ÉLÉGIE POUR L'OUB
À Victor Bisséngué
Bêafrica, tombée dans les ténèbres de la nuit
en embuscade une fois
en embuscade deux fois retombée
Toi qui répétais à qui voulait t'entendre que
jamais
un homme ne se laisse surprendre deux fois par la même
pluie
Bravo à nos héros, nos héroïnes, les fruits du marronnier
mûris
sur place, les fruits du marronnier mûris à
l'étranger
les feuilles blanches, les feuilles quadrillées du
kapokier
les feuilles jaunes, les feuilles surchargées de
souffrances
de l'arbre à caoutchouc, les feuilles grises, les feuilles
d'or
les feuilles de diamant envolées, les feuilles de
l'azobé
les feuilles clairsemées du mukulungu imputrescible
les feuilles du bingo qui ont dans un tourbillon de
haine
sorti sans les casser leurs calames, et l'encre bleu
blanc
et l'encre vert jaune et l'encre rouge pâle
verticale
pour peindre et publier le naufrage de leur rivière, la
grande
le naufrage de son nord, son sud, le naufrage de son
amont
son aval
Succession de razzias : cases rasées par des
flammes
aux ordres des vents tourbillonnants, des vents
contraires
bourgs brûlés sous les yeux secs des satellites. Et leur
cendre
dispersée dans les villes dans les forêts
hameaux déterrés en plein jour comme des taros, les
racines
pendant comme des serpents pendus par la queue
Bravo à nos héros, nos héroïnes, les cigales restées sur
place
les cigales consternées qui sifflaient, sous la mitraille, les
pas
conquérants des mitrailleurs : chant gris, chant noir,
monocordes
les paroles du grand parolier Sagesse, danse immobile,
récitatif :
Quand bien même ce pays serait l'arbre le plus
prolifère
de la forêt, un peuplier peuplé de billets verts, un
fromager
peuplé de charrues, de herses ; un bananier peuplé de
papiers
d'emballage, un okoumé peuplé de contreplaqués,
d'armoires,
de tables... ; un sapin peuplé de smartphones, d'écrans
plats,
d'ordinateurs, de grosses cylindrées...Quand bien même ce
pays
serait riche de tout cela, il aurait besoin, pour refleurir, d'un
répit
Anatole GBANDI, Élégies pour
la Cent
(29 Mars 2018)