PLAIDOYER POUR LES ENSEIGNANTS

 

 

   L'actualité me commande de commencer mon propos par les élections qui se multiplient sur la planète, et singulièrement sur le continent africain, laissant espérer une avancée substantielle de la démocratie. Laissant espérer la liberté de penser, la liberté de critiquer, la liberté d'entreprendre, la liberté d'écrire, la liberté de voyager et l'avènement d'un monde moins inégalitaire. Une telle avancée est-elle vraiment possible ?

    Peut-être pas pour demain. Car une hirondelle ne fait pas le printemps. L'avalanche des élections pourrait n'être due qu'à une simple coïncidence de leurs dates. Ne rêvons pas.

    Revenons sur terre, et pour quelques secondes encore, à la présidentielle centrafricaine, qui semble avoir fait école. Le Bénin vient d'aligner, pour le premier tour de sa présidentielle, trente-trois candidats ! Presque autant que nous.

    Parmi les candidats béninois se trouve Lionel Zinsou, l'ancienne plume de Fabius Premier ministre, estampillé « candidat de la France ».

     

1. OU L'ON RETROUVE UN BANQUIER ET UN MILLIARDAIRE

 

    Monsieur Zinsou nous rappelle Ziguélé, mais contrairement au patron du MLPC, il est passé premier, à l'issue du premier tour, comme Dologuélé. Avec qui il partage aussi la profession de banquier. Une profession qui a le vent en poupe, dans un monde dominé par l'argent, où la crise des subprimes continue d'obnubiler certains jugements, où le moindre point perdu à la Bourse de News York fait grincer des dents, et où les politiques peinent à redresser l'économie de leurs pays et à éradiquer le fléau du chômage. Cette profession voudrait concentrer dans ses mains et le pouvoir financier et le pouvoir politique, pour une meilleure gouvernance.

    Fini le temps où les milliardaires se cachaient pour vivre heureux. Fini le temps où ils érigeaient des montagnes de dollars, puis quittaient leurs entreprises pour gérer leur fortune et aider les œuvres caritatives. Aujourd'hui, ils visent le sommet de l'Etat, en affichant comme atout décisif ou argument massue leur réussite financière.

    Aux Etats-Unis par exemple, l'un des candidats aux primaires en vue, celui qui défraie la chronique, est un milliardaire, Donald Trump. Un candidat atypique, imbu de lui-même, et probablement de préjugés et de dollars. Qui n'hésite pas à invectiver les femmes journalistes, dans un des rares pays au monde où cette profession peut pousser à la démission un président. Par ses outrances, il a fait baisser d'un cran ou de deux le niveau des primaires américaines, que je mets, en termes de tenue, en deçà de la campagne centrafricaine.

   Comme toujours, en Centrafrique, le mal vient des seconds couteaux. Ce sont eux qui s'envoyaient des boules puantes. Les trente candidats, et particulièrement les deux finalistes se sont respectés au point de ne pas se contredire, et même de ne pas débattre lors de leur « débat télévisé » : chacun s'est contenté de décliner son projet de société. Et tant mieux pour la RCA, qui n'avait pas besoin d'une joute oratoire, dans son état de fièvre intermittente, qui pouvait à tout moment déboucher sur une reprise des hostilités.

    Je me réjouis que tous les projets de société aient acté l'état de délabrement de l'Education nationale, et se soient engagés à y remédier. Ce ministère n'est plus ce qu'il était. Sous Bokassa le mégalomane, le bouffon,  il avait acquis ses lettres de noblesse, que les successeurs de l'empereur se sont empressés de les lui enlever.

 

2. L'AGE D'OR DE L'EDUCATION NATIONALE

 

    Si Touadéra avait accédé au pouvoir dans les années 70, où l'engouement de ses compatriotes pour les diplômes était extrême, on aurait mis en tête de ses atouts gagnants son doctorat d'Etat.

    Les années 70, l'enfance de l'enseignement en Centrafrique, son âge d'or, hélas ! En ce temps-là, je l'ai déjà dit, les enseignants et les petits commerçants formaient notre classe moyenne, qui s'est aujourd'hui paupérisée. Les élèves et les étudiants de parents pauvres n'avaient pour tout viatique, pour tout piston que leurs diplômes. C'était le bon vieux temps, où tous les diplômés centrafricains étaient assurés d'avoir un emploi, le temps d'avant le sacre de l'ethnie, son érection au rang de diplôme universitaire.

    Le pays était déjà entre les mains des étrangers, mais des mains  pacifiques, venues enseigner dans nos écoles, qui manquaient cruellement de professeurs.

    Au lycée de Bambari où je me trouvais, il y avait des Russes, en fait des Soviétiques, des Américains, des Français, des Centrafricains bien sûr, et même une Iranienne. Plusieurs nationalités, deux idéologies qui s'affrontaient à fleuret moucheté, et un corps enseignant au sein duquel régnait une saine émulation, pour le plus grand profit des apprenants.

    Nous étions fascinés par nos professeurs, par leurs diplômes, leur cursus, qu'ils ne nous présentaient pas spontanément, mais à la suite de questions dictées par notre curiosité. L'un d'eux, le Russe Chirobokov, avait acquis, à nos yeux, le statut de véritable star. Parce qu'il avait sauvé d'une déroute nationale l'épreuve des mathématiques du brevet des collèges. Ce jour-là, quinze minutes après le début de l'épreuve, il était entré dans notre salle, en compagnie de l'excellent proviseur Gollondo, pour nous informer qu'il avait découvert une erreur dans l'équation, qui la rendait insoluble.

    Aujourd'hui, les coopérants sont repartis chez eux. Ils ont été remplacés par des nationaux. Et comme par hasard, l'enseignement s'est effondré comme un château de cartes.

     Je ne rends pas les enseignants, de simples prolétaires, responsables de cet effondrement. Plusieurs de mes amis sont morts, dans les années 90, dans le dénuement. L'un d'eux avait refusé de venir avec nous en France pour rester servir son pays, au lycée des Rapides où il enseigna, et au lycée de Berbérati où il trouva la mort. L'Education nationale qu'il aimait tant ne l'a pas fait transférer à Bangui pour des soins appropriés.

     Tout le système éducatif centrafricain reposait, en raison de sa jeunesse, de son inexpérience et du caractère ambivalent de ses coopérants ( aide ou acculturation ), sur des bases fragiles, que les arriérés de salaires ont fini par saper durablement. On a alors commencé à vendre le baccalauréat, à tarifer les contrôles, les partiels, et même à monnayer certains cours.

    L'Education nationale a atteint un degré de décrépitude qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Certains postes sont obtenus par copinage. D'autres plus importants ont été transformés en échoppes, pour un commerce infamant. Et c'est du fond de sa décrépitude qu'elle vient de donner un président à son pays. Elle en attend naturellement un retour sur investissement.

 

                                             GBANDI Anatole

(12/03/2016)