Concordance des temps…

par Barthélemy MANDEKOUZOU-MONDJO

 

Barthélemy MANDEKOUZOU-MONDJO Nous pensons a priori à la règle de grammaire qui, selon mon  Petit Robert, « subordonne le choix du temps du verbe dans certaines propositions complétives à celui du temps dans la proposition complétée. »

A rapprocher de la règle des trois unités du théâtre classique (1).

«Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli

Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli. »

 

J’irais pourtant au-delà parce que je n’exclus pas que nous puissions opérer des rapprochements entre des faits ou événements se situant dans des temps différents où nous pourrions trouver ces similitudes que nous offre le passé et qui sont susceptibles d’éclairer notre actualité et nous aider à la mieux interpréter ou comprendre.

L’on voit dés lors l’ambition qui est celle d’abord de Jean-Noël Jeanneney (2) « d’offrir sur l'actualité l'éclairage des précédents historiques » et la mienne aujourd’hui de chercher à comprendre la portée de la décision de la France de « tourner la page Sangaris.»

 

Sangaris 2013-2016

Le Président François Hollande en route pour le Nigeria où il doit participer à un sommet sur la lutte contre Boko Haram marque une escale à Bangui : quelques heures seulement ce vendredi 13 mai 2016 en début d’après-midi. Le message qu’il entend délivrer aux Centrafricains est net : qu’il est temps de solder l’opération Sangaris après une transition qui a conduit à une présidentielle transparente et, à bien des égards,  exemplaire sur l’échiquier politique africain. La République centrafricaine est sur de bons rails.

Un petit tour dans l’enclave musulmane du KM5 est censé achever de convaincre l’opinion que les gens commençant à rentrer chez eux, la guerre civile est bel et bien terminée.

« Il faut savoir  terminer une guerre » : et la France a décidé d’en rester là, pour le cas centrafricain, avec les opérations militaires. Elle prolongera sa présence politique pour aider à la réconciliation des Centrafricains entre eux, à la sécurité des personnes et des biens, au développement et à la reconstruction du Pays.

Il restera une présence militaire française dans l’Etat-major de la Minusca, mais aussi dans la structure de l’Union Européenne (UTM) pour la formation des militaires centrafricains…

L’Opération Sangaris, en tout état de cause, se terminera  dans les mois qui viennent : plus surement à la fin de l’année 2016 au plus tard !

 

Barracudas/EFAO 1996-1999

Cette opération qui nous renvoie une vingtaine d’années en arrière projette une bien troublante résonnance dans cette annonce de la fin de la mission Sangaris.

L’histoire centrafricaine est bien celle d’un Pays qui n’a pratiquement jamais eu la maîtrise de son destin.

Boganda disparaît dans un accident dont les circonstances n’ont jamais été éclaircies.

La succession dévolue à David Dacko s’est déroulée selon un plan dans lequel la France des sociétés concessionnaires était très  impliquée.

David Dacko renversé par le coup d’Etat du colonel Jean-Bedel Bokassa sera rétabli par une France qui déclarera le pouvoir de Bokassa illégal et illégitime après lui avoir prodigué les marques de reconnaissance dues à un Chef d’Etat pendant quatorze ans.

Le même David Dacko sera déposé par son Chef d’Etat-major, le Général Kolingba qui s’installera comme Chef d’Etat pour un « règne » de douze ans…

Le Discours de La Baule en 1990 permettant de mettre un peu d’ordre dans la gouvernance des anciennes colonies de la France : ouvrira un peu partout la voie aux conférences nationales et, en Centrafrique, à « l’élection démocratique » du Président Ange-Félix Patassé.

La France de l’Opération Barracuda a eu dès lors des raisons de se désengager et de quitter la République Centrafricaine. Mais voilà : les forces armées centrafricaines composées pour une bonne partie de Yakomas de l’ethnie de l’ancien Président Kolingba se mutinent contre le pouvoir du Président Patassé !

La leçon de cette histoire ?  La France était militairement présente et ne pouvait, en conscience, retirer ses forces quand des menaces évidentes contre la démocratie se profilaient à l’horizon. Bien lui en a pris… Sa présence militaire fut même renforcée. Les Barracudas devenus EFAO : Forces Françaises d’Assistance Opérationnelle réussirent à  contenir la rébellion et à sauver les institutions

Le désengagement de la France interviendra un peu plus tard ; mais elle aura pris soin d’obtenir que les Nations Unies prennent la relève… Sans garantir tout à fait que les Casques bleus feraient montre d’une quelconque efficacité.

Du reste ils se sont retirés, à leur tour, un an après le départ du dernier soldat français : laissant la République centrafricaine renouer avec ses vieux démons :

Coup d’état de M. Bozizé chassant M. Patassé ;

Rébellion de la Sélèka chassant Bozizé…

 Et, à suite, un Pays désarmé et à la merci de « seigneurs de guerre » sans scrupules…

C’est à ce moment-là que la France décide d’intervenir avec la Mission Sangaris…

 

« Ne partez pas ! » : c’est le cri d’une femme musulmane au Ministre français de la Défense lors de la visite du Président Hollande ce vendredi 13 mai au KM5.

Suffit-il alors d’avoir proclamé que la guerre civile en Centrafrique est bel et bien finie pour qu’il en fût ainsi ?

Cette question est posée pour qu’il soit interdit de baisser la garde complètement !

 

Barthélemy MANDEKOUZOU-MONDJO

22 mai 2016

 

 

(1)    Nicolas Boileau, Art poétique, 1674

(2)  Jean-Noël Jeanneney, Concordance des temps. Dialogues radiophoniques. Nouveau Monde éditions, 2005.