Gens qui rient et gens qui
pleurent.
Les
« congressistes » de la communauté Sant'Egidio ont quitté leur cellule
monacale du Vatican, sans informer leurs mandataires de l'issue favorable de
leur séjour dans la capitale italienne. En effet, l'encre du cessez-le-feu signé
ce mardi 20 juin 2017 n'était pas encore séché que des hostilités meurtrières
accablaient la ville de Bria, dans le nord-est de la RCA.
Aux
dernières nouvelles, le responsable de cette nouvelle tuerie serait un brigand
notoire, dont l'évasion depuis les locaux du SRI (service recherches et
investigations) de la gendarmerie nationale avait provoqué un incident entre le
gouvernement centrafricain et la Minusca, accusée d'avoir arrêté puis relâché le
fugitif à Sibut.
Bria serait donc la victime d'une négligence des Casques
bleus de l'organisation internationale et de l'impéritie des services de
sécurité centrafricains.
Apparemment, les représentants des groupes armés réunis
au Vatican n'ont pas eu le temps de prévenir leurs chefs respectifs de
l'armistice signée à Rome sous la dictée de la communauté catholique. Ils
l'auraient fait, les duellistes de Bria auraient sablé le sapéké (1), comme
Remus et Romulus tétant les mamelles de la louve romaine, au lieu de
s’entre-tuer.
1 – Les gens qui rient.
A
Rome, les rebelles ont obtenu tout ce qu'ils exigeaient depuis plus d'un
an :
-
la participation au
gouvernement de la République,
-
la prise en charge de leurs
indemnités et la protection sociale de leur famille,
-
la fin des sanctions de l'ONU
contre leurs commanditaires respectifs,
-
l'assurance, d'ici 12 mois,
d'escompter la grâce présidentielle à l'issue d'une conférence « Vérité,
justice et réconciliation », etc.
Pour couronner le tout, leurs troupes garderont leur
armement afin de constituer, là où elles sont cantonnées, les futures garnisons
de l'armée nationale centrafricaine. On ne peut espérer victoire globale plus
éclatante ! C'est le précédent créé par l'ONU en Côte
d'Ivoire.
Sous d'autres cieux, un gouvernement légitimement
constitué se serait fait hara-kiri. Vous n'y êtes pas du tout. Le président
Touadéra peut renoncer au seppuku, cette mort volontaire que l'on s'inflige en
s'ouvrant le ventre, « siège de la volonté, du courage et des
émotions » (2).
Il
faut pour cela « avoir un gros ventre » (3).
Non, la honte n'est pas le sentiment le plus partagé en
Centrafrique, pays où l'on pratique la « mendicité d’État » depuis des
décennies.
Les
partenaires techniques et financiers de la RCA l'ont bien compris. Ils se sont
déportés à Bangui pour tenir leur réunion, initialement prévue à Bruxelles les
21 et 22 juin 2017. Cette rencontre a permis au président centrafricain de
prophétiser la consolidation, à hauteur de 70 %, des promesses faites à
Bruxelles au mois de novembre dernier. Sans doute faut-il voir dans cette
déclaration un mensonge destiné à alléger la souffrance du peuple (4). En
réalité, la consolidation est une option compensatrice actant les reculades et
renoncements du gouvernement centrafricain.
2 – Les gens qui pleurent.
De
l'autre côté de la balance, voici le peuple centrafricain meurtri, emmuré dans
sa douleur et dans sa souffrance.
Du
conclave de Rome, il ne retient que la Parole bienveillante du Pape François
adressé aux laïques de la communauté Sant'Egidio, apportant son soutien « à
la population, aux évêques et à tous ceux qui se prodiguent pour le bien des
personnes et pour la cohabitation pacifique ». Et d'ajouter, « œuvrer
pour la paix ne donne pas de résultats rapides, mais c'est l’œuvre d'artisans
patients, qui recherchent ce qui unit et mettent de côté ce qui
divise ».
A
Rome, personne n'a semble-t-il pensé à ces pauvres hères. Ils ont tout perdu,
maison, bétail, champs, femmes ou enfants, mais ils ne seront pas indemnisés,
sauf à se satisfaire de la justice traditionnelle ! Quant à se voir rendre
justice, le substitut du Procureur général de la Cour pénale spéciale est
clair : les victimes doivent produire des dossiers bien documentés pour que
leur plainte soit recevable.
Il
nous semblait que c'est la mission du Procureur général de la CPS d'ouvrir une
information judiciaire contre X, pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité
ou tentatives, et d'instruire les forces de police et de gendarmerie d'enquêter
pour réunir les preuves, recueillir les témoignages, recenser les victimes
possibles, et désigner les éventuels coupables pour que justice soit
rendue !
Ils
ont été volés, violés et leurs parents massacrés, mais ils n'assisteront jamais
au déshonneur de leurs bourreaux. Ils sont orphelins, mais leur cri ne sera pas
entendu.
Il
leur faudra simplement espérer, dans douze mois si tout se passe bien, voir les
assassins et meurtriers de leurs proches, endimanchés dans leurs costumes
bariolés ou leurs gandouras immaculés, demander pardon, en promenant des
bedaines rebondis de nouveaux riches.
C'est en effet une loi de la nature : les
prédateurs ne meurent jamais de faim, même en pleine
sécheresse.
Paris, le 22 juin 2017
Prosper INDO
Économiste
(1) –
Vin à base de jus de palme fermenté.
(2) -
Définition page Wikipédia.
(3) -
Il faut avoir « un gros ventre » pour pratiquer la « double
voie », philosophie au fondement du suicide rituel, qui unifie les Lettres
et les Arts martiaux, l'art et l'action, l'éthique et l'esthétique. cf. Yukio
Mishima, Dojoji et autres nouvelles, Ed. Gallimard, Folio,
2002.
(4) Ernest J. Gaines : Dites-leur que je suis un homme, Ed. Liana Levi, Paris,1994.