Imbroglio électoral à venir en
Centrafrique
Sont-ils devenus fous à Bangui ? Telle est la question posée le 23 mars dernier par notre compatriote David Koulayom Masseyo. Poser la question, c'est déjà y répondre à moitié, par l'affirmative.
1 – L'émergence d'un nouvel imbroglio politique.
L'interrogation ci-dessus est d'autant plus importante qu'une nouvelle tempête schizophrénique menace : quatre-vingt dix députés du Mouvement cœurs unis, la majorité présidentielle, ont lancé une pétition visant à la prorogation du mandat de Faustin Archange Touadéra, lequel arrive à échéance fin mars 2021 ! Et, pour faire bonne mesure – charité bien ordonnée commence par soi-même - ils proposent de prolonger leur propre mandat qui s'achève au mois de mai 2021. Les députés concernés craignent que l'agence nationale des élections (ANE) ne puissent pas tenir le chronogramme des prochains scrutins présidentiels et législatifs.
A l'appui de leur démarche, les parlementaires invoquent les dispositions des articles 151 et 152 de la constitution qui disposent des conditions de la révision de la loi fondamentale, en particulier lorsque le projet de loi est porté par les 2/3 des parlementaires. En RCA, le parlement se réduit à une seule chambre, l'assemblée nationale (1), soit 140 députés. Malheureusement, 90 ne font pas 2/3 de 140.
2 – L'incompétence et les incohérences de l'ANE.
Ce n'est pas la première fois que l'organe chargé de gérer les consultations électorales fait preuve d'une incompétence notoire.
A quoi sert l'ANE ? Héritière de la CEMI, commission électorale mixte indépendante mise en place en 1990 aux termes de la conférence nationale souveraine, l'agence nationale des élections est un organisme paritaire associant majorité présidentielle et partis politique de l'opposition. Elle est chargée d'organiser et de publier les résultats des consultations électorales du pays, compte tenu des moyens mis à sa disposition par l’État, conformément au Code électoral.
A ce jour, les élections organisées par cette instance se sont révélées toutes contestables. La question de la pérennisation de cette structure budgétivore et inefficace se pose désormais. Cette réflexion s'impose d'autant plus sérieusement que le gouvernement a été amené à créer, le 18 novembre 2019, un Comité stratégique d'appui au processus électoral (CSAPE) destiné à épauler l'ANE (2) !
3 – Le prétexte du vide constitutionnel.
Il ne faut point s'attarder sur les arguties juridiques qui évoquent le silence de la constitution sur le risque d'une vacance du pouvoir si un président n'est pas désigné dans les délais fixés par l'article 36 de la loi fondamentale.
En effet, cette question est traitée par les dispositions de l'article 47 de la constitution du 30 mars 2016. L'alinéa premier de cet article dispose que la vacance de la présidence de la République n'est ouverte que par le décès, la démission, la destitution, la condamnation du Président ou son empêchement définitif à exercer ses fonctions conformément aux devoirs de sa charge.
L'alinéa 2 dudit article proclame que tout cas d'empêchement définitif doit être constaté par un comité spécial présidé par la présidente de la Cour constitutionnelle, et comprenant le président de l'assemblée nationale et le premier ministre, chef du gouvernement.
Telle sera la situation du président Touadéra à l'issue de son mandat, si l'article 36 rappelé ci-dessus n'était pas respecté dans ses dispositions. Dès lors, la suppléance de la présidence de la République est exercée par le président de l'assemblée nationale, lequel est tenu d'organiser dans les 45 jours au moins et 90 jours au plus, l'élection du nouveau président (Art.47, al. 4 et suivants). Il n'y a donc pas lieu de craindre une vacance du pouvoir.
La loi est bien faite, lorsqu'elle est respectée en ses lettre et esprit, par des hommes à la tête bien faite.
Paris, le 05 avril 2020
Prosper
INDO
Économiste,
Consultant
international.
(1) –
La création d'un sénat, invalidée par les consultations populaires à la base, a
été actée par la constitution du 30 mars 2016 qui laissait le soin au président
élu de le faire voter dans l'année qui suit son installation.
(2) - Le comité stratégique est un organe présidé par le premier ministre, chef du gouvernement, et qui comprend, outre les ministres de l'administration du territoire et de la sécurité publique, les responsables des institutions républicaines et organes de gestion des élections (OGE), les ambassadeurs de la Russie, des États-Unis, de la Chine et de la France, ainsi que les représentants de : UE, UA, MINUSCA, CEEAC, PNUD-PAPEC, etc.