Pour quand le changement ?
« Je sais
que les grandes
tragédies
de l'histoire
fascinent souvent
les hommes
par leurs
visages horribles,
ils restent alors immobiles devant elles sans pouvoir se décider à rien
qu’à attendre. Ils attendent, et la Gorgone un jour les dévore. »
(1)
Cette
réflexion d’une vérité crue et empreinte d’une grande lassitude traduit une
situation de la République centrafricaine restée intacte : car, comme avant
les élections présidentielles et législatives et le retour internationalement
reconnu de la démocratie comme corollaire, nous n’en avons pas fini avec les
assauts et luttes armées où Sélèkas et Anti-Balakas cherchent à en découdre.
Les informations égrènent chaque
jour des attaques contre la population, des pillages et des meurtres et, en
regard, les nouvelles autorités nous gratifient à saturation de la promesse
qu’elles sont déterminées à tout faire pour que cesse le désordre et que soient
rétablies la sécurité et la paix. Le nouveau Président chercherait à se
convaincre soi-même qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Le Peuple
centrafricain en revanche et visiblement n’est point dupe et se lasse
de ce qui sonne comme une ritournelle insipide et des incantations
creuses.
S'il
est trop tôt, au bout de 100 jours, pour faire un bilan, c'est tout aussi une
gageure que de laisser accroire que le Pays est en marche et sur la bonne voie.
« Le Discours-bilan » du 9
juillet 2016 en est tout simplement un « copié-collé » et nous renvoie
aux engagements de ce 30 mars 2016, jour de l’investiture du Président
TOUADERA. Un ton de ritournelle ? Le « J’ai instruit le Gouvernement pour que»,
moult fois seriné nous fait
retrouver autant de fois les engagements pris lors de l’investiture pour
que « soient améliorées
les conditions de vie de nos compatriotes ».
Mais, comme Sœur Anne, le Peuple centrafricain ne voit toujours rien venir
(2).
Je retrouve ici -et venant à propos- ce que j’écrivais le 1 décembre 1991 pour
introduire un billet sur la Conférence nationale et notre aspiration à la
Démocratie en Centrafrique :
« En attendant Godot » (3) :
Godot
n’arrive pas…
Mais
il peut arriver : rien ne s’y oppose !
Mais
il peut ne jamais arriver : rien ne s’y oppose non
plus !
Vladimir
et Estragon sont ainsi confrontés à une attente pleine d’incertitudes.
Mais
il faut passer le temps : une manière de dépasser le temps, d’en sortir, de
le nier.
Ils
choisissent de parler : de tout et de rien.
Et
la Parole devient dès lors le lieu symbolique de l’espoir et du désespoir mêlés
du cœur humain.
Même
à s’en tirer avec l’habile pirouette qui voudrait que toute ressemblance avec
des personnes existantes ne soit ici que fortuite, j’avoue qu’il y a bien
quelque irrévérence dans cette assimilation du Président de la République et de
son Premier-Ministre aux personnages de Vladimir et d’Estragon et de la
gouvernance actuelle en République Centrafricaine au théâtre de Samuel Becket.
Mais comment s’y prendre autrement devant cette avalanche d’incohérences où des
mots succèdent à des mots et ne sont suivis d’aucune action concrète ? Tout
est projection sur le futur : et jusqu’à la survenue du changement qui se
fait attendre le quotidien du Peuple centrafricain est toujours le même :
une cascade de malheurs : des bruits de guerres, des assassinats, des
pillages et des destructions diverses de patrimoines.
Géniale
initiative que celle de créer des garnisons dans nos régions et au plus près de
la population pour assurer, avec la
sécurité et la paix, l’idéal du bien vivre ensemble. Du Moyen-Congo au Tchad la
création de « forts » le long des voies reliant les terres
conquises : Fort-Rousset, Fort-Possel, Fort-Sibut, Fort-Crampel,
Fort-Archambault, Fort-Lamy… a démontré l’efficacité de l’entreprise : elle
a mis fin à la terreur que faisaient régner Rabah et Sénoussi, dissuadé ou, à
tout le moins, limité les razzias esclavagistes. Mais le Ministre de la Défense
se souvient-il que M. Djotodia et la Sélèka ont mis en place des « Régions
militaires » entre les mains et sous l’autorité des milices armées comme
les Peulhs en Région Centre ? Leur démantèlement nous apparaît comme une opération préalable
indispensable ; et il n’est point annoncé.
Il
est un autre préalable qui, non effectif, rend le projet plus illusoire encore…
Les négociations sont toujours ouvertes pour faire lever l’embargo sur les armes
destinées à équiper une armée centrafricaine qui n’existe pas encore : si
ce n’est comme projection dans un futur non défini !
Qu’il
est long le chemin qui doit conduire à la délivrance !
En
attendant des discours ! Rien que des discours !
« Au
commencement était la Parole ! » (4) :
mais la parole créatrice de réalités ou d’existences vraies est le privilège des
dieux ; à la dimension de l’homme elle circonscrit le monde de l’évasion,
l’univers de nos rêves comme de nos illusions et
nostalgies.
« Au
commencement était l’action » : cette déclaration de Goethe situe
l’heure de l’homme : c’est par l’action, le travail et l’effort pour
se dépasser et transformer effectivement toutes situations qui se présentent à
lui que l’homme sortira des rêves et des illusions, se réalisera et deviendra
meilleur.
Quelle
heure est-il en République Centrafricaine ?
Barthélemy
MANDEKOUZOU-MONDJO
15
Juillet 2016
Notes
(1) Albert Camus : La-Guerre-d-Algerie-vingt-cinq-ans après : la
Toussaint 1954-1955
(2) « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? » -
« Je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie. »
(Charles Perrault, Contes de ma Mère l’Oye, Barbe
Bleue).
(3) Samuel Becket, Théâtre, 1952.
(4) Prologue de l’Evangile de Jean, chap. 1, vers.
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