Très en colère !

 

          Un article récent du magazine Jeune Afrique (n° 3068 du 27/10 au 9/11/2019) est passé inaperçu aux yeux du grand public. Publié à la rubrique Confidentiel (p. 11), ce document traite des rémunérations et indemnités versées aux anciens dignitaires ivoiriens.

On apprend ainsi que Guillaume Soro perçoit 3 375 374 francs CFA par mois en qualité d'ex-premier ministre, 6 250 648 FCFA pour ses six derniers mois de président de l'Assemblée nationale, qui s'ajoutent à ses 2 209 648 FCFA de salaire mensuel de député. De son côté, M. Konan Bédié reçoit chaque mois la somme cumulée de 23 835 328 FCFA représentant ses indemnités d'ancien président de la République et d'ancien premier ministre. Enfin l'ancien chef de l’État ivoirien Laurent Gbagbo se plaint de n'être point défrayé de ses émoluments d'ancien président de la République qui s'élèvent à la modique somme de … 9 584 580 francs CFA par mois, auxquels il convient d'ajouter 7 500 000 francs CFA mensuels de frais de transport, de carburant, d'électricité et de téléphone.

Il s'agit à l'évidence de rentes viagères, dans un pays où 68 %  de la population vit sous le seuil mondial de pauvreté, avec moins d'un euro et vingt centimes par jour (787 francs CFA), soit le prix d'un petit noir au comptoir d'un zinc parisien. Vous avez dit choquant ? Oui, choquant !

 

1 – La dérive singulière de la RCA.

 

          Une autre dérive singulière s'observe en République centrafricaine. Ainsi l’ancien premier ministre Sarandji aurait touché un milliard de francs CFA de primes de départ pour abandonner son poste, conséquence de l'accord de Khartoum signé le 6 février 2019 entre le gouvernement et les groupuscules armés. Cependant, au lieu de se retirer sur l'Aventin, l'ex chef de gouvernement est nommé ministre d’État conseiller à la présidence de la République, pour exercer les fonctions de coordonnateur général du mouvement des Cœurs unis (MCU), le parti du président Touadéra. Le permanent d'un parti politique est rémunéré sur fonds publics ; un exemple avéré d'abus de biens sociaux.

A la suite de l’accord de Khartoum, les différents partis politiques membres de la majorité présidentielle prennent leur distance, le KNK de François Bozizé, le MLPC de Martin Ziguélé et le RDC de Désiré Kolingba. Le retrait de ces partis prive le pouvoir de majorité parlementaire. Incapable de dissoudre l'Assemblée nationale,  le président Touadéra s'emploie désormais à courtiser les représentants des partis concernés et les encourage à faire défection, pour un million de francs CFA par transfuge. Députés de la nation ils sont, clament corrupteurs et corrompus, au risque de courir le risque d’un délit d’abus de confiance.

Cette politique d'achat des consciences est une plaie du système démocratique centrafricain où la myriade de partis politiques sert de martingale à leurs dirigeants respectifs.

On pense à la devise du pays : Unité, Dignité, Travail.

L'unité du pays a volé en éclat, sous les coups de boutoir des différents groupes armés. Le travail n'est le souci de personne, dans un pays où chacun spécule sur les aides internationales, d’où qu’elles viennent ; « il y a de la place pour tout le monde », argumente le président Touadéra. Dans un tel contexte, la dignité est une notion évanescente, éthérée, évaporée, qui ne signifie rien pour des dirigeants veules et cupides, rapaces vivant sur le dos de leurs concitoyens comme tiques sur peau de vaches ; même s'ils se targuent d'être des hommes d'église, diacres ou pasteurs !

Qui a dit pays de merde ? Non, je n'ai pas dit pays de merde. Je suis juste très en colère !

Car ces attitudes et comportements ont une conséquence fâcheuse pour la réputation du pays : la propension de ses élites, et en particulier celles du ministère des affaires étrangères, à s’attacher la sympathie, contre rétribution, de quelques Etats fantoches en panne de reconnaissance internationale ou à bâiller porte ouverte à des principautés folkloriques, aux représentants desquels ont distribuent des passeports diplomatiques.

 

2 – L’outil usager de l’ONU.

 

     C’est dans les circonstances ci-dessus énumérées que le Conseil de sécurité de l’organisation des Nations unies vient, à la demande de la France – à en croire la représentante de ce pays – de voter la prolongation de la mission intégrée des nations unies pour la sécurisation du Centrafrique (Minusca). La résolution 2499 votée à l’unanimité, qui apporte son soutien à l’actuel chef de l’Etat centrafricain Faustin Touadéra, étend également le mandat des Casques bleus à la préparation et à l’organisation logistique des élections présidentielles et législatives de 2020/2021 (1).

Celles-ci se tiendront donc dans un contexte de partition de fait du pays. On voit mal en effet le gouvernement actuel désarmé et démantelé les groupes armés, lesquels contrôlent les trois-quarts du territoire.

Une paix armée règnera, sans réconciliation et sans justice, au sein de laquelle prospéreront divers trafiquants, mercenaires et autres mafieux réunis, au grand désespoir du peuple centrafricain (2).

A l’évidence, la caisse à outils de l’ONU est devenue obsolète, inopérante et inappropriée.

 

3 – La maison de Satan.

 

     On se souvient de l’exclamation de Danton marchant vers l’échafaud : « Malheur aux hommes forts et aimés du peuple ; longue vie aux médiocres » !

Ce mot de profond dépit pourrait accompagner l’histoire récente de la RCA, tant celle-ci fut l’œuvre d’individus obscurs et velléitaires. Ces derniers ont transformé le pays en un repaire de brigands, de corrompus et de dépravés, du haut jusqu’au bas de la société. La République centrafricaine est ainsi devenue la Maison de Satan. D’un côté, le pouvoir s’acharne à financer les responsables des groupes armés en créant des postes virtuels ou fictifs au gouvernement et dans la haute administration ; de l’autre, il pourfend les partis de l’opposition démocratique en suscitant les désertions en leur sein, au prix de multiples entorses au code de la moralité politique et des règles de gestion budgétaire.

Dans ces conditions, l’année 2020 ne sera donc pas celle du relèvement politique et socio-économique, mais celle d’une exploitation forcenée des richesses naturelles du pays, avant liquidation. Entre temps, le président, ses conseillers et ses ministres, auront réuni les moyens de faire petite fortune avant de prendre la route de l’exil.

 

Paris, le 18 novembre 2019

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

Consultant international.

 

(1)   – Il s’agit d’interdire au pouvoir centrafricain d’invoquer l’absence de ressources financières et matérielles pour repousser les différents scrutins, alors que le Code électoral impose au gouvernement de provisionner chaque année les besoins en financement des élections. L’objectif est d’éviter une nouvelle transition institutionnelle. Cependant, le soutien de la Minusca ne garantit pas la transparence et la sincérité de ces scrutins, comme le prouve les élections organisées par l’OTAN en Afghanistan ou en Irak.

(2)   – Déjà la Russie, qui va présider le processus de Kimberley en 2020, propose la levée de l’embargo sur les diamants centrafricains, sans doute dans la perspective de la mise en exploitation des concessions concédées par l’Etat centrafricain à la société Wagner.