Trop, c'est trop ! Le martyr de Bocaranga.

 

Quinze morts ces derniers jours à Bocaranga ! Les groupes armés continuent leur œuvre dévastatrice de morts et d'exactions diverses contre les populations civiles en Centrafrique.

 

Il ya deux mois, le16 décembre 2016, les députés des régions de l'Ouham et de l'Ouham-Pendé se sont rendus à Bocaranga, à la rencontre des responsables des groupes armés, pour les dissuader de la violence et les convaincre d'intégrer le processus de désarmement, démobilisation, réinsertion et rapatriement (DDRR). Apparemment, la démarche entreprise par ces parlementaires, dont MM. Anicet-Georges Dologuélé (président de l'URCA), Martin Ziguélé (président du MLPC) et Bernard Dilla, est un échec.

L'initiative qui consiste, pour des élus de la Nation, à discuter hors tout cadre légal avec des rebelles, est une mauvaise stratégie. Elle abouti à accorder crédit et reconnaissance officielle à des groupuscules sans ancrage. Elle tend en outre à provoquer un appel d'air pour d'autres brigands, chasseurs des primes.

 

L'initiative de ces parlementaires est d'autant plus insolite qu'ils se sont rendus sur place dans un hélicoptère de la Minusca, accompagnés par le leader du groupe armé Révolution et Justice, ancien officier des forces armées centrafricaines et ancien ministre, le commandant Armel Ningatoloum Sayo ! Ils étayent ainsi les soupçons de connivence entre les Casques bleus et les groupes armés.

 

L'attaque sur la ville de Bocaranga pose les limites de la politique de « désarmement concerté ». On se demande  d'ailleurs combien faudrait-il de morts pour que le coût humain de cette logique puisse contraindre les autorités centrafricaines à reconnaître leur erreur de stratégie.

 

Voilà pourquoi la question du révérend père capucin Aurélio Guzzera, curé de la paroisse de Bocaranga, est pertinente : « Comment est-il possible que 60 personnes terrorisent une ville de 15.000 habitants, sans compter les déplacés ? D'où trouvent ils les armes, dans quel but, pour obtenir quoi ? »

Répondre à cette question simple, en particulier sur la provenance des armes, permettrait au président de la République et à son gouvernement de trouver des solutions concrètes sur les moyens de faire échec aux groupes armés, à leur entreprise et à leur emprise sur la société centrafricaine.

 

Or, pendant que les éléments du groupe armé « 3R » de Sidicki et les miliciens anti-balaka s'affrontent à Bocaranga, le président Touadéra et son gouvernement étaient à Bossangoa, à 120 kilomètres de là, pour « relancer la filière cotonnière en payant des arriérés aux producteurs ». Est-ce le rôle d'un chef d'Etat de jouer le sous-préfet aux champs, alors que tout autour il n'y a que sang et larmes? Sommes-nous condamnés à réciter tous les jours l'Oceano Nox de Victor Hugo? (1)

 

En vérité, la visite de Bossangoa est un geste en direction du président déchu François Bozizé, originaire de la ville : « Je lance un appel pressant à tous les hommes politiques, à tous les fils et filles de Centrafrique, pour une union sacrée comme nous l'avions démontré à plusieurs reprises, pour dire NON aux groupes armés qui sont encore actifs dans certaines régions », a t'il prié (2). Et d'ajouter, « Après Bruxelles, … , l'heure est à la mobilisation des financements annoncés ».

L'appel de Bossangoa est un acte d'allégeance (3).

Le président Touadéra se doute bien de la réalité des faits : il n'y aura pas de financements internationaux tant que perdurera le désordre.

 

Paris, le 6 février 2017

 

Prosper INDO, économiste

Président du CNR.

Post scriptum 1 : Le casting du gouvernement Touadéra-Sarandji commence à faire scandale, ou du moins la pusillanimité de ses chefs interroge. Hier, on reprochait à la présidente de la transition sa cupidité et son népotisme, mais au moins elle faisait preuve d'autorité lorsqu'un membre de son gouvernement dérapait. C'est ainsi que le ministre du tourisme, accusé de viol d'une mineure, fut démis de ses fonctions et condamné à 5 ans de réclusion criminelle dont 3 avec sursis ; celle de la communication fut écartée, suspectée pour la mauvaise gestion du budget mis à sa disposition dans le cadre du Forum intercentrafricain de Bangui.

Aujourd'hui, c'est la politique de l'autruche : les images d'une sextape lubrique et pornographique du ministre des mines circulent sur la Toile, on ferme les yeux. Le ministre du commerce ainsi que le procureur de la République de Bouar et 4 gendarmes, sont mis en cause par le tribunal de grande instance de Bangui pour escroquerie et extorsion de fonds au détriment d'un jeune commerçant, M. Olivier Houlami, rien ne se passe. Le directeur général de la gendarmerie nationale tient tête au ministre de l'intérieur et interdit l'accès de ses bureaux à son supérieur hiérarchique, on feint l'indifférence. Les deux chefs de l'exécutif donnent l'impression d'évoluer dans un film des comiques anglais Laurel et Hardy, persuadés sans doute qu'il s'agit d'affaires privées. Ils ont tort, c'est l'image d'exemplarité de la classe politique qui est entachée, et l'impunité qui s'étend.

 

Post-scriptum 2 : Où sont-ils ? Que sont-ils devenus ? Naguère les forces armées centrafricaines étaient réputées combattantes et disciplinées, à l'exemple du BTFAC (bataillon des transmissions des forces armées centrafricaines). Elles étaient commandées par de jeunes officiers supérieurs  diplômés et résolument professionnels. Ces derniers, où sont-ils, que sont-ils devenus ?

Après l'alternance de 1993 et les mutineries de 1996/98, ces derniers furent ébouillantés vifs, battus à mort, exécutés à bout portant, emportés par la maladie, écartés des hautes fonctions et placardisés, remplacés par quelques cancres sous-officiers et officiers subalternes, jaloux et prétentieux, voire des mercenaires tchadiens avides de richesses. C'était sous le régime du président Ange-Félix Patassé et son ministre de la défense, François Bozizé. L'armée centrafricaine fut décapitée.

Le résultat est là, sous nos yeux : une armée en lambeaux et des milices privées toutes puissantes !

 

 

(1)   – Victor Hugo : Oceano Nox in  « Les rayons et les ombres ». Recueil de Poèmes, 1840. On récitera pour mémoire les vers de la troisième strophe :

                                

Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !

Vous roulez à travers de sombres étendues,

Heurtant vos fronts morts des écueils inconnus.

Oh ! Que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un rêve,

Sont morts en attendant tous les jours sur la grève

Ceux qui ne sont pas revenus.

 

(2)   – L'Union sacrée est un mouvement unanimiste, un pacte de type républicain et patriotique rassemblant toute la population d'un pays, au delà des partis pris politiques, syndicaux et religieux. Elle suppose un appel à la mobilisation générale de la population pour mener la guerre contre un ennemi extérieur, un Etat étranger. Ce fut le cas en France, à l'aube de la première guerre mondiale contre l'Allemagne. Ce concept  est ici inapproprié et ne peut donc s'appliquer à la situation de la RCA ; un peuple ne peut pas se mobiliser contre lui-même, ou c'est la guerre civile !

(3)   - L'escapade présidentielle à Bossangoa a été rendue possible car 196 éléments des anti-balaka, qui ont déposé les armes et se sont inscrits dans le cadre du programme pré-DDR, ont participé aux travaux de nettoyage et d'embellissement de la ville initiés par l'initiative THIMO, contre bourses déliées. Depuis, ces éléments servent de supplétifs au sous-bureau local de la Minusca ! Que se passera t-il lorsqu'ils ne seront plus rémunérés ? Qu'en pensent leurs victimes ?