GUERRE DES CLANS A BANGUI
Le limogeage du ministre d'Etat, ministre de la communication, du dialogue et de la réconciliation nationale du Premier ministre Nicolas Tiangaye a surpris.
Présenté jadis comme le numéro 3 de l'alliance Séléka, M. Christphe Gazambetty avait l'oreille du président de la transition en Centrafrique. Sa destitution survient alors que le ministre était hospitalisé depuis une semaine, à la suite d'un malaise.
Des esprits retors auraient pu tenter la plaisanterie : on aurait voulu précipiter la fin du ministre qu'on ne s'y prendrait pas autrement !
En réalité, cette décision surprenante n'est que l'aboutissement d'une longue guerre d'usure au sein de la nébuleuse Séléka.
Déjà, lors de sa prise de fonction au temps de la cohabitation avec le président François Bozizé, le ministre de la communication s'était heurté à l'hostilité d'une partie des cadres du service de l'information. En particulier, il était en butte avec les « propagandistes » du KnK, le parti présidentiel, qui entendaient garder la haute main sur les organes d'information du pays. La chute précipitée du dictateur de Sassara, en mars 2013, aura permis à M. Christophe Gazambetty de recouvrer la maîtrise de son département.
Chargé également du portefeuille de la réconciliation nationale, le ministre jouait à l'occasion le porte-parolat du chef de la transition – poste qui était le sien à l'époque de la rébellion – empiétant par son activisme et sa propension à défendre la rébellion, sur les attributions du porte-parole du président de la transition ainsi que sur celles du porte-parole du gouvernement d'union nationale. Il se dépensait donc sans compter voire s'exposait inutilement. Cet attelage à trois ne devait pas plaire à tout le monde.
Cette lecture subjective de la situation de M. Gazambetty peut s'élargir à des considérations plus objectives. En effet, alors qu'il a la charge du dialogue et de la réconciliation nationale, le ministre d'Etat devait également composer avec deux autres personnalités.
D'un côté, on trouve le directeur du Forum de réconciliation nationale, M. Cyriaque N'Gonda, président d'un micro-parti allié au KnK de François Bozizé.
De l'autre côté, se trouve le général Nourredine Adam, considéré comme le représentant de l'aile « tchadienne » de l'alliance Séléka. Ce dernier a exercé les fonctions de ministre d'Etat, ministre de la sécurité publique, de l'émigration-immigration et de l'ordre public dans le premier gouvernement d'union nationale de Nicolas Tiangaye avant d'être remercié par le président de la transition, Michel Djotodia. Le général occupe désormais, auprès du chef de l’Etat de transition, la présidence du Comité extraordinaire de défense des acquis démocratiques (CEDAD), la police politique du Palais de la Renaissance.
Formé en Union soviétique, le président de la transition n'ignore pas le pouvoir maléfique que peuvent exercer ces antennes secrètes. Elles finissent toujours par couper le pouvoir du peuple, et à conduire inexorablement le « Prince » sur la pente douce de la dictature, en l'enfermant dans l'exercice solitaire du pouvoir et la paranoïa absolue.
Dans un tel contexte, la propension du ministre de la communication, du dialogue et de la réconciliation nationale à vouloir desserrer l’étau autour du président de transition ne pouvait que lui attirer des inimitiés.
Une
gestion compulsive du pouvoir.
La décision du président Djotodia renvoie à une période aussi trouble de l'histoire politique centrafricaine. Celle qui a vu le colonel Jean-Bedel Bokassa, réalisateur du coup d'Etat de la Saint-Sylvestre 1965, se débarrasser successivement de tous ses compagnons d'armes qui l'ont aidé à prendre le pouvoir, les accusant à tour de rôle de complot contre la sûreté de l'Etat.
Le ministre Christophe Gazambetty est en effet le troisième haut responsable de l'ex-Séléka à être écarté du gouvernement d'union nationale de transition. Son limogeage survient après celui du ministre des Eaux, forêts, chasse et pêche, M. Dhafanne Mohamed-Moussa, autre général autoproclamé de la rébellion, et président de la Convention patriotique du salut du kodro (CPSK).
L'arrestation puis la mise à l'écart de ce dernier, pour complot, a précédé la mise à l'écart du général Nourredine Adam, retiré du gouvernement le 22 août dernier.
Ces décisions abruptes, ajoutées à des communiqués et décrets aussi subits que la dissolution de l'alliance Séléka ou l'interdiction faite aux membres du gouvernement de sortir du territoire pour participer à des réunions internationales, témoignent d'une conception éruptive et compulsive du pouvoir.
En l'occurrence, le limogeage de Christophe Gazambetty, ancien ambassadeur de la RCA en République populaire de Chine sous le régime d'Ange-Félix Patassé, apparaît comme le sacrifice d'un homme-lige sous la pression des courtisans du président de transition. C’est une nomenklatura qui sévissait déjà sous les régimes précédents. Ces aigrefins, qui n'ont que le souci de leur intérêt, dégagent parallèlement une capacité de nuisance égale à une armée de sangsues attablées sur le dos d'un zébu. A la fin, c'est toujours la bête qui s'affale sur les flancs.
La mise à l'écart du ministre de la communication sonne le glas de l'aile libérale de la transition. Ce faisant, le président de la transition se tire une balle dans le pied. Le voici prisonnier du clan des partisans d'un « islamisme rampant », ceux que nous appellerons par commodités « les Tchadiens ». Cette décision risque de refroidir toutes les bonnes volontés qui se pressent aujourd'hui au chevet de la République centrafricaine. C'est le cas de la France dont le soutien se manifeste devant le Conseil de sécurité de l'ONU, par l'adoption d'un projet de résolution en faveur de la RCA.
Pour échapper à ce dilemme du prisonnier auquel il est désormais confronté, Michel Djotodia n'a qu'une alternative simple : soit réhabiliter son ancien compagnon de route, soit remettre ce dernier aux bons soins du ministre français des Affaires étrangères, M. Laurent Fabius, en visite éclair ce dimanche 13 octobre 2013 à Bangui.
Dans le premier cas de figure, il rehausserait sa stature d'homme d'Etat en se situant au dessus des contingences et des clans ; dans le second cas, il donnera raison à ses contempleurs, prompts à l'accuser de vouloir islamiser la Centrafrique.
Nul doute que le ministre des Affaires étrangères français, sourcilleux défenseur des droits de l’homme contre l’apartheid en Afrique du sud dont il avait organisé le boycott alors qu’il était premier ministre de François Mitterrand, aura l’occasion de rappeler aux autorités de Bangui les exigences du soutien de la France : respect de l’intégrité physique et morale de tout individu vivant en Centrafrique, libre circulation des personnes et des biens, bonne gouvernance et gestion équilibrée de la transition. Ce n’est qu’à ce prix que le président Michel Djotodia sortira grandi de l’aventure dans lequel il a plongé la RCA en prenant le pouvoir en Centrafrique.
Paris, le 11 septembre 2013
Prosper INDO