CENTRAFRIQUE
: LES VERTUS DE L’ALTERNANCE
En
moins de cinq ans, la Centrafrique a changé quatre fois de président. La France
qui venait d’élire Hollande le garde encore à la tête de son exécutif. A
l’exception de la Suisse qui change de président tous les ans, aucun autre pays
de la planète n’a connu une telle inflation du nombre de chefs
d’État.
PÔLE
D’INSTABILITÉ
Dans
le même temps, le tissu social centrafricain s’est délité dans un conflit
moyenâgeux, aux multiples rebondissements. Exceptés les fonctionnaires, le reste
du pays est géré par les ONG. Même les paysans qui n’ont jamais rien demandé à
personne, ni par voie de grève ni par voie de jacquerie, ont été obligés, par
une violence aveugle et meurtrière, à remiser leurs instruments aratoires et à
sombrer dans l’indigence. Même les pêcheurs qui croyaient que la rive droite de
l’Oubangui était un havre de paix ont pris le large par milliers pour échapper à
un mal sournois qui les harcelait sans répit.
Même
les petits commerçants qui gagnaient leur pain à la faveur de la paix se sont
retrouvés sur la paille, du jour au lendemain. C’est donc si difficile
d’apprivoiser la paix ! Toute la Centrafrique est aujourd’hui semée de
misère qu’il faudra désherber jusqu’à la racine. Mais comment les gens qui ont
présidé à la destinée de ce pays n’ont-ils pas pu voir que leur politique
conduisait tout droit à l’insurrection et à
l’apocalypse ?
NOTRE
PART DE RESPONSABILITÉ
On
a beaucoup glosé sur l’implication des dirigeants centrafricains dans la crise
que traverse leur pays. Moi-même je n’ai pas toujours été tendre avec eux. Mais
il me paraît un peu facile de condamner les seuls dirigeants. Je ne cherche
nullement à minimiser leur responsabilité : ils sont les premiers
responsables de la bordélisation de leur pays. Notre responsabilité à nous se
situe sur le plan moral : nous les avions soutenus. Chacun se souvient de
cette voix de commandement fort persuasive , qui criait que l’ex-empereur était
notre dieu. Avec le temps, ces propos ne paraissent aujourd’hui relever que de
la plus basse flagornerie.
Mais
n’oublions pas qu’ils étaient adressés à un militaire, qui a passé toute sa vie
à s’octroyer des titres et des grades ronflants. Quand on l’a divinisé, il
n’était que président à vie. Et donc je dirais un brin provocateur, que
l’ex-empereur s’était montré humble au regard de ce qu’on lui proposait. De ce
règne anachronique, on ne retiendra que l’état de délabrement du
pays.
Cela
n’a point empêché ses successeurs de connaître leurs années de gloire, dans un
vaisseau qu’ils conduisaient à sa perte. Donc nous avons tous été témoins,
auteurs ou acteurs des ovations, des chants dithyrambiques et des danses qui ont
rythmé l’ascension rapide et surtout le déclin interminable de tous les régimes
centrafricains, à l’exception de celui de Touadéra, qui vient juste de lever
l’ancre.
L’ALTERNANCE
COMME RÉVÉLATEUR DE LA MAUVAISE GOUVERNANCE
Quand
on est au pouvoir, on ne se voit pas gouverner. On est tout-puissant et les
louanges aidant, on se croit éternel. Ce qu’on n’a pas pu faire aujourd’hui, on
le fera demain, mais comme demain arrive toujours trop tôt, on le fera
après-demain ou après après-demain…On remet sans cesse au lendemain, comme un
vulgaire procrastinateur.
Beaucoup
d’Africains pensent que la stabilité de certains pays justifie a posteriori
l’instauration d’un régime fort, intemporel et personnifié par un homme à
poigne. On ne change pas une équipe qui gagne…la guerre contre l’instabilité,
les rebellions ou la guerre civile. Cette vue est généralement étayée par la
situation du Zaïre Congo, relativement calme sous Mobutu, mais qui a connu une
longue période de troubles après son éviction. L’alternance revêt ici l’aspect
d’un saut périlleux dans le vide. Elle prélude généralement, dans les pays
africains fragiles, à des mutineries et à des rebellions. Mais cet argument, qui
consiste à refuser l’alternance au nom de la stabilité, me paraît
spécieux.
Il
suffit pour le démontrer de reprendre l’exemple de Mobutu. Son interminable
règne a fini par scléroser son régime, qui s’est effondré comme un château de
cartes devant Kabila. Le temps qui passait pour son meilleur allié s’est
retourné contre lui. Autrement dit, l’alternance à laquelle il s’était toujours
opposé s’est imposée à lui, par la force. Si le maréchal s’était imposé deux
mandats démocratiques, il eût contribué à l’ancrage d’une culture démocratique
dans son pays. Mais une alternance eût fait le bilan de son régime, et projeté
une lumière crue sur sa nature prédatrice.
En
Centrafrique, depuis le départ de Samba Panza, les révélations se succèdent. Je
n’en citerai que trois : trois affaires que les autorités de la Transition
avaient réussi à mettre sous le boisseau : les exécutions extrajudiciaires
reprochées à l’OCRB et à son chef, les détournements de fonds à la mairie de
Bangui et les affaires de lotissements dans laquelle serait impliquée l’ancienne
présidente. Je précise immédiatement qu’aucune des personnes précitées n’étant
condamnées, elles restent toutes présumées innocentes.
L’ALTERNANCE
COMME BOOSTEUR DE PROJETS NOVATEURS
Le
travail du nouveau gouvernement consistera à combler les carences, les ratés et
les lacunes du gouvernement précédent. Ensuite, il lui faudra passer à la
vitesse supérieure pour imprimer au pays les marques de ses projets novateurs.
Mais comment reconstruire une République dont les forces tirent à hue et à
dia ? Une seule réponse s’impose : il n’y a pas d’alternative à la
paix. Et pour elle, pour la stabilisation de la Centrafrique, le gouvernement
dans son ensemble doit être une force de coercition.
Il
doit contraindre toutes les forces antagonistes ou centrifuges à œuvrer pour la
paix. On m’objectera qu’il n’a pas les moyens de sa politique. Je constate que
pour le moment il fait la politique de ses moyens, avec la MINUSCA qui avance à
reculons, avec la France qui s’est désengagée pour mieux se protéger, avec les
promesses d’aide non encore tenues. Mais cette politique, pour ne pas s’enliser
dans le statu quo, doit aller crescendo, quitte à s’affranchir de la tutelle
sécuritaire de la MINUSCA.
Les
grandes nations démocratiques comme les États-Unis feraient mieux d’aider la
Centrafrique, si elles souhaitent voir triompher la démocratie dans ce pays.
C’est bien de condamner les dictatures, mais quand on ne soutient pas les
premiers pas démocratiques dans un pays ruiné, on l’expose à redevenir
totalitaire.
La démocratie reste et restera un long processus dont la paix
est la pierre angulaire.
GBANDI
Anatole - 24
juillet 2016