La palabre n'est pas la recherche éperdue de l'unanimité.

 

 

Le 1er décembre dernier, l'armée centrafricaine a défilé, fière allure et bannière au vent, pour fêter le 58ème anniversaire de la proclamation de la République Centrafricaine. Je pensais notre armée inexistante. La veille de ce défilé, le président de la République a réaffirmé la logique de son action politique ; un programme de désarmement, démobilisation, réinsertion et rapatriement, négocié avec les groupes armés.

 

Une semaine plus tôt, le 21 novembre 2016, des affrontements armés entre deux groupes rebelles réunis au tour de Nourredine Adam et Ali Darass, avaient fait 115 morts, provoqué 76 blessés et quelques 11 000 déplacés. Les affrontements, qui se sont déroulés à Bria, préfecture de la Haute-Kotto située au nord-est du pays, se sont déplacés ces derniers jours vers Bakala, au centre.

Dans le même temps, à Paoua, le samedi 3 décembre 2016, une dizaine d'éléments de la milice Révolution et Justice du caporal Armel Sayo, ex-ministre des sports du gouvernement de transition, se sont reconvertis en braqueurs. Ils ont mis à sac le marché central de la localité et ont interdit au préfet de l'Ouham-Pendé de circuler dans sa circonscription, s'il n'obtient pas leur autorisation !

Rebellions et milices refusent donc de déposer les armes.

La stratégie de désarmement concerté du chef de l'Etat est de fait tenue en échec.

 

1 – La démocratie centrafricaine est en danger.

 

Par trois fois, le peuple centrafricain a déjà fait connaître sa volonté, le désarmement de tous les groupes armés : lors des consultations populaires à la base, lors du Forum intercentrafricain de Bangui, et à l'occasion des élections présidentielles. Le candidat Faustin Touadéra a été élu parce qu'il avait fait de la sécurité et de la réforme de l'armée le deuxième pilier de son projet de société. Neuf mois après son investiture, le désarmement patauge et le gouvernement tâtonne.

En refusant de suivre la volonté populaire, le président affaiblit la démocratie centrafricaine, parce que « l'élection est le pouvoir du « dernier mot » (1).

Faustin Touadéra doit s'y résoudre : la palabre forgée par nos ancêtres n'est pas la recherche éperdue de l'unanimité. La palabre, c'est le consensus, le choix majeur qui emporte tous les suffrages.

 

C'est pourquoi, entendre aujourd'hui l'ex-président François Bozizé appeler à la tenue d'un dialogue inclusif entre vrais Centrafricains, « base de la réconciliation sincère entre les Centrafricains, et gage d'un retour définitif de la paix dans notre pays », doit faire pleurer de rage nos compatriotes. Des dialogues inclusifs, la RCA en a connu pendant qu'il était au pouvoir, en 2003, 2006, 2008, 2011 et 2013 ; il n'en a respecté aucun !

Par sa démarche, François Bozizé vise à émarger aux 1 000 milliards de francs cfa promis à Bruxelles qui font tourner les têtes, rien de plus.

 

2 – A jouer les laquais du coche, on dort sur la paille.

 

Les 2,2 milliards de dollars obtenus des bailleurs de fonds internationaux, dont tout le monde se gargarise à Bangui, sont une niquedouille de promesse. En comparaison, le Burkina-Faso, qui défendait ce 7 décembre 2016 à Paris son plan de développement 2016-2020, a obtenu 12,4 milliards de dollars de la part de ces mêmes instances ! Ce décalage, pour ne pas dire grand écart, traduit le pouvoir de négociation et d'influence des autorités de Ouagadougou. Ils sont plus crédibles.

La raison en est simple : les dons et prêts concessionnels promis au Burkina-Faso ne représentent que 34 % des besoins de financement du plan de développement burkinabè ! Le gouvernement du président Marc Roch Kaboré a pris 66 % de ces investissements à son propre compte, en instituant une taxe sur le foncier, en promouvant une réforme de la collecte de la TVA et en promulguant une réforme fiscale qui porte à 20 % du PIB, contre 14 % actuellement, le taux de pression fiscale. En agissant de la sorte, le gouvernement burkinabè a suscité la confiance de ses partenaires financiers internationaux. Pourtant, en matière de ressources naturelles, le Burkina-Faso n'est pas plus favorablement doté que la RCA. Mais contrairement au pays de Barthélémy Boganda, celui des hommes intègres pratique la bonne gouvernance.

 

Les autorités de Bangui se complaisent dans une politique de gribouille. Comment interpréter autrement la réintégration dans l'armée centrafricaine, au grade de colonel, du déserteur Jean-Francis Bozizé ? Il aurait rejoint le service à la date du 1er octobre 2016. Ce dernier avait fui Bangui en compagnie de son père en mars 2013, au moment de l'avancée des troupes de l'alliance Séléka. Cette réintégration en catimini, qui fait l'objet d'un simple document de « Cessation de signalement de désertion d'un militaire », est une injure faite aux partenaires de la RCA, en particulier à l'ONU et aux troupes de la Minusca, alors que l'intéressé fait l'objet d'un mandat d'arrêt international pour crimes de guerre et violation des droits humains. Dans ces conditions les colonels Sylvain Ndountigaï et Parfait Mbay, peuvent prétendre au même traitement. Cette décision ouvre un droit similaire aux 700 militaires ou gendarmes qui ont déserté, et dont une grande partie constitue les réserves de la Séléka et des Antibalaka. A lire la doctrine militaire du président élu, les troupes rebelles qui sont actuellement cantonnées à Bria, Bambari, Kaga-Bandoro, Bogbangui, constitueront demain les futures garnisons des Faca.

En voulant témoigner sa reconnaissance à celui qui l'avait nommé Premier-ministre, le président Touadéra assujettit le peuple centrafricain à des intérêts particuliers.

On voit mal les bailleurs de fonds internationaux honorer leur promesse d'aide dans ces conditions.

 

3 – Le retour du népotisme.

 

L'autre dérive du moment ? Le gouvernement centrafricain s'est distingué ces derniers jours en présentant son projet de budget 2017. Il s'inscrit à hauteur de 191 milliards de francs Cfa, une paille ! C'est le montant le plus faible depuis une décennie. Ce projet de loi de finances doit être voté par les députés le 29 décembre prochain. Curieusement, il a été présenté et sera défendu par le ministre du Plan, de l'Economie et de la Coopération, et non par le ministre des Finances, liquidateur des dépenses de l'Etat !

Il y a là un exercice incompréhensible – si ce n'est de l'incompétence ou une marque de défiance tribaliste – qui bat en brèche les professions de foi du candidat Faustin Touadéra en faveur de la lutte contre la corruption, l'impunité, le népotisme, etc.

Rien de nouveau en cela, comme Gargantua l'enseignait à son fils Pantagruel : « Sapience n'entre point en âme malveillante » (2).

 

4 – L'Assemblée nationale enfin au complet.

 

Un an après le début des élections législatives en République Centrafricaine, le 140ème et dernier député vient d'être élu, à condition que le résultat soit validé par la Cour constitutionnelle de transition. Il s'agit de M. Gislain Samba Mokamanédé, proclamé député de la circonscription de Bimbo 1, après cinq annulations consécutives pour fraudes massives. L'heureux élu a obtenu 58,8 % des suffrages contre 41,13 % à son concurrent M. Molomadon Brice, Ruffin, Léon.

La présidente de l'Autorité nationale des élections (ANE) s'est félicitée de ce résultat : « le constat révèle un engouement considérable et déterminant puisque nous sommes à 26 % de participation contre 21 % précédemment ».

Prendre onze mois pour organiser une élection partielle qui n'atteint même pas 30 % des votants, dans une circonscription d'environ 50 000 électeurs, et en tirer gloire, c'est l'âne qui braie !

 

 

Paris, le 9 décembre 2016

 

Prosper INDO

 

(1)   Pierre Rosanvallon : « Une grande détresse démocratique », in L'Obs n° 2717 du 1 au 7 décembre 2016, pp.81-84.

(2)   François Rabelais : Pantagruel, Edition gallimard, 1964, p.137.