L'escale parisienne du président 
centrafricain, Faustin Archange Touadéra.
Six mois ont passé, depuis l'investiture le 30 mars 
2016 du nouveau président de la République centrafricaine. Ce délai permet de 
jeter un regard objectif sur les premiers pas du récipiendaire du Grand Collier 
de la Renaissance de la RCA.
Le moment semble en effet opportun pour un premier 
examen d'étape, alors même que Le Président Touadéra était de passage à Paris le 
29 septembre 2016, au retour d'un long séjour aux Etats-Unis, dans le cadre de 
l'assemblée générale des Nations Unies.
Afin que notre démarche soit bien comprise, il nous 
faut rappeler notre appel à voter en faveur de sa candidature aux dernières 
élections présidentielles (1). Une fois la victoire acquise, notre soutien s'est 
doublé d'une exigence de vigilance et de vérité (2).
Ce préambule posé, il nous faut féliciter Faustin 
Touadéra d'avoir convié tous les Centrafricains, sans exclusive, à cette 
rencontre. Il importe également de féliciter l'ambassadeur Gbézéra-Bria d'avoir 
redonné vie et lustre au portail numérique de la représentation centrafricaine 
en France.
Lors de sa rencontre avec la communauté centrafricaine 
en France, le chef de l'Etat centrafricain a délivré un message, qui se veut 
apaisé et volontaire, sur sa vision de l'avenir du pays. Sa bonne foi  ne fait pas de doute. Il importe 
cependant de relever que dans son allocution préalable, ainsi que dans les 
réponses qu'il a fournies à l'occasion des échanges avec la salle, il 
transparait des imprécisions qui prêtent le flanc à la critique, des éléments de 
langage qui soulèvent l'objection, des choix stratégiques qui nourrissent le 
doute, voire des propositions qui entretiennent malentendu et 
regret.
1 – Le 
président souhaite qu'il faut donner du temps au temps. Il a raison. Le peuple, 
conscient de la difficulté de la tâche, sait se montrer patient. Encore faut-il 
lui donner la force d'espérer en posant des actes symboliques forts et des 
échéances crédibles. Ainsi, du 30 mars au 29 septembre,  le président élu est au pouvoir depuis 
six mois, et non point cinq, comme indiqué dans son discours. L'exactitude est 
la vertu des Princes, dit l'adage. Vétille ? Certes non, exigence de 
vérité. Un seul exemple : en l'espace de six mois, le président français 
François Mitterrand a frappé l'esprit de ses électeurs : élu le 10 mai 
1981, il a fait voter dès le 9 octobre 1981 la loi portant abolition de la peine 
de mort !
2 – Sans 
doute victime d'un effet d'imitation, le Président Touadéra a repris les tics 
compulsifs de langage de ses prédécesseurs lorsqu'il déclare : « J'ai 
instruit le ministre de la Justice, garde des sceaux, lors de la rentrée 
judiciaire 2016, de rendre opérationnelle la Cour de justice spéciale ». 
Cette tournure de phrase, empruntée au langage du droit, est impropre à l'art du 
gouvernement. Elle laisse supposer un certain détachement. En l'occurrence, le 
juge instruit un dossier, une affaire ; le président, lui, ordonne, 
décrète, décide. Il n'instruit point, sauf à « donner des 
instructions » précises à ses ministres ou collaborateurs. Molière se 
gaussait déjà, dans ses « Précieuses ridicules », de ces coquetteries 
de langage qui prétendent à la pédanterie. Futilité ? Non. Le président de 
la République est le garant de l'indépendance de la magistrature, il doit être 
infaillible en droit et ne pas avoir la langue fourchue. La précision fait la 
fortune de l'horloger, dirions- nous.
3 – Dans le 
domaine de la justice, le président a fait une profession de foi : 
« La justice sera la règle et l'impunité l'exception », a t'il déclaré 
dans son allocution. Cette formulation est porteuse de malentendu et sème les 
germes de la division. En effet, la justice est un concept générique global et 
ontologique. C'est un tout irréductible à l'ensemble de ses parties. Elle peut 
faire preuve de mansuétude ou s'accommoder d'une mesure de grâce, mais, pour 
être juste, elle doit d'abord être rendue, avant que la sanction prononcée ne 
fasse l'objet d'aménagement. C'est dans cet esprit que les consultations 
populaires à la base ont rejeté par avance toute décision d'amnistie 
générale ; proposition reprise par le Forum intercentrafricain de Bangui. 
Fatalité ? Non. La République centrafricaine a été capable de juger 
l'ex-empereur Jean-Bedel Bokassa, en respectant les droits de la défense, sans 
recourir à la mendicité financière auprès de la communauté internationale. Une 
section de la Cour criminelle de Bangui peut très bien statuer sur les crimes et 
délits en rapport avec les évènements graves qui ont endeuillé le pays depuis 
décembre 2012.
S'agissant du Tribunal pénal spécial, le décret 
portant création de cette cour a été signé en juin 2015. A ce jour, son siège 
n'a pas été désigné, sa composition n'a pas été rendue publique. Quinze mois, 
pour prendre deux décisions qui n'emportent pas des conséquences financières 
exorbitantes, cela relève d'un exploit … ou d'une volonté délibérée de ne pas 
faire. C'est ainsi que le projet de création d'un Fonds d'indemnisation des 
victimes du conflit, invoqué par le dernier Garde des sceaux du gouvernement de 
transition de madame Catherine Samba-Panza, est toujours dans les 
limbes.
4 – Pour le 
désarmement des différents groupes armés, le Chef de l'Etat a livré son choix 
stratégique : « Pour obtenir le désarmement, le moyen que je compte 
engager est le programme dit DDRR pour lequel j'ai déjà installé sous mon 
autorité directe à la Présidence de la République une équipe chargée de la 
conduire. Ma vision est celle d'un désarmement concerté c'est-à-dire un 
désarmement dont les stratégies sont communément définies par toutes les parties 
prenantes au problème ».
C'est un pari risqué qui fait litière du 
passé.
Rappelons qu'un précédent DDR (2008-2010), placé sous 
l'autorité directe du président de la République d'alors, François Bozizé, et 
dont le Conseil consultatif était conduit par Francis Bozizé, président et 
Jean-Jacques Démafouth, vice-président, a été un échec. Malgré un important 
financement de la communauté internationale, prévarications, concussions et 
détournements de fonds ont remis les groupes armés sur le chemin de la guerre. 
On connait la suite. Depuis, les auteurs de ces malversations jouissent 
impunément et librement des produits de leurs rapines. A l'expérience, les mêmes 
causes provoqueront les mêmes effets. Scientifique ? 
Oui.
L'actuel DDRR n'ira pas à son terme sans conflits. En 
effet, la doctrine d'une « armée de garnison » qui sous-tend la 
stratégie définie par M. Touadéea, et qui promeut par ailleurs l'intégration des 
éléments des groupes rebelles dans les forces armées centrafricaines, produira 
un effet pervers : la balkanisation de la RCA. Car l'intégration successive 
des différents groupes rebelles dans les forces armées centrafricaines depuis 
deux décennies ont conduit à la situation actuelle. Il ne saurait y avoir de 
place dans l'armée nationale centrafricaine pour les éléments de l'ex-séléka, ni 
pour les déserteurs des forces armées centrafricaines (FACA) ayant intégré les 
anti-balaka. Les uns et les autres ont retourné leurs armes contre le peuple, 
commettant des exécutions sommaires, des décapitations, des démembrements 
d'enfants innocents, voire des actes d'anthropophagie. Tel le scorpion de la 
fable africaine, «  La grenouille et le scorpion », ils recommenceront 
à la moindre occasion. C'est dans leur nature. Ce sont des 
récidivistes !
D'autre part, la géographie des futures garnisons 
militaires évoquées par le Chef de l'Etat est déjà figée : Zoundéko à 
Bambari, Nourredine Adam à Bria, Ali Darass ou Al Khatim à Kaga-Bandoro, la 
mouvance antibalaka de Patrice Ngaissona à Bossangoa, celle de l'ancien ministre 
des sports de Samba-Panza à Paoua ou Bozoum, etc. Cette stratégie concrétise la 
consolidation de la partition de fait du pays, fondée sur le repli ethnique et 
le placement des autorités administratives locales sous la dépendance des 
« commandants de zones ». La reprise des hostilités de ces dernières 
semaines poursuit ce but. Chaque groupe armé tente d'élargir ses frontières et 
renforcer sa base géographique. Ainsi, l'attaque de Kouango et le contrôle de 
cette localité devait permettre à la mouvance Séléka de Zoundéko d'élargir sa 
zone sur l'Oubangui afin d'isoler le Haut-Oubangui (Basse-Kotto, Mbomou et 
Haut-Mbomou). La géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre (3). En bon 
géographe, le Premier ministre Simplice Sarandji devrait le 
savoir.
Le désarmement concerté a un autre inconvénient, il 
tient la représentation nationale à la lisière de ces discussions. Or les 
consultations populaires à la base et le Forum intercentrafricain de Bangui, 
dont les conclusions ont été signées par la majorité des groupes armés, ont déjà 
indiqué la voie à suivre. Il suffit de faire voter ces conclusions par 
l'Assemblée nationale nouvellement élue pour qu'elles aient force de loi, et les 
faire appliquer avec le soutien de la Minusca.
5 – Le 
choix stratégique ci-dessus est le résultat d'une mauvaise lecture du concept de 
sécurité. On confond souvent objectif et moyens de la sécurité. L'objectif de la 
sécurité est de garantir la libre circulation des personnes, des biens et des 
capitaux, c'est-à-dire d'établir l'ordre public. Les moyens de garantir l'ordre 
public résident dans le déploiement des forces de l'ordre en nombre et en moyens 
matériels adaptés. Autrement dit, pour assurer cette sécurité, forces de police 
et de gendarmerie doivent être renforcées en effectifs, en armements, en moyens 
logistiques, techniques et technologiques, tous moyens opérationnels leur 
permettant de rechercher, appréhender et conduire devant la justice les fauteurs 
de troubles. Elles doivent disposer d'un cadre juridique et de règles 
déontologiques propres leur permettant d'agir dans le respect de l'état de 
droit.
L'armée n'a pas vocation à intervenir dans le maintien 
de l'ordre public, sauf en cas de force majeure, dans le cadre d'un état 
d'urgence ou, surtout, d'un état de siège. A notre connaissance, l'Etat 
centrafricain n'a décrété ni l'un ni l'autre. Dès lors, se focaliser uniquement 
sur la réforme des FACA est une mauvaise option à court terme. C'est d'abord la 
police et la gendarmerie qu'il faut moderniser d'urgence.
6 – 
L'assainissement des finances publiques est l'autre serpent de mer de la 
République centrafricaine. Le constat est le même depuis des lustres : 
l'Etat n'est pas en mesure de lever l'impôt en raison de la situation 
d'insécurité qui permet aux personnes non habilitées à créer des barrières 
illégales et à lever une partie des ressources de l'Etat. Le professeur Touadéra 
a indiqué son ambition dans ce domaine. « Mon objectif est de mettre fin à 
cette anarchie à travers la sécurité et à la réorganisation des services du 
ministère des Finances, particulièrement la douane et les impôts ». Depuis 
dix ans, toutes les mesures techniques prises pour réformer ces deux 
administrations se sont soldées par des échecs. Ce n'est donc pas l'organisation 
de ces deux structures qui est en cause, mais la probité intellectuelle et 
morale des cadres et agents de ces services. C'est le règne de la corruption 
absolue et de l'enrichissement personnel. C'est l'ensemble du processus de 
recrutement, de formation et de promotion de ces personnels qui doit être 
entièrement revu.
On se souvient que sous la dernière mandature du 
président déchu François Bozizé, des infirmiers ou instituteurs à la retraite 
étaient promus aux fonctions de préfet ou sous-préfet, alors que des 
administrateurs civils formés par l'école nationale d'administration et de la 
magistrature étaient au chômage ! Comment s'étonner dans ces conditions de 
la chûte de l'autorité de l'Etat ?
Il faut rompre avec toutes ces pratiques 
népotiques.
7 – Du rôle 
des Centrafricains de l'étranger. Après avoir précisé le rôle qu'il entend voir 
joué par les Centrafricains de l'étranger, en particulier dans le domaine des 
investissements privés à l'instar d'autres communautés africaines établies en 
France, le président Touadéra n'a pas manqué de pointer du doigt certains de ses 
compatriotes de l'étranger qui nuisent à l'image du pays. « Des personnes 
qui n'ont rien à faire passent le plus clair de leur temps à mentir, à propager 
de fausse informations sur le pays ou sur untel, semant le doute dans l'esprit 
des gens et mêmes de ceux qui sont prêtes à venir nous aider », a t'il 
déclaré. Que répondre ?
La critique et le débat étant au cœur de la 
démocratie, on ne peut interdire aux citoyens d'exercer leur droit d'inventaire. 
Les Centrafricains de l'étranger nuisent moins à l'image de la RCA que deux 
raisons concomitantes et cumulatives :
-        
l'image du pays est d'abord 
terni par les prévarications, détournements de fonds publics et autres gestions 
patrimoniales des ressources naturelles du pays. A titre d'exemple, dès son 
installation, le gouvernement du Premier ministre Sarandji a lancé un appel 
d'offre pour la révision du Code minier de la RCA. Ce sera la sixième 
modification de ce texte depuis la chute de l'empereur Bokassa ! Cette 
instabilité du cadre juridique des affaires est plus déstabilisante pour la 
réputation du pays que les mauvaises langues – le mal bouche - de certains 
propagandistes établis à l'étranger.
-        
La seconde contrainte qui 
pèse sur l'image du pays est l'insécurité chronique qui nuit au climat des 
affaires, à travers les rackets des milices armées, les dessous de tables exigés 
par certains fonctionnaires pour la délivrance de documents administratifs, ou 
les rétrocommissions soutirées aux investisseurs privés par des personnalités 
ayant pignon sur rue en contrepartie de leur pouvoir d'influence ou de 
négociation. Cette insécurité permanente à conduit la Chine a envoyé récemment 
un contingent militaire en RCA pour assurer la protection de ses prospections 
pétrolières, dans un pays où foisonnent déjà d'autres présences militaires 
étrangères, américaines, ougandaises, etc. Pour les investisseurs privés, La 
République centrafricaine est pour l'instant un  pays à très haut risque. 
Réduisons ces risques et les investisseurs privés 
viendront.
Le président Touadéra sait donc à quoi s'en tenir pour 
rassurer, et ses compatriotes de l'étranger et les investisseurs privés : 
jouer la transparence et assoeir l'état de droit. C'est le travail des 
« docteurs » en communication qui entourent son 
gouvernement !
8 – Sur le 
plan économique enfin, le président Faustin Archange Touadéra a fait part des 
résultats de ses entretiens avec la Banque mondiale et de l'accord conclu, en 
marge de l'Assemblée générale des Nations Unies, portant sur un crédit d'un 
montant de 250 millions de dollars, sur trois ans, destiné à  financer des projets prioritaires dans 
les domaines de l'agriculture, de l'école, de la santé, de l'énergie, des 
infrastructures routières, des micro-crédits, etc. Cette aide est subordonnée 
aux réformes de structure visant à instiller la bonne gouvernance dans la 
gestion des finances publiques.
Parallèlement, M. Touadéra a réaffirmé sa philosophie 
en matière de développement économique : la RCA doit se développer à partir 
de ses ressources propres.
Dans le contexte actuel, le pari paraît difficile mais 
il n'est pas vain ; nous devons le soutenir dans cette voie. Cest la seule 
stratégie possible : le peuple centrafricain doit être convaincu de ce que 
son avenir est entre ses mains. Ce futur espéré dépend des efforts qui seront 
consentis par chaque citoyen pour s'en sortir, individuellement ET 
collectivement. Seul le souci de l'intérêt général devra guider toutes nos 
actions. Dans cette optique, l'aide extérieure ne peut être que complémentaire 
et doit demeurer marginale.
Le Chef de l'Etat devra faire preuve de détermination 
et de pédagogie.
De notre point de vue, c'est dans cet esprit qu'il 
devra préparer la prochaine table ronde des bailleurs de fonds qui se tiendra le 
17 novembre 2016 à Paris. Dans la perspective de cette réunion, trois actions 
doivent être menées de front :
-        
dans un premier temps, il 
s'agit d'établir un bilan d'étape objectif et sincère du Fonds Békou, afin de 
déterminer l'efficacité de ce dispositif en termes de financement et de création 
d'emplois ;
-        
en second lieu, il convient 
d'élaborer un budget intermédiaire de fonctionnement (2017-2020) axé sur le 
financement de quatre priorités, la sécurité, l'éducation, la santé et 
l'habitat. Il faut en effet éviter les politiques d'éparpillement et de 
saupoudrage sectoriel qui viendraient récompenser des obligés politiques, mais 
n'auront aucun impact sur le bien-être et le cadre de vie des 
populations ;
-        
en troisième lieu enfin, et 
dans le souci du long terme, le gouvernement doit poser dès à présent, et faire 
acter par les participants à la Table ronde de Paris, le principe d'un grand 
projet fédérateur et intégrateur visant le désenclavement du pays, à travers la 
création d'une ligne de chemin de fer reliant la RCA à l'Atlantique et à la Mer 
rouge. Cette transversale africaine est un impératif (4). A ce titre, il 
convient de mettre en place le dispositif qui, dès à présent, devra conduire les 
études de faisabilité de ce projet, les démarches à accomplir auprès des Etats 
et partenaires privés intéressés par ce projet, ainsi que les modalités 
techniques et financières de sa mise en œuvre. A notre sens, deux structures 
doivent être créer pour conduire ce projet : une délégation 
interministérielle à l'aménagement du territoire pour la maîtrise d'ouvrage, et 
une société nationale du rail et des transports ferroviaires pour la maîtrise 
d'oeuvre.
Monsieur Faustin Archange Touadéra a promis revenir 
vers la communauté centrafricaine établie en France à la mi-novembre 2016, en 
marge de sa participation à la Table ronde des bailleurs de fonds en faveur de 
la RCA. Nous savons qu'il tiendra parole.
Paris, le 13 octobre 2016
Prosper INDO
Président du CNR.
- (1) : Prosper INDO : Reconstruire la RCA, peste et choléra voilà leur programme. Paris, 25 janvier 2016.
- (2) : Prosper INDO : Lettre ouverte à Monsieur Faustin Archange Touadéra. Paris, 22 février 2016.
- (3) : Yves LACOSTE : La géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre. Ed. Maspéro, Paris 1976.
- (4) : Prosper INDO : La nouvelle politique économique et sa structure de commande optimale. Paris, 22 décembre 2015.