Pr Gaston Mandata N’Guérékata
Pouvez-vous nous décliner votre
fiche signalétique ?
Je vous remercie pour cette
opportunité de m’adresser à vos lecteurs. Je suis Gaston Mandata N’Guérékata,
Mathématicien Centrafricain, Professeur des Universités, Membre de l’Académie
Africaine des Sciences. J’ai occupé diverses fonctions de responsabilités
académiques et gouvernementales dans mon pays pendant 15 ans avant de prendre
résidence malgré moi aux Etats-Unis depuis 1995 ou j’enseigne à Morgan State
University à Baltimore, dans le Maryland.
Qu’est-ce que vous êtes
devenu ?
Comme vous le constatez, entièrement consacré à l’éducation
de mes enfants et au développement des mathématiques. J’ai un rythme de travail
qui ne me laisse pas de temps pour les loisirs. A part des vidéos du regretté
Madilu System et
les matches de
Vous étiez lauréat d’un prix scientifique l’année
dernière. Pour le fils d’un paysan centrafricain que vous êtes, que ça fait de
recevoir un aussi prestigieux prix des mains de la première dame des Etats unis
?
Le travail paie. Mais au-delà des nombreuses récompenses
multiformes que je reçois, c’est d’abord l’exemple que cela pourrait servir aux
jeunes centrafricains qui compte. Ils ont besoin de repères, de modèles parmi
leurs ainés. Ils ont besoin de savoir que leurs conditions sociales ne lie pas
leurs destins, qu’à force de travail, ils peuvent réussir, gagner décemment leur
vie, qu’il y a autre chose, qu’il y a même mieux que les petits postes
administratifs et autres fonctions ministérielles de consommation locale ô
combien éphémères. Il leur faut faire le pari de la réussite personnelle, y
croire, réussite intellectuelle ou autre, et en dehors de
Vous savez, je me
sens un homme comblé. Plusieurs centrafricains m’écrivent pour me dire que j’ai
été un modèle pour eux, que j’ai influencé leurs carrières. Le plus intéressant,
est que des compatriotes économistes, banquiers ou scientifiques m’écrivent pour
me dire que mes cours à l’Université de Bangui ont été la pierre angulaire de
leur réussite. A bien y penser, peut-être ai-je été quelques fois trop sévère,
trop théorique dans mes cours magistraux. Enseigner par exemple les suites de
Cauchy aux étudiants de sciences économiques,…, il faut le faire (Rires).
Quel est le regard que le simple citoyen que vous êtes redevenu porte
sur la situation sociopolitique actuelle du pays ?
(Silence)…Vous
savez, à mon âge si je ne dis pas ce que je pense, ce ne sera pas dans la tombe
que j’exprimerai mes pensées. Certes notre pays a connu de nombreuses tragédies
dans le passé. Les séquelles sont toujours là, comme indélébiles. Mais la
situation actuelle parait porteuse de drames encore plus graves. Une
Somalisation de
Le
Président de
En face,
je vois une opposition désunie et fragilisée par les ambitions personnelles. La
culture de Présidents Fondateurs (et à vie) des micro-partis créés juste pour
accéder au gâteau le temps d’un éphémère gouvernement d’union nationale, prend
le pas sur de véritables stratégies, étalées dans le temps, en vue d’une
alternance efficacement et sagement préparée. Très peu ont une envergure
d’hommes ou de femmes d’Etat, car ils ne savent pas se créer, avec patience et
constance, une telle stature.
Pendant ce temps, les enfants meurent de
faim dans les riches régions diamantifères du Sud - Ouest, les vaillantes
populations du Nord Ouest fuient leurs terres pour se réfugier au Cameroun et au Tchad, l’Est du pays est
délaissé aux hordes de
Que proposez-vous pour une sortie de crise
durable sinon définitive ?
Voila une grande question. Et comme on le
dit, poser une grande question c’est risquer de se tromper. Ne pas les poser
c’est tuer l’intelligence. Il n’y a pas et il n’y aura pas de messie. Je vois
néanmoins l’émergence d’hommes et de femmes politiques nouveaux. Je ne prône pas
l’élitisme. Mais il faut exiger de nos élus qu’ils aient un minimum de bagage
intellectuel pour être à même de comprendre les enjeux d’une économie
mondialisée, d’une politique et une diplomatie de développement et d’avenir, pas
celle qui nous a conduits à nous asseoir aux cotés d’Amadenajeed pour une
réunion sur le nucléaire, et cela contre évidemment notre frère Obama et sa
conférence réussie et plus universelle.
Nos dirigeants ne savent pas
choisir le bon camp, les bons amis. Et on en souffre tous. Peut-être faudrait-il
faire comme aux Etats-Unis : la nomination des Ministres doit être entérinée par
l’Assemblée
Nationale, pourquoi pas ? Au moins que les députés auraient
l’occasion de les questionner sur leur intégrité, et comment ils vont mener
l’action gouvernementale en ce qui concerne leurs secteurs. Il ne faut pas aussi
tout mettre sur le seul Chef de l’Etat.
Certains pensent pourtant que
c’est parce que des hommes de valeurs comme vous ont cessé de servir le pays
qu’il est livré à lui-même sans perspective d’avenir ?
Je ne suis
pas tout à fait d’accord avec cette thèse. Il y a en Centrafrique des hommes et
des femmes capables de mettre le pays sur la voie étroite du développement. Mais
il y a comme une complicité de médiocres qui leur barre la route. Ceci dit,
c’est vrai, il y a eu une fuite importante de cadres depuis les mutineries de
1996 et autres crises qui ont suivi. Ainsi, la diaspora centrafricaine en
Afrique, Europe et
Amérique compte de nombreuses compétences dont le pays a besoin pour se relever.
Il faut trouver un moyen de les attirer chez eux. Je crois que le gouvernement
actuel n’y pense même pas. De quoi ont-ils peur ?
Envisagez-vous un
retour sur la scène politique nationale ?
(Rires) D’abord il faut
commencer par me redonner mon passeport centrafricain; ensuite abroger l’arrêté
de l’Inspecteur Général d’Etat de 1994 m’interdisant de sortir du territoire
national. Ceci dit, je n’y pense pas encore. Je reviendrai peut-être sur cette
question quand ma productivité mathématique aura faibli, c'est-à-dire autour de
l’age de la retraite, qui ne saurait tarder. Mais attention. En tant que
centrafricain, j’ai le droit de m’exprimer sur les questions qui touchent à mon
pays. Et je le ferai plus souvent, sachant bien que les choses ne vont pas dans
la bonne direction.
Un dernier mot…
Je vois deux signes
prometteurs. La montée en force d’une Presse Centrafricaine indépendante,
courageuse et plus objective. Ensuite le refus de la jeunesse centrafricaine de
baisser les bras. J’ai eu le plaisir d’échanger avec de nombreux jeunes décidés
à construire un pays prospère, une société plus juste, plus fraternelle. J’ai
rencontré plusieurs cadres vraiment brillants, dans la diaspora, qui attendent
le moment de prendre les choses en mains. Que Dieu avance ce moment.
Samedi 22 Mai
2010
Source :
L'indépendant