IMPRESSIONS DE BANGUI VII : LA REPUBLIQUE DES RUMEURS

   En Centrafrique, les média d’Etat sont sous influence et ceux du privé sont peu professionnels . Les deux manquent cruellement de moyens pour mener des investigations approfondies de manière à étayer leurs propos . C’est ainsi qu’à Bangui, personne ne vous dira avec certitude : « il s’est passé telle chose, tel jour, à telle heure » mais bien « il paraît que », «  on a dit que » et les érudits avancent un prudent « j’ai ouï dire que » etc…

    Faut-il rappeler à mes compatriotes que « ON » est un pronom menteur par excellence et que ce mode de gestion des informations génère plus de problèmes que de solutions dans un pays comme le nôtre ? La rumeur devient mortifère quand elle émane de ceux qui sont censés tenir les rênes !

 1 . Un exécutif à hue et à dia

   Deux cas d’école : la gestion de la sortie rocambolesque et meurtrière des chefs mercenaires du Kilomètre 5, le 12 Août 2016, et le retour tout aussi rocambolesque de Francis Bozizé à Bangui .

Dans la nuit du 12 au 13 Août 2016, les populations de la commune de Bégoua et des environs ont été réveillés par des échanges de tirs nourris au niveau de la barrière .  Le chef rebelle Ousmane Issène et ses acolytes, à l’étroit au Km5, ont décidé de prendre le large pour aller rejoindre les autres mercenaires apatrides dans leurs sanctuaires de Kaga-Bandoro, de Batangafo, de Bambari, de Bria et que sais-je encore ? Le bilan de leur parcours macabre est inconnu à ce jour . Par contre, leur arrivée à Kaga-Bandoro a été fêtée bruyamment au PK5 par des tirs de kalachnikovs ! Quel pied de nez aux autorités !

Le Premier ministre a fait une déclaration pour dénoncer l’implication de la Minusca dans l’exfiltration des mercenaires du PK5 . Je n’ai pas écouté son discours, mais une question me taraude : pourquoi la tête de l’exécutif tire-t-il à hue et à dia ? Quelques jours précédant cette sortie, le Président élu a reçu le chef des fuyards . Que se sont-ils dit ?

    Quant au retour de Francis Bozizé, je dirais que lorsque l’ex-empereur Bokassa est retourné de son plein gré se jeter dans la gueule du loup, le régime militaire de Kolingba lui a fait un procès exemplaire .  Aujourd’hui, le fils de l’ancien président est reçu d’abord par le Président élu, arrêté brièvement par la Minusca puis remis en liberté et enfin rétabli dans ses grades (avec effet rétroactif ? )  . Quel sens donné à tout ce micmac au sommet de l’Etat s’agissant de quelqu’un qui a un mandat d’arrêt international ? L’exécutif centrafricain voudrait donner du grain à moudre à la rumeur publique qu’il ne s’y prendrait pas autrement ! Passer son temps à donner des verges pour se faire battre alors qu’on a un pays à pacifier et à reconstruire, quel pays de paradoxes ? J’en perds mon Sango…

 

 2 . Interrogations

   Dans un pays vivant dans un état de guerre larvée comme la RCA où les armes de gros et petit calibre circulent toujours librement, où une grenade offensive coûte seulement quelques piécettes de Francs CFA, est-il normal que le Président élu soit précédé quotidiennement d’un motard avec sirène hurlante, de véhicule à gyrophare et d’autres véhicules bourrés de soldats de la Minusca armés jusqu’aux dents ? Ces oripeaux du pouvoir sont-ils encore de mise ? Ne sont-ils pas là juste, pour désigner le Président élu comme cible à un sniper éventuel ? Même chose pour le Premier ministre . Je ne suis ni policier, ni gendarme et encore moins garde du corps …

   Le Président élu semble apprécié des Centrafricains, du moins à Bangui, d’après la scène à laquelle j’ai assisté personnellement dans le huitième arrondissement : des Centrafricains faisant barrage de leurs corps pour empêcher les soldats français de la mission Sangaris de gêner le passage de leur Président revenant d’un voyage ! Que la même scène se reproduise à son retour de la table ronde des bailleurs à Bruxelles ( la foule l’a obligé à descendre de sa voiture et l’a accompagné jusqu’à son domicile ) démontre à souhait que les oripeaux sont superflus, même si l’enthousiasme reste l’arme des faibles !

     La bière est toujours bonne sur les bords de l’Oubangui, mais que vient faire le cube « maggi » dans l’alimentation centrafricaine ? Il durcit inutilement la viande, altère la qualité du « chouïa » et pose à mon avis un réel problème de santé publique . Je ne parle pas du vrai cube « maggi » d’antan mais de son succédané, d’un mauvais ersatz fabriqué au Cameroun ou au Nigéria, bourré de sel et de …De quoi en fait ? Quelle délégation médicale, scientifique a visité les usines qui fabriquent ces poisons ? Quel scientifique centrafricain a pris la peine de se pencher sur ce fameux cube « maggi » ? Après cela, étonnez-vous du nombre élevé d’hypertensions, de gouttes, et autres maladies cardiovasculaires en RCA !  Nos mamans avaient raison quand elles concoctaient elles-mêmes leurs ingrédients culinaires !

     Alléluia ! Un certain Général Balla Keita de la Minusca prend l’engagement solennel de ne riposter que quand les ex-Séléka attaqueront une zone occupée . Est-ce à dire mon général qu’en dehors des villes, vous ne riposterez pas quand l’attaque aura lieu même aux abords des villes ? Pathétique Minusca envoyée en RCA pour faire des déclarations effarantes et/ou écrire des communiqués, à l’instar de son inénarrable plume Monteiro .  A ce rythme, le tourisme en treillis à bords d’engins de guerre flambant neufs, a encore de beaux jours devant lui en RCA . Etes-vous sûrs que c’est là votre mission en Centrafrique ? Craignez que l’histoire ne vous juge sévèrement .

    Encore un énième Dialogue Politique Inclusif ( DPI ) en RCA ? Foutaise, perte de temps, non-évènement . L’énergie, le temps, l’argent et même la simple salive des Centrafricains ne méritent pas d’être dilapidés pour ce DPI . Il y a des ponts à reconstruire à Bangui, des écoles à rénover, des enfants qui meurent dans différents « Ledger » .  

 

     Les promesses de la table ronde des bailleurs de fonds de Bruxelles semblent attirer les appétits les plus féroces . Ces promesses ne deviendront réalités que quand le gouvernement centrafricain mettra ses pratiques en adéquation avec ses engagements vis-à-vis de la démocratie .  Il n’y a pas un discours pour Bruxelles, Washington, New York ou Paris et un discours pour Bangui .  La RCA est une République laïque, une et indivisible avec (théoriquement ? ) des pouvoirs séparés . Il faut lutter pour l’effectivité de cette séparation : c’est le moyen le plus sûr de tordre définitivement le cou à la rumeur . Si gouverner c’est prévoir, gouverner, c’est aussi imaginer des solutions à la plus grave crise que traverse notre pays .

 

                     Fin des Impressions de Bangui

                                                                              Le 15 Décembre 2016-12-15    

                                                                               David KOULAYOM-MASSEYO .