Les quatre visages de Maître i.

 

Alors que j'étais assis à ma table de travail, la tête entre les deux mains, mon fils m'interrogea sur l'objet de mes réflexions. Je répondis de manière automatique : je pense aux quatre visages de Maître i. Il afficha une moue dubitative. « S'agit-il d'un lettré chinois ou d'un érudit japonais » ? Non, fis-je. Il est question des quatre visages de la neuvième lettre de l'alphabet, i. Il se renfrogna. Je dus décomposer : i comme impuissance, i comme incompétence, i comme impunité et i comme insurrection. Mon fils tourna les talons, définitivement convaincu que son pauvre père, décidément, traversait une crise de delirium tremens.

En vérité, les quatre visages dont il est question ont un masque, celui des puissances tutélaires de l'ordre établi en République centrafricaine.

 

1 – Le masque de l'impuissance. C'est celui du chef de l'Etat, après les évènements dramatiques de Bangui et Kaga-Bandoro, dont on ne connaîtra jamais le nombre exact des victimes. Dans un discours convenu, le Président décréta une journée nationale de deuil et de prière. Cette bienveillante empathie, envers les victimes de cette nouvelle tuerie de masse, foule au pied la nature laïque de l'Etat centrafricain. Il n'appartient pas au chef de l'Etat d'appeler ses compatriotes à la prière, comme un quelconque muezzin. Son devoir est de réclamer la poursuite, l'arrestation et la traduction en justice des responsables de ce drame.

Déjà, au lendemain du meurtre du colonel Marcel Mombéka, le chef de l'Etat exhortait le peuple centrafricain au pardon et à la réconciliation nationale, allant plus loin dans le déni de la réalité : « Nos messages sont tout à fait simples : c'est le pardon, la réconciliation nationale et la cohésion sociale qui sont vraiment les seuls éléments qui vont nous permettre de sortir de cette situation. Il n'y a pas autre chose », a-t'il déclaré. C'est un aveu d'impuissance.

Le pardon est une vertu chrétienne qui a ses exigences. Il s'accorde lorsque l'auteur d'une offense reconnaît sa faute et, en même temps qu'il sollicite la miséricorde divine, implore le pardon de sa victime. Le prêtre accorde l'absolution, puisque le Seigneur ne renie aucun de ses fils quel que soit le péché, mais la victime a droit à réparation avant d'offrir son pardon.

Sans être un spécialiste du droit canon, j'ai peur que le Président ne prêche dans le vide, entouré par le conclave des pasteurs méthodistes qui l'entourent, l'isolent et l'entretiennent dans l'illusion.

 

2 – Le masque de l'incompétence. Il est celui de la Minusca dont la figure emblématique est celle du représentant personnel du Secrétaire général des Nations Unies. Celui qui a pris la succession du général sénégalais Babacar Nguèye, emporté par le scandale des abus sexuels sur mineurs commis par les troupes de l'Onu, et qui était considéré comme le Monsieur Propre des forces de maintien de la paix en RCA, avait prévenu : « Notre autorité est quasi nulle sur le comportement des soldats onusiens, qui restent sous le commandement de leur pays » ! (1) Ainsi donc, c'est le général Raheel Sharif, COAS (Chief of Army Staff) du Pakistan, qui est le véritable commandant des troupes pakistanaises de maintien de la paix déployées à Kaga-Bandoro, localité située à 12.000 kilomètres d'Islamabad, la bien nommée. Autrement dit, le 12 octobre 2016, lorsque les hommes armés de l'ex-Séléka ont attaqué les habitants de Kaga-Bandoro réfugiés à l'évêché, les soldats pakistanais ont sans doute demandé le « Go no go » à leur état-major, mais l'ordre d'intervention était déjà caduc avant d'être donné ; il était déjà le 13 octobre 2016 à Islamabad, pour tenir compte du décalage horaire. Il faut en effet 166 heures pour aller d'Islamabad à Kaga-Bandoro par le Trans-Sahara Highway N1, soit 36 heures à vol d'oiseau !

On comprend pourquoi la « tolérance zéro » prônée par M. Ban Ki-Moon demeure lettre morte. Ainsi, la Minusca peut se prévaloir de connaître l'identité du meurtrier de l'ancien aide de camp de la présidente de transition Catherine Samba-Panza, mais ne peut l'appréhender. Ce dernier étant retranché dans l'enclave musulmane du quartier Km.5.

Le ministre centrafricain de l'Intérieur aura beau s'égosiller, il ne peut cacher l'inefficacité de ses propres services. La cause est donc entendue, car à chaque fois que la Minusca procède à des arrestations, c'est le parquet centrafricain qui libère. On tourne en rond.

 

3 – Le masque de l'impunité. Il ya neuf mois de cela, l'actuel président de l'assemblée nationale centrafricaine jouait le rôle du « petit télégraphiste » auprès du médiateur de la crise en Centrafrique, le président congolais Denis Sassou-Nguesso. Il s'était entremis pour obtenir la libération du chef rebelle tchado-centrafricain Abdoulaye Miskine, incarcéré au Cameroun pour assassinat, en échange de la mise en  liberté de plusieurs otages dont un prêtre polonais, de son mouvement. Un jet privé avait reconduit Abdoulaye Miskine à Brazzaville où lui furent prodigués honneurs et viatiques.

Ayant tout dilapidé, le chef rebelle a repris le chemin des maquis. Il détient à nouveau une quinzaine d'otages camerounais, pour lesquels il réclame une rançon de 10 millions de francs cfa.

Le nouveau président de l'assemblée nationale centrafricaine, dont les largesses sont bien connues, doit certainement avoir gardé quelques fortunes pour solder cette exigence subalterne de 1.500 €.  Voilà comment l'impunité s'entretient et prospère au pays de Barthélémy Boganda, l'apôtre de la dignité de l'Homme Noir.

 

4 – Le masque de l'insurrection. C'est le turban qui enveloppe la tête du chef rebelle Al Khatim, responsable des tueries de Kaga-Bandoro, chef-lieu d'une région dont il se prétend le sultan. Lors de la visite chahutée du président Touadéra dans cette localité, le dit « général » s'est entremis parmi les autorités du coin. Le protocole ne dit pas si les deux hommes se sont donné l'accolade. Il se trouve en effet que Al Kahatim figure au rang des étrangers qui doivent faire l'objet d'une mesure de reconduite aux frontières dans le cadre du programme de « désarmement concerté » cher au président centrafricain, le DDRR !

Au moment où le président Touadéra était à Kaga-Bandoro, les chefs rebelles de l'ex-séléka tenaient une assemblée générale à Bria, l'autre check-point de la Minusca. Deux jours durant, les 18 et 19 octobre, ils ont débattu et reconstitué la ligne hiérarchique de leur alliance.

Au plan militaire, le poste de chef d'état-major est attribué à un certain Abdoulaye Hissène, jusqu'alors conseiller à la sécurité de la présidente de la transition ; le poste d'état-major adjoint est dévolu au bourreau de Bambari, Ali Darassa de l'UPC ; Al Khatim étant lui promu sous-chef d'état-major. Bien entendu, Nourredine Adam, Zacharia Damane et Joseph Zoundéko se partagent les postes du bureau politique.

En Centrafrique, les chefs rebelles ont donc pignon sur rue et attendent tranquillement que le pouvoir leur échoit, forts de l'appui de leur parrain tchadien. En effet, si l'on en croit le nouvel ambassadeur du Tchad à Bangui, dans sa lettre de créances, « La RCA et le Tchad sont unis dans un mariage chrétien », autrement dit, « indissoluble », l'un considérant l'autre comme sa province ! 

On ne se méfie jamais assez, du poids des mots.

 

 Paris, le 24 octobre 2016.

 

Prosper INDO

Président du CNR

 

 (1) Jeune Afrique n° 2851 daté du 30 août au 5 septembre 2015: “Parfait Onabga-Anyanga, Un Monsieur Propre à la Minusca”.