Toute cette violence !

 

« Toute cette violence ! », telle est l'amer soupir que poussa Eliott Ness, à l'issue du procès Al Capone (1). S'il revenait aujourd'hui, le célèbre détective des « Incorruptibles » ne serait pas dépaysé. La violence a décuplé, autant physique que moral, par les mots et par les actes.

 

I – Un monde de violence.

La planète Terre est devenue un monde de violences ultimes. C'est une folie meurtrière dont les causes, les ressorts et les conséquences sont de très grande ampleur. Elle touche les vivants, la nature, l’environnement, l'espace extraterrestre (2). Tous les rouages de la société sont entachés : assassinats individuels, meurtres collectifs, crimes de masse, génocide, attentats ciblés, etc.

Cette violence généralisée est telle qu'on envisage dorénavant de « préparer la troisième guerre mondiale, pour ne pas avoir à y faire face » (3) !

Elle apparaît inéluctable et opposerait, d'un côté les États-Unis et leurs alliés au sein de l'Organisation du traité de l'atlantique nord (OTAN), de l'autre côté la coalition Chine, Russie, Iran voire Afghanistan. Le centre du monde se déplacerait de l'océan atlantique vers la zone indopacifique.

 

II – L'Afrique noire n'est pas hors d'affaire.

Dans cette nouvelle configuration, l'Afrique aurait tort de ne pas se sentir concernée. Victime de la traite négrière, de l’esclavage et de la colonisation, elle a subi de plein fouet les conséquences des deux précédents conflits mondiaux, entre exploitation humaine et balkanisation. Inexistante au temps de la Société des Nations (SDN), elle est inaudible au sein de l'ONU.

La pandémie du Covid-19 a révélé les failles béantes de l'inégalité Nord-Sud, où la communauté internationale se rétrécit aux seuls intérêts de l'occident (4). Après avoir longtemps professé la libre circulation des biens, des hommes et des capitaux dans le cadre de la division internationale du travail, comme seule stratégie de gestion rationnelle et efficiente des ressources naturelles mondiales, voici désormais l’occident érigeant des murs et des barrières pour contraindre les migrations internationales, contrarier l'industrialisation des pays émergents ou limiter le champ d'action des autres puissances économiques, en recherchant des alliances de circonstance.

En ce qui le concerne, le continent noir regorge de ressources naturelles et pourrait se suffire à elle-même, si la société africaine n'était pas asservie ni assujettie, et ses dirigeants si vils et si veules. Pourtant, il est fini le temps du « Oui bwana, merci bwana » ! L'Afrique n'a plus qu'une seule voie, celle des Etats africains unis (Eau) et la recherche d’un éventuel traité de l’organisation de l’atlantique sud, autour du concept de panafricanisme(5).

 

III – La RCA de nouveau dans la tourmente.

 

1 – La logique de l’esprit impérial.

Dans une interview accordée au quotidien français Le Monde, daté du samedi 25 septembre 2021, Mme Florence Parly, le ministre français des armées, a évoqué le cas centrafricain afin de dissuader la République du Mali de négocier avec la société de sécurité privée russe Wagner : « Si on regarde ce qu'il se passe en République centrafricaine, ces mercenaires sont des artisans de l'érosion de la souveraineté du pays, qui accaparent les ressources minières et désormais les rentes douanières » (6). Madame Parly oublie de préciser que si la RCA en est arrivée à cette extrémité, c'est parce que la France, sur décision de Jean-Yves Le Drian alors ministre de la défense nationale, s'est retirée du pays en décembre 2015 contre le gré des autorités centrafricaines de l'époque, laissant les populations civiles à la merci des groupes terroristes armés. Pis, depuis la signature de l'accord de coopération militaire avec la fédération de Russie, Paris cherche à étrangler le Centrafrique par tous les moyens, politiques, économiques, militaires et … informationnels, dans la pure tradition de la Françafrique (7) ! L’affaire des sous-marins australiens et des bateaux de pêche anglais révèlent l’image agressive et vindicative de la nouvelle diplomatie française. Par une telle violence, la RCA se retrouve de nouveau dans la tourmente.

Mais au lieu de relever le défi de cette tentative de subordination et de soumission, en prenant des actes concrets nécessaires à l'émancipation et à la sauvegarde de la dignité du peuple centrafricain, les autorités de Bangui font dans la diversion en allumant des contrefeux contradictoires.

-          C’est le ministre chargé des finances et du budget qui émet, le 6 octobre 2021, un décret signifiant la fin de la mission d’assistance technique russe auprès des postes de la douane centrafricaine, chargée « d’aider à identifier les leviers permettant une mobilisation accrue des ressources domestiques ».

-          C’est le président de l’Assemblée nationale centrafricaine qui, le 15 octobre 2021, délivre un satisfecit aux instructeurs militaires russes reçus dans l’hémicycle (8).

-          C’est le président Touadéra qui décrète, ce même 15 octobre 2021, un cessez-le-feu unilatéral avec effet immédiat, pour se conformer, dit-il, à la feuille de route – la onzième en huit ans - prise le 15 septembre 2021, lors de la réunion des pays membres du Comité des grands lacs (9).

-          C’est la ministre chargée des affaires étrangères et des Centrafricains de l’extérieur qui, le 21 octobre 2021, répondant à une interview sur RFI, taxe en un langage peu diplomatique son homologue français de tenir des « propos mensongers et diffamatoires » !

On découvre ainsi un pouvoir centrafricain sans doctrine et sans vision, voire sans stratégie, naviguant à hue et à dia. Entre ruse et stratagèmes, tout se passe comme si les autorités de Bangui faisaient allégeance aux Français d’un côté, tout en amadouant les Russes de l’autre ! Entre la logique de la collaboration servile et la logique de la rupture, elles demeurent au milieu du gué, ne sachant choisir entre le caïman et l’hippopotame, au risque d’être dévorées par les deux.

 

2 – La revanche des va-nus pieds.

Dans le même temps, alors que le président Touadéra s’envole pour Glasgow, on apprend que :

-          Le président de l’Assemblée nationale a introduit un recours pour la levée de l’immunité parlementaire de trois chefs de groupes parlementaires. Pour quel motif et sur quelle saisine ?

-          Le gouvernement a édité un décret interdisant la sortie du territoire national à de nombreuses personnalités politiques de l’opposition démocratique.

Ces mesures entraînent de facto le retrait des représentants de la coalition de l’opposition démocratique qui siégeaient au sein du comité d’organisation du dialogue républicain, et donnent un prétexte aux rebelles de la Coalition pour le changement en Centrafrique (CPC) de reprendre le chemin de la guerre. Rompus à la discipline des rituels, ces derniers se voient déjà au pouvoir à Bangui au mois de décembre 2021, comme ce fut le cas avec François Bozizé en décembre 2003, et avec Michel Djotodia en décembre 2012. La dernière communication vidéo du nommé Abakar Sabone s’inscrit dans cette logique. Mais le CPC ne peut se risquer dans une telle aventure qu’avec le soutien de l’armée tchadienne et la logistique aérienne (drones) de l’opération Barkhane. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’incident ayant opposé la garde présidentielle avec le contingent égyptien de la Minusca, aux abords de la résidence privée du chef de l’Etat centrafricain. C’est un coup de semonce, un test de la réactivité de l’unité de protection du chef du président Touadéra.

De leur côté, cachés derrière leurs parrains russes, le président de la République et celui de l’Assemblée nationale jouent les duettistes. Ils se voient au pouvoir pour l’éternité, en alternance, à l’exemple de Poutine et Medvedev !

Au moment où le monde entier commémore le centenaire de « Batouala » – le roman prix Goncourt de l’écrivain René Maran  – les héritiers de l’illustre enfant de Grimari s’adonnent aux délices d’une conception égotique du pouvoir. Hier, ils allaient pieds nus, les orteils perlés de chiques et l’estomac encombré de bilharzioses. Aujourd’hui, sertis de leurs titres universitaires de professeur et docteur, ils s’inventent dictateurs. C’est la revanche des va-nus pieds. En la circonstance, la vanité est la mère de tous les vices !

 

Paris, le 03 novembre 2021

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

 

(1)   – Les Incorruptibles, film policier de Brian de Palma, 1987, sur ARTE, le dimanche 26 septembre 2021.

(2)   – Les pays membres de l’ONU tels que les Etats-Unis (avec Trump) ou la France (avec Macron) ont créé chacun une armée de l’espace, en contradiction avec les conventions mêmes de l’organisation qui considère l’espace comme une zone démilitarisée.

(3)   – Jean-Yves Heurtebise : « Se préparer à la 3ème guerre mondiale pour l’éviter », in Le Monde du 17 juillet 2021, p.30.

(4)   – Florence Parly : « Soit l’Europe fait face, soit l’Europe s’efface ! », in Le Monde du 26 septembre 2021, p.2.

(5)   – Le panafricanisme tel que défendu ici renvoie aux liens qui doivent exister entre les Etats africains indépendants et tous les afro-descendants partout dans le monde.

(6)   – les rentes douanières dénoncées par la ministre française des armées renvoient au pourcentage de 50 % du montant des exportations de la RCA confisqué par la France au titre de la garantie de convertibilité du franc CFA qui échappe au budget centrafricain.

(7)   – Les mesures de rétorsion prises par la France concernent le vote de l’embargo sur les armes imposé au pays, le retrait de la coopération militaire française aux forces armées centrafricaines, l’asphyxie financière de la RCA à travers les mécanismes de la zone franc CFA (blocage des réserves de change du pays), l’humiliation diplomatique des autorités légales et légitimes du pays par une stratégie sélective de délivrance de visas d’entrée dans l’espace européen ou de refus de titres de séjour sur le territoire français, et l’atteinte à la vie privée du chef de l’Etat centrafricain en laissant filer dans la presse l’information selon laquelle M. Touadéra et son épouse Tina Marguerite bénéficieraient d’un logement social à loyer modéré (HLM) à Villeneuve d’Ascq, dans le nord de la France depuis 2011 !

(8)   – Le message est le suivant : « Au nom des Elus de la Nation centrafricaine et en mon nom personnel, je vous adresse nos sincères félicitations pour votre bravoure ainsi que nos encouragements soutenus pour la poursuite de votre noble mission dont les résultats sont reconnus par le peuple que nous avons l'honneur de représenter à l’Assemblée nationale ».

(9)   – Une semaine plus tôt, le 8 octobre 2021, lors de l’ouverture d’un séminaire gouvernemental, le même président n’hésitait pas à demander l’observation d’une minute de silence, « en mémoire des victimes innocentes des crimes barbares et odieux commis par les rebelles de la CPC, il y a trois jours sur l’axe Bambari-Alindao » !