Davos, vous avez dit
Davos ?
Si, paraphrasant
l'ex-empereur Jean-Bedel Bokassa, on
voulait faire une blague, elle serait du genre : « Je connais
Obama, je connais Trump, je connais Merkel, mais Davos qui
est-ce » ?
Trève de
plaisanterie, Davos est une petite commune helvétique du canton des Grisons,
dans l'est de la Suisse. C'est une station balnéaire où se tient chaque année,
depuis 1971, le Forum économique mondial, rassemblement des chefs d'entreprises,
économistes, journalistes, intellectuels...
Les hommes politiques
ne seront invités à Davos qu'à partir de l'année 1974, après la crise pétrolière
de 1973.
Depuis, Davos est
devenue le potentat du libéralisme.
La session de cette
année 2017 a réuni 3.000 participants, dont 1.200 patrons de grands groupes
industriels et une cinquantaine de chefs d'Etat ou de gouvernement. Le président
chinois et le vice-président de Barack Obama ont fait le
déplacement.
Le thème du symposium
de cette année : « le leadership réactif et responsable ».
1 – Nelson Mandela à
Davos, le précédent africain.
La première
participation de Nelson Mandela au Forum économique mondial de Davos remonte à
l'année 1992, deux ans après sa sortie de prison. Il allait y rencontrer le
dernier président sud-africain de l'apartheid, Fréderick De Clerck, afin
d'organiser la transition démocratique.
En prison, Mandela
déclarait à ses partisans que la politique économique de l'ANC était fondée sur
la nationalisation des principaux secteurs de l'économie. En arrivant à Davos,
il se rendit vite compte que le lieu ne se prêtait pas à une telle prise de
position. Il se contenta d'une formulation sybiline, indiquant que l'intention
de son mouvement était de « poursuivre la justice sociale en faveur de la
majorité de la population noire ».
De retour à Prétoria,
il changea donc de credo. « Nous devons choisir : nous pouvons
procéder aux nationalisations et renoncer aux investissements, ou nous modifions
notre attitude et obtenons les investissements ». Ce revirement suscita le
scepticisme parmi les siens.
Au Forum de 2003,
Nelson Mandela rencontra les leaders des partis communistes de Chine et du
Vietnam. Ces derniers lui firent comprendre qu'il faisait fausse route.
« Nous sommes des partis communistes de gouvernement, et vous êtes le
leader d'un mouvement de libération nationale. Pourquoi parlez-vous de
nationalisations » ?
Le président Mandela
ouvrit donc l'Afrique du sud aux multinationales et se rapprocha des
milliardaires, tel que Bill Gates.
Mais l'ouverture au
capitalisme et à l'économie de marché souleva plus de problèmes qu'elle n'en
résoudra. Aussi, le rêve d'une société libre et démocratique où toutes les
couches de la population vivraient en harmonie et à égalité de chance restera,
pour lui, un rêve que le capitalisme et l'économie de marché n'auront pas su
réaliser.
2 – Davos et les
dérives de la mondialisation.
Davos est devenue et
reste le bastion du capitalisme, rebaptisé libéralisme pour ne pas effaroucher
le chaland. C'est ainsi que le président chinois Xi Jiping a pris acte du fait
que « l'économie mondiale est un vaste océan dont il est impossible de
s'échapper ». A ses yeux, la mondialisation est incontournable et nul ne
peut « stopper les échanges de capitaux, les technologies et les produits
entre les pays ». La Chine se fait donc l'apôtre du libre-échange à un
moment où le 45ème président des Etats-Unis célèbre le
protectionnisme.
Les Etats-Unis et la
Chine se trouvent donc à fronts renversés.
Les prochaines années
risquent d'être tumultueuses, dans un monde en mode mi-guerre
mi-paix.
Trois problèmes
préoccupent les autorités chinoises :
-
la chute du taux de
croissance de l'économie mondiale ;
-
l'inaptitude de la
gouvernance économique mondiale à représenter les pays
émergents ;
-
l'accroissement
« inquiétant » des écarts de richesse, au détriment de 700 millions de
personnes en situation d'extrême pauvreté dans le monde.
Au regard de ces
trois problématiques, le nouveau timonier chinois propose un modèle de
développement économique « plus inclusif » tiré par l'innovation.
Malgré le pragmatisme chinois, on peut douter qu'une telle politique puisse
répondre aux inquiétudes africaines du moment.
A Davos, on s'est
rendu compte cette année que les dix hommes les plus riches de la planète
détenaient 40 % des richesses globales. Les 1 % les plus riches détiennent
autant de richesses que le reste de la planète !
On s'achemine donc
vers un monde où les plus riches, toujours plus riches, subventionneront les
plus pauvres à travers leur fondation ou le bénévolat des organisations non
gouvernementales.
C'est la révélation
de l'expérience du président Nelson Mandela décrite plus
haut.
Faut-il quitter le
navire ? « Tourner le dos à la mondialisation serait une
erreur », a défendu Christine Lagarde, la directrice du
FMI.
Il semble que la
mondialisation soit devenue « le monde inverti » de Christopher
Priest. Quand on est à l'intérieur, le paysage à l'avant déroule des montagnes
et des vallons de parieries ; mais les voyageurs qui descendent en marche
et retournent en arrière se transforment en monstres (1). Pour paraphraser Arif
Nagis, « le train de la mondialisation à quitter la gare. Nous sommes
dedans » (2).
3 – Quel avenir pour
la République Centrafricaine.
La RCA est à un
tournant, comme tous les autres pays africains. Subir le libéralisme ou
résister, se soumettre au capitalisme ou se révolter.
Mais dans un avenir
très proche, ce qui menace d'abord notre pays, c'est l'explosion démographique
au Sahel. Les six pays riverains du lac Tchad sont sur une trajectoire de 240
millions d'habitants d'ici 2050. On note par exemple qu'au Niger on compte six à
huit enfants par femme ! Cette forte poussée démographique, associée à un
environnement aride et des terres peu fertiles, accélera la transhumance et
intensifiera les rivalités entre éleveurs et agriculteurs
(3).
La République
centrafricaine est déjà le premier pays impacté par ce phénomène migratoire. Il
s'agit des pasteurs peulhs et bororos, en majorité de tradition musulmane. Les
incidents créés par cette cohabitation conflictuelle entre éléveurs et
agriculteurs ont amenés récemment les forces internationales de l'ONU au sein de
la Minusca à privilégier la protection des troupeaux de bétail, alors qu'elles
sont sensées protéger les civils de l'action des groupes
armés(4).
Sans réaction des
autorités politiques, ce problème démographique entraînera un bouleversement
territorial dont les prémices se font déjà sentir, entre les accrochages armés
et le risque de partition du pays.
Au lieu de s'attaquer
frontalement à ce problème, le gouvernement louvoie et parie sur l'aide
extérieure. C'est la comédie de Bruxelles.
Or l'aide
internationale n'est qu'un pis-aller. Partout elle se raréfie, obligeant le
Fonds monétaire international à soumettre ses Etats membres à la disette des
plans d'ajustement structurels draconniens. Les discussions concernant la RCA
sont programmées pour les 24 et 25 janvier prochains. Elles seront conduites par
la directrice du FMI en personne, Mme Christine Lagarde. Ces consultations
bilatérales signent l'impuissance de la Cémac, l'organisation sous-régionale, à
présenter un front commun, malgré le prestige de son président, l'économiste
Pierre Moussa.
La RCA passera donc
sous les fourches caudines du FMI. Ce n'est pas la création de la Haute autorité
de la bonne gouvernance (HABG) et la transparence sur les rémunérations des
ministres et parlementaires qui changeront la donne. Ces
« mesurettes » sont destinées à distraire le peuple centrafricain afin
de lui faire avaler la potion amère des restrictions sociales drastiques à
venir. D'abord parce que cette transparence n'affecte pas l'existence des fonds
spéciaux, dont la gestion reste opaque. Ensuite, parce que la mise en place de
la Haute autorité de la bonne gouvernance ne s'accompagne pas de la disparition
de la Cour des comptes et du Contrôle général d'Etat, deux institutions qui
n'ont jamais fait la preuve de leur efficacité.
Enfin, parce que
pressé de récolter les bénéfices de son élection, le gouvernement centrafricain
a déjà obéré les ressources naturelles du pays, en concédant, sans débat
parlementaire et en dehors de toute analyse stratégique, les exploitations
pétrolières et minières à des investisseurs chinois ; ceux-là qui ont
favorisé l'éclatement du Soudan, entre le nord islamiste et le sud
chrétien !
Après le pétrole,
deux conventions d'exploitation des gisements de calcaire de Ndimba et Bobassa
viennent d'être signées avec la China Geo-Engineering Corporation. Une autre
convention a confié la relance de la filière du coton à la société chinoise
State Development Investment Corporation (SDIC). Bientôt, les chinois
proposeront l'acquisition de milliers de kilomètres-carrés de terres arables. On
renoue ainsi avec la politique patrimoniale qui avait cours sous le régime du
président déchu François Bozizé.
Cette politique
économique de la rente ne favorise ni la croissance économique ni le
développement inclusif. Du Nigéria au Vénézuela, les exemples de ces échecs sont
légions.
Nous savons, depuis
David Ricardo et sa théorie des avantages comparatifs, que « la
spécialisation d'un pays dans une culture destinée à l'exportation entraîne la
baisse de disponibilités sur place des denrées alimentaires de base dans ce
pays » (5).
Dans le cas de la
RCA, ce choix politique est d'autant plus risqué qu'il intervient dans une
période monétaire instable où l'avenir du franc cfa est autrement chahuté. Il ne
faut pas oublier que 60 % de nos recettes d'exportations servent de réserves de
garantie à la convertibilité de la monnaie africaine auprès du Trésor public français. Ce
problème n'a pas été évoqué à Bamako, où se tenait le sommet
Afrique-France.
C'est la raison qui
amène à proposer, dans le cadre de la mondialisation et dans la perspective des
désordres à venir, la commission économique des Etats de l'Afrique centrale
(Ceeac) comme seule et unique pôle d'émergence régionale, en lieu et place de la
Cémac.
4 – Il faut relire
Pierre-Joseph Proudhon.
Traité d'anarchiste
par les marxistes, et se réclamant comme tel, Pierre-Joseph Proudhon a très tôt
saisi la contradiction entre le capitalisme et son impérium sur les masses dans
le cadre du suffrage universel direct. « La démocratie du suffrage
universel n'est qu'une fausse image du pays »,
disait-il.
Lui-même élu député
et siègeant au parlement, il en vint vite à témoigner du divorce entre le peuple
et ses représentants. « Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu'on appelle
l'Assemblée Nationale pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus
complètement l'état d'un pays sont presque toujours ceux qui le
représentent » (6).
Voilà pourquoi il ne
reconnaît pas le vote individuel comme moyen d'exprimer une volonté
collective.
Mais sans aller comme
lui jusqu'à proposer « une république sans constitution et sans limitation
de la liberté individuelle », il suffit de voir ce qui se passe au
parlement centrafricain pour accorder quelque crédit aux prises de position de
l'auteur des « Confessions d'un
révolutionnaire ».
Les députés
centrafricains viennent ainsi d'avaliser deux conventions de coopération entre
la RCA d'un côté et, de l'autre côté, l'Angola et le Burkina-Faso. Ces
conventions, négociées par le ministre des Affaires étrangères, étaient pourtant
contraires à la Constitution centrafricaine, au moins en ce qui concerne
l'Angola. Elles avaient été rejetées lors des travaux au sein de la Commission
des affaires étrangères !
Le Conseil national
de transition avait déjà, en son temps, commit le même parjure en votant la
création d'une chambre haute, le Sénat, alors que cette proposition avait été
rejetée par le Forum intercentrafricain de Bangui.
Comme l'écrit
Proudhon, « le suffrage universel est le moyen le plus sûr pour faire
mentir le peuple » (7).
A ce jeu funeste,
sauf coup d'Etat, ce qu'à Dieu ne plaise, les citoyens centrafricains n'auront
plus d'autre choix que celui de ne pas reélire leurs actuels
« Honorables » représentants. Ce sera dans cinq ans, en avril-mai
2021, il sera déjà trop tard. Hélàs !
Paris, le 21 janvier
2017
Prosper
INDO
-
1 – Christopher
Priest : Le Monde inverti, Calmann-Lévy, Coll. « Dimension SF »,
309 p, Paris 1975.
-
2 – Arif Nagis,
fondateur et président d'ABRAAJ, fonds d'investissement de
Dubaï.
-
3 – Le Haut
Commissariat aux Réfugiés (HCR) vient de lancer un appel de fonds de 241
millions de dollars pour venir en aide aux populations sinistrées du Lac
Tchad.
-
4 – Prosper
Indo : « Le bétail représente de l'argent », Art. non publié,
Paris, 13 nov. 2016.
-
5 – David
Ricardo : Des principes de l'économie politique et de l'impôt,
GF-Flammarion, Paris 1993, 502 p.
-
6 – Pierre-Joseph
Proudhon : Les Confessions d'un révolutionnaire pour servir à l'histoire de
la Révolution de Février, Paris 1849.
-
7 – Henri
Bourgin : Biographie de Pierre-Joseph Proudhon, La grande Encyclopédie,
Paris 1886-1902, p. 833-839.
Le vice-président américain sortant, Joe Biden, s'adresse au Forum économique mondial, le 18 janvier 2017 à Davos, en Suisse.
Post-scriptum:
Pour l'anecdote: en ce qui concerne les bus d'occasion de la société BenAfrique, qui ont longtemps
abîmé leurs gommes au Brésil avant de traverser l'Atlantique, user leurs
amortisseurs au Bénin et cramer leurs moteurs à Bangui, la solution est simple.
Le président de la délégation spéciale de la capitale centrafricaine n'a pas été
choisi par les Banguissoises et Banguissois. En homme d'affaires "avisé", il a
sans doute financé la campagne du président élu. Il a été nommé par le
gouvernement, il doit être démis par le gouvernement!