ELUCUBRATIONS N°
4
Des actes
fondateurs
Plus de cinquante ans après l’indépendance, l’humilité nous force à
accepter l’échec complet de tous les gouvernements à développer le Centrafrique
. De coups d’Etat militaires en mutineries diverses jusqu’à l’irruption brutale
de la « Séléka », nous nous sommes entre-tués longtemps avant d’aider
les étrangers djihadistes dans leurs œuvres macabres de ces dernières années .
Le reconnaître et s’en servir comme tremplin dans le cadre d’une résilience
nationale est absolument nécessaire pour poser enfin des actes fondateurs
susceptibles de redonner confiance aux Centrafricains pour un mieux-vivre
ensemble .
Le premier de ces actes fondateurs nous semble être la détermination du
genre de notre pays . Faut-il dire le Centrafrique ou la Centrafrique ?
Tout Centrafricain qui a voyagé hors du territoire national a été confronté à un
moment ou à un autre à cette question récurrente : « mais où se trouve votre pays ?» .
Un interlocuteur m’a même demandé « si la Centrafrique se trouve au
Sénégal » . A quoi j’ai répondu que cela revenait à placer la France en
Belgique …Au lieu de nous accrocher obstinément au rêve brisé de Barthélémy
Boganda d’une République Centrafricaine d’expression latine en regroupant toute l’AEF plus le Congo
belge et l’Angola , nous ferions mieux de trouver un nom qui nous définit mieux
. L’Oubangui-Chari ? La République du Yadé ? Béafrica ? Ou la
République de Karinou ? C’est aux Centrafricains de se prononcer .
N’oublions pas qu’avant l’avènement de Thomas Sankara, la Haute-Volta était
confrontée au même problème . Aujourd’hui, rares sont les personnes qui ignorent le Burkina Faso . Je postule
même que c’est parce qu’ils sont « Burkinabé » que les habitants de
l’ex-Haute Volta ont chassé Blaise Compaoré, l’assassin de Thomas Sankara .
Après le changement du nom du pays avec un genre précis, l’étape suivante
serait de déplacer la capitale Bangui vers …Bambari ou Bria dans une position
plus centrale et donc moins pénalisante pour les autres habitants du pays cf
Abuja ou Brasilia . Une telle délocalisation sera mise à profit pour mettre en
place un plan d’occupation des sols (POS) adapté . Les architectes et urbanistes
nationaux s’emploieront à redessiner un nouveau schéma urbain répondant enfin
aux besoins d’une nouvelle capitale ambitieuse : campus universitaires,
cités scolaires, quartiers résidentiels, centre des affaires, casernes, gares
routières, siège du gouvernement, palais de justice, hôpitaux, zones d’activités
commerciales et j’en passe et des meilleurs !
Statistiquement, il y
a plus de piétons que d’automobilistes à Bangui . Alors pourquoi cette absence
presque totale de trottoirs, obligeant les piétons à empiéter sur les
chaussées, ce qui provoque inévitablement des accidents ? Les rues de
notre capitale posent un autre problème qu’il s’agit d’éradiquer car c’est une
question de salubrité publique . Par leurs eaux stagnantes, croupies dans des
caniveaux jamais récurés, elles entretiennent en permanence les larves de
moustiques, vecteurs du paludisme qui est la première cause de décès en RCA
. Nos ingénieurs hydrauliciens ne
peuvent-ils pas nous concocter un plan général de la ville légèrement incliné
vers l’Oubangui pour nous débarrasser de ce fléau ? Cette cause mérite
l’attention car gouverner c’est surtout veiller au bien-être des populations .
A
propos des rues et places, il est temps que les Centrafricains pensent
sérieusement à débaptiser la place Valéry Giscard d’Estaing en place Nelson
Mandela ainsi que toutes ces rues qui fleurent bon « la colonie de papa » . Ils n’auront
que l’embarras du choix : Karinou, Tétimbou, Zaoulé, Bérandjoko,
Kouzoulitou, Mopoï, Koursou, Krikri, Kpokourta, Nabawé, Kpoté, Lokoti, Hermann,
Noko-Boudey, Ndalé, Zotoué, Bingué, Dongué, Bayanga-Didi, Maïgaro, Niem,
Yandzéké, Yanga, Daoudou, Zaorollim ( Yenga ), Bayembo, Pengué, Gongolo, Bépé,
Bangassou, Fayama, Adama Tamboux… ; Lumumba, Nkrumah, Desmond Tutu, Luthuli,
Steve Biko , Moumié, Sankara…Mayélé, Beckers, Thierry Yézo …et pourquoi pas Bob
Marley, Peter Tosh, Jimmy Cliff, U Roy, Lucky Dubé ? S’ils sont à court
d’idées et de noms, qu’ils donnent des numéros aux rues comme en Amérique car
depuis que je parcours les routes de France, nulle part je n’ai vu un chemin
creux, un sentier et à plus forte raison une place porter un nom
centrafricain : même pas celui de Koudoukou, héros national centrafricain
mort pour la France .
Pour la tranquillité de nos étudiants, il est plus que souhaitable de
construire un campus universitaire digne de ce nom en dehors de la capitale pour
favoriser un meilleur brassage entre les futures élites centrafricaines et
tordre le coup au népotisme, au tribalisme et au régionalisme qui gangrènent
notre société .
De
même, le palais de la Renaissance qui devrait refléter la fierté nationale,
regrouper les servies essentiels de
l’Etat tout en servant de résidence officielle au chef de l’Etat , n’a pas
vocation à rester coincé entre les flancs de la colline Bas-Oubangui et un
centre-ville bondé, bruyant et malodorant . Il en va de la dignité des
Centrafricains et de la sécurité du chef de l’Etat .
Doter chaque sous-préfecture et PCA d’un collège d’enseignement général,
paver certaines portions de rues, installer deux ou trois passerelles aux
endroits les plus passants et donc « accidentogènes » seraient des
mesures de bon sens .
Enfin, il faut interdire purement et simplement le plastique utilisé par
les Centrafricains sous toutes ses formes pour tout vendre aujourd’hui . Il
contient des éléments perturbateurs du système endocrinien, est souvent toxique
et/ou cancérigène . Au rythme où vont les choses chez nous, si une mesure
rigoureuse n’est pas immédiatement prise, dans dix ans, le sol centrafricain
saturé de plastique ne produira plus de « goussa », ni de
« gboutou », ni de « gozo » qui constituent la base de
l’alimentation nationale . Et que dire de la nappe phréatique ? Cette
interdiction aurait l’avantage de ressusciter un artisanat national qui
fournissait naguère les « sakpa ti gara » sains, ergonomiques,
écologiques, pratiques à nos mères . Qu’en pensent les écologistes
centrafricains ? D’ailleurs, y a-t-il seulement un parti écologiste en
RCA ?
Le peuple centrafricain tout entier qui est résilient . Pour parfaire
cette résilience, le futur Président doit poser des actes fondateurs forts,
susceptibles de fédérer un grand nombre de ses compatriotes . Or, même en
chercant beaucoup, on ne voit pas
de programmes clairement déclinés par les nombreux candidats , ni de professions
de foi . Cette absence de programmes à la veille des élections n’est pas
rassurante : chaque Centrafricain doit y réfléchir à deux fois avant
d’accomplir son devoir civique . A bon entendeur, salut !
La suite
au prochain numéro .
KOULAYOM-MASSEYO David .