EBAUCHE DE DEFINITION DE LA CENTRAFRICANITE

Clotaire SAULET SURUNGBA

Clotaire SAULET SURUNGBA

Les premiers débats publics sur le concept « centrafricanité » ont eu lieu lors des Assises de la Communauté centrafricaine de France et d’Europe du 23 juin 2018. Cette rencontre citoyenne qui a regroupé les Représentants des Partis et Mouvements politiques, les représentants des  Associations de la Société civile ainsi que les Leaders d’opinion autour des thématiques Unité et Sécurité, témoigne, à travers la qualité des échanges, la profondeur des analyses et des conclusions, d’une prise de conscience sur la nécessité d’un sursaut national et patriotique pour sauver la République Centrafricaine qui se meurt…Et quoi de plus normal qu’une question portant sur la spécificité centrafricaine puisse être posée tout en se gardant de bien la poser et ce, afin de garantir l’unité nationale en cette période sensible de notre histoire.

Le terme « centrafricanité » est apparu dans le langage de nombre de centrafricains depuis très longtemps. Pour ma part, je l’ai utilisé à maintes reprises dans mes écrits dans les années 80. Parler de « centrafricanité » est donc antérieur au tsunami qui a ravagé la République Centrafricaine en mars 2013…Et je voudrais ici, exprimer ce que signifie pour moi, ce vocable.

Il convient de rappeler que « centrafricanité » n’aurait jamais existé si Pierre Kalck et Barthelemy Boganda n’avaient pas choisi, au lendemain du référendum de 1958,  l’expression République Centrafricaine pour désigner, dans un premier temps, cette entité coloniale qui vit le jour en janvier 1910, à savoir, l’Afrique Equatoriale Française (A.E.F). Ce néologisme désignera par la suite, le seul territoire de l’Oubangui-Chari.

L’engagement politique de Barthelemy Boganda l’avait conduit à siéger dès 1946 au Collège des autochtones, circonscription de l’Oubangui-Chari. Mandataire du peuple Oubanguien opprimé par les colonialistes et les négrophobes, il avait axé son programme politique sur la réalisation de l’égalité des droits, à l’époque coloniale du travail forcé, dans les domaines politique, social et économique. Le 28 septembre 1949, il mit en place le Mouvement d’Evolution Sociale de l’Afrique Noire (MESAN) pour soutenir son action politique.

L’action de ce mouvement devrait s’étendre au-delà des frontières du territoire. Sur le plan politique, il entendait « défendre la liberté du peuple africain, l’égalité entre tous les hommes, le respect de la personne humaine dans chaque Africain ». Sur le plan économique, il demandait « la mise en valeur du sol et du sous-sol africain, en vue de l’amélioration de la condition d’existence du peuple africain ». Sur le plan social, il réclamait « la création de nombreux centres d’action sociale » intégrés dans des coopératives de production et de consommation.

Comme nous pouvons le voir, aucune revendication nationalise ne figure dans le programme du mouvement politique de Barthelemy Boganda. Il y transparaît plutôt, une « africanité » dont la « centrafricanité » en est aujourd’hui la composante oubanguienne…  

Je ne pense pas me tromper en affirmant que les véritables peuples autochtones de cet espace géographique que les historiens ont nommé « Anzika », devenu « Oubangui-Chari » puis, proclamé République Centrafricaine, sont les Pygmées et les N’dri. Grâce aux migrations, cet espace a été occupé par des groupes venus du Tchad, du Cameroun, des deux Congo, des deux Soudan voire même des régions du Nil en ce qui concerne les N’gbandi…Ainsi donc, les nombreux groupes claniques ont des origines transfrontalières. Serait-il erroné de dire que nous, Centrafricains, sommes tous venus d’ailleurs ?

Ces multiples ethnies centrafricaines ont en commun, en dehors de leur propre dialecte, l’usage de la langue Sangö. Au point où l’on peut dire que la spécificité centrafricaine est que toutes les tribus sont naturellement réduites au même dénominateur. Ce dénominateur commun qui est cette langue du Centrafricain, constitue un ciment intégrateur qui  doit garantir l’unité du Pays. La « centrafricanité » est donc, grâce au Sangö, ce sentiment profond qu’à chaque citoyen d’appartenir à un pays riche par sa diversité culturelle et fier de son unité. C’est aussi et surtout un instrument de lutte qui doit permettre de libérer la République Centrafricaine politiquement, économiquement et socialement.

Avant la pénétration du Christianisme et de  l’Islam, nous avons nos traditions, cet ensemble de pratiques, de mœurs, de connaissances, de techniques, de doctrines, d’habitudes et de doctrines qui a été transmis de génération en génération. Nous avons nos valeurs traditionnelles telles que la solidarité, le respect dû aux aînés et aux personnes âgées, la suprématie de la collectivité sur l’individu, la polygamie, l’importance capitale de la parenté ainsi que les qualités morales comme l’honnêteté, l’obéissance, la politesse, le sens de responsabilité, l’intégrité, le courage etc…

Lors des razzias esclavagistes et la traite négrière menées par les européens et les arabo-berbères, des peuplades noires  ont fui à l’intérieur des terres. Dans les années 60,  la République Centrafricaine a été un havre de paix, une terre d’asile pour les populations de tous les pays voisins en guerre. Elle a abrité des refugiés en provenance du Congo, du Soudan, du Cameroun, du Tchad et même de pays lointain tel que l’Ethiopie…Pays refuge et qui a ouvert grandement ses portes, la République Centrafricaine est caractérisée par une hospitalité légendaire, traduisant ainsi en acte la politique du « Zo kwè Zo » de son Fondateur.

Assumer sa centrafricanité, c’est s’inscrire dans un mouvement qui permet de se rattacher à son histoire, à ses traditions, à ses racines et garantir, au-delà des convictions religieuses, une véritable cohésion sociale. C’est enfin, s’approprier la philosophie politique de Barthelemy Boganda dans le cadre de la lutte pour le développement multiforme de la République Centrafricaine.

Je voudrais terminer cette réflexion par ce poème que j’ai intitulé « Centrafricanité ».

  Centrafricanité

 

Je suis Yakomandja,

Tu es Yakomandjakaré,

Il est Yakomandjatali,

Comme certains.

 

Nous sommes Gbanziribandarounga,

Ou Sarakabalangbasi,

Vous êtes Nzakaraligbanou,

Ou Sangodagbayakpa,

Ils sont Ngbakagbayagoulambati,

 

Noirs, blancs, jaunes, rouges,

Sont des hommes et femmes,

Comme nous.

 

La main dans la main,

Assumons notre centrafricanité,

Ici, demain et pour toujours !

 

Centrafricainement vôtre

 

                                                                                                                                  Clotaire SAULET SURUNGBA

 

 

 

Bibliographie :

 

-          Barthélemy Boganda- Elu de Dieu et des Centrafricains-de Pierre Kalck-Editions Sépia-mars 1995

-          Barthélemy Boganda-Premier Prêtre Oubanguien, Fondateur de la République Centrafricaine-de Benoît Basile Siango-Les Presses Littéraires-Bajag-Meri-Janvier 2004

 

29/06/2018