Bruxelles, la nouvelle Babylone.

 

 

Le vice-secrétaire général de l'Onu, Jan Eliasson, était à Bangui le mardi 2 novembre 2016. Il a rencontré le chef de l'Etat et tenu un discours en direction des parlementaires centrafricains à la tribune de l'Assemblée nationale.

Il faut que la situation soit assez critique sur le terrain pour que le second de Ban Ki-Moon se soit déplacé ; sans doute pour conforter ses troupes et les remobiliser, mais très certainement pour éteindre les foyers de grogne contre la Minusca.

Jan Eliasson a profité de ce séjour pour se rendre PK5 (« Je suis venu recueillir vos doléances pour les transmettre à Bruxelles ») et au camp des déplacés de l'aéroport de Bangui-M'Poko (« Ayez espoir. La communauté internationale fera tout pour vous aider à vous en sortir »).

 

De son côté, le président Faustin Touadéra, qui était à Luanda, a sollicité le renfort de son homologue angolais, Eduardo Dos Santos, et l'a invité à la Table ronde de Bruxelles, pour l'aider à faire sauter le verrou de l'embargo sur les armes décidé par l'Onu, signifiant ainsi l'inefficacité de son propre gouvernement sur ce dossier sensible.

 

C'est donc dans la capitale fédérale belge que sera examiné le 17 novembre prochain, le « plan de relèvement et de consolidation de la paix en Centrafrique » (PRCPCA).

Ainsi, Bruxelles devient la nouvelle Babylone (1).

 

1 - Une nouvelle feuille de route.

 

Elaboré par l'Organisation des Nations Unies, l'Union européenne et la Banque mondiale, le plan de relèvement poursuit trois objectifs et vise à satisfaire onze priorités. Il est destiné à couvrir le quinquennat qui s'ouvre et va courir jusqu'en 2021. S'il est adopté, ce document servira de nouvelle feuille de route aux autorités politiques centrafricaines.

 

Concrètement, les besoins de financement exprimés par le PRCPCA s'élèvent à 3,116 milliards de dollars américains (nous ne ferons pas la conversion en franc cfa pour ne pas exciter les esprits cupides).

Ce financement est décliné, année par année, selon les trois objectifs visés ci-dessous :

 

-        restaurer la paix, la sécurité et la réconciliation = 461 millions $,

-        renouveler le contrat social entre l'Etat et la population = 1,326 milliards $,

-        promouvoir le relèvement économique et la relance des secteurs productifs = 1,224 milliards $.

Chaque objectif est à son tour divisé en trois ou quatre priorités qui, elles-mêmes, seront découpées en actions ou projets concrets. Pour l'exercice 2017, le montant estimé des besoins de financement s'élève à 406 millions de dollars (117 pour la sécurité, 200 pour le contrat social, 58 pour le relèvement économique).

On peut formuler quelques observations préliminaires de cette procédure.

 

-        On espère que ces découpages séquentiels auront un effet cumulatif d'entraînement (effet boule de neige) qui emportera l'adhésion de tout le peuple en faveur des objectifs visés ;

-        On suppute que les investissements associés à chaque priorité et aux actions correspondantes auront un effet multiplicateur pour l'économie, à travers les revenus qui seront distribués, directement ou indirectement.

 

Cependant, on ne s'interdira pas d'avancer quelques réserves. La première concerne le montant global qui sera finalement octroyé. On peut douter que toutes ces promesses seront tenues, tant les malheurs qui frappent le monde sont immenses. La seconde réserve touche à l'efficacité des mesures proposées. Ainsi, dans le secteur de la sécurité, l'une des priorités vise à réformer l'institution judiciaire et promouvoir la fin de l'impunité. Le montant associé à cette mesure phare est de 105 millions de dollars, répartis en quatre tranches annuelles d'au moins égale importance. Pour que cette mesure atteigne son but, il faudra modifier radicalement le dispositif de recrutement, de formation et la gestion des carrières des magistrats, ainsi que la manière de servir de ces derniers.

Pour l'heure, ceux-ci ne perçoivent pas l'égalité de traitement entre les citoyens comme un devoir, une exigence morale et déontologique de leur métier. Ils rendent souvent la justice au bénéfice du pouvoir, du plus fort, du plus fortuné, du meilleur offrant.

 

On ne peut comprendre autrement,

 

-        l'attribution d'une mesure de permission de sortir pour raison médicale à une personne disposant de l'autorité (ministre) au lendemain de sa condamnation à 20 ans de réclusion criminelle pour viol sur mineur de 15 ans ;

-        la libération sous contrôle judiciaire d'une personne placée sous mandat d'arrêt international pour des faits de crimes de guerre et  de crime de violation des droits humains ;

-        l'assassinat d'un magistrat qui aura déplu ou la détention préventive d'une femme dont le seul tort est d'être l'épouse d'un avocat, conseil auprès d'un tiers défenseur contre le créancier d'un président de la République ;

-        la nomination d'une personne convaincue de détournement massif de fonds publics et d'abus de biens sociaux, comme conseiller économique à la présidence de la transition.

 

Les mêmes reproches peuvent être adressés à tous les autres secteurs de la vie publique en Centrafrique.

Il ne s'agit pas en l'occurrence de vérifier que les investissements seront bien consacrés aux priorités retenues ou qu'ils profiteront bien aux usagers des services publics, puisque le PRCPCA a prévu deux dispositifs de contrôle et d'accompagnement de l'Etat centrafricain. La question est de s'assurer que la classe politique locale elle-même a changé de paradigme et de logiciel.

Jusqu'à présent, cette « nomenklatura » reste engluée dans les présupposés idéologiques de l'après colonialisme : c'est la faute à la France. Elle répète à satiété la devise nationale de la République centrafricaine, « Unité, Dignité, Travail », mais est incapable de traduire ce paradigme dans les décisions et actes administratifs du quotidien. Ce ne serait pas le cas si la liturgie républicaine venait à reprendre demain le principe posé par Barthélémy Boganda : Zo kwè zo ! Dans son esprit, cette métaphore traduit mieux le concept d'égalité de tous devant la loi, en droits et en obligations. Elle impose de confronter chaque citoyen à la responsabilité de ses actes, surtout si ce dernier agit au nom de l'Etat.

 

2 – La nouvelle règle du jeu.

 

Les nouvelles conceptions de l'Etat et de son fonctionnement décrites ci-dessus, soit la bonne gouvernance, doivent devenir la règle. Pour une raison simple : les enveloppes financières, qui seront abondées dans le cadre du PRCPCA, sont des prêts, dans leur plus grande majorité. Ce sont donc des dettes que nous contractons au nom et aux dépens des générations futures. Ce sont nos enfants qui devront les honorer. Ils auront fort à faire.

 

En effet, ces nouvelles dettes vont s'ajouter aux déficits de tous nos comptes publics qui sont déjà dans le rouge : balance commerciale, balance des comptes courants, balance des paiements, budget de l'Etat, etc. Il n'est pas le lieu ici de développer les causes de ces contre-performances, nous en sommes tous responsables, individuellement et collectivement.

Un exemple pour illustrer cette particularité centrafricaine : chaque année, le total des dépenses consacrées par l'Etat à la prise en charge des évacuations sanitaires hors du pays est supérieur au budget annuel du ministère de la santé publique !

 

Pour que nos enfants soient en mesure demain de rembourser les dettes que nous contractons aujourd'hui à Bruxelles, il faut dès à présent les mettre en situation de compétitivité favorable par rapport à tous les autres jeunes africains de leur classe d'âge, dans les domaines de l'éducation, de la santé, de la sécurité alimentaire ; de la communication, des nouvelles technologies, etc.

Dans tous ces domaines, les jeunes Centrafricains partent déjà avec un lourd handicap du fait de la dizaine d'années blanches accumulées au cours de ces vingt dernières d'années de crise. L'ancien recteur de l'université de Bangui doit le savoir.

 

Au regard de cette situation complexe, voire tragique, Bruxelles est donc la dernière chance de la RCA, un véritable plan Marshall.

 

Pour que ce plan réussisse, fasse l'esprit cartésien du nouveau président centrafricain intégrer en un seul théorème les principes épars livrés ci-dessus, pour le bien du pays, pour le bien du peuple, et pour le bien des générations futures. Selpon la formule qu'il aura choisi, la Table ronde de Bruxelles sera, soit la potion magique, soit le compriné de nivaquine de nos vertes années scolaires d'après-guerre, soit encore la cuillérée d'huile de foie de morue de l'après indépendance.

 

Enfin, la politique du chef de l'Etat centrafricain gagnerait en transparence s'il rend public pour ses compatriotes le document du plan de relèvement et de consolidation de la paix en Centrafrique (PRCPCA), lequel va servir de base de discussion dans la capitale européenne. Cette transparence sera une exigence de vérité à son retour de Bruxelles, à la fin de la Table ronde, comme il l'a promis lors de son escale parisienne le 29 septembre dernier.

C'est à ce prix qu'il réussira à mobiliser toutes les bonnes volontés.

 

Enfant, j'ai le souvenir de mon père rentrant du travail tard le soir avec, sur le porte-bagages de sa bicyclette noire de marque Raleigh, une casserole attachée dans un pagne multicolore. En descendant de vélo, il tendait le colis à son épouse avec ses mots : « M. et Mme Untel m'ont invité à dîner, mais j'ai préféré ramener ma part ».

 

Un bon père a le souci de sa maisonnée.

 

Paris, le 7 novembre 2016

 

 

Prosper INDO

Président du CNR

 

(1) Pour les rastafari, Babylone est le symbole d'une nouvelle forme d'oppression, le moyen de la puissance que l'homme exerce sur l'homme. Etymologiquement, Babylone, capitale de la Mésopotamie, est le centre du cosmos, le point de tangence entre le ciel et la terre.