaires. Leurs structures se renforcent et s’internationalisent, au point que les frais de personnels engloutissent 75% de leur budget de fonctionnement.
Sur le terrain, l’Etat-nation et ses institutions s’organisent autour de ces verrues : les participants aux colloques et symposium perçoivent des per diem, touchent des frais de missions, engrangent des indemnités de déplacements. Ces émoluments servent à recruter de nouveaux miliciens ou à renforcer l’armement des bandes qu’ils contrôlent.
Chaque partie en présence y trouve son compte, développe sa stratégie propre et consolide son pré carré spécifique
En Centrafrique, l’ONU est présente sous la forme d’un bureau permanent.
Le bureau des Nations unies en Centrafrique (BONUCA) est une structure de veille ! Cette structure est secondée par les forces de la FOMUC, contingent militaire de 300 hommes mis à la disposition de l’ONU par les Etats membres de la CEMAC (communauté économique et monétaire en Afrique centrale).
La présence de la FOMUC et du BONUCA n’empêche pas l’insécurité de prospérer, ni les autorités politiques locales de vaquer aux affaires courantes, c’est-à-dire qu’elles s’occupent à négocier des subventions, prêts ou assistance pour financer des projets qui ne verront pas le jour, du fait de l’insécurité !
Pour renforcer sa présence sur le terrain, l’ONU vient de décider d’établir des bureaux de coordination dans les zones isolées « afin de réunir plus d’organisations humanitaires et de soutenir leurs opérations » !
Pour mettre un terme à une situation de crise qui perdure depuis 1996, que l’on qualifierait d’ubuesque pantalonnade si elle n’avait pas mis 1 million de personnes sur les routes de l’exil ou du déplacement intérieur, il y faut un Président de la République, un vrai, convaincu du seul souci de l’intérêt général et non de son prestige et de ses gains personnels.
A y regarder de près, l’actuel hôte du Palais de la Renaissance, n’est pas de cette nature désintéressée, lui qui arbore des chemisettes à son effigie.
Paris, 10 septembre 2011
P. INDO