JE FAIS CE
RÊVE POUR MONSIEUR KAMOUN
Cette nuit, un cousin me sonne à 01h00 du
matin : « CBM, regardes cette vidéo à partir de
3mn52. »
Vous avez le lien de la vidéo en bas de
ce texte.
Je me dis que si ce pêcheur de Tokoyo (un quartier
de Bangassou) me dérange à pareille heure, c'est que le détour vaut son pesant
de diamant. Je cherche ma Samsung Tab et je bascule sur youtube. Ce que je vois,
m'horrifie à tel point que j'arrive même à comprendre le Polonais qui est la
langue de la vidéo, ce qui en temps normal est mission
impossible.
Nous sommes en juin 2012(je prends la date de la
mise en ligne de la vidéo comme référence) quelque part en République
Centrafricaine dans la préfecture de la Lobaye plus précisément au village de
Bagandou à 160 km de Bangui. Une dizaine d'enfants, chacun avec sa grosse
chikouangue en main, s'affairent autour d'une minuscule souris qui ne doit pas
faire plus de 18 cm (sa queue incluse) et peser moins de 250 grammes. Un
barbecue digne de l'ère du Neandertal. Je suis glacé et tétanisé par ce que je
vois. J'étais comme emporté dans une autre dimension. Ce sont les séquences
suivantes qui me ramèneront à la réalité. Ces belles chansons, ces jolis
paysages de la forêt de la Lobaye que j'ai eu l'occasion de parcourir à la fin
des années 80. J'étais replongé en enfance mais en conservant le contact avec
2014.
A la fin de la vidéo, je lui ai dit :
« mon Dieu, c'est horrible » et lui de me dire : « peut-être
que la souris est un mets apprécié là-bas ». On s'est raconté d'autres
histoires, on a « kongossé » un peu comme les hommes Centrafricains
savent très bien le faire et on s'est dit au revoir.
En m'endormant donc cette nuit, j'étais certain de faire un cauchemar. J'imaginais déjà celui-ci : les visages de ces mômes, les horreurs de la famine, les bambins squelettiques...bref, toutes ces horreurs. Que nenni, j'ai tranquillement ronflé jusqu'à ce que mon réveil se rappelle à mon souvenir. Serais-je devenu insensible à la douleur et à la souffrance d'autrui ? La banalisation de la souffrance en RCA aurait-elle fait de moi une victime, moi qui suis à des milliers de kilomètres de là ?
Comme je pense à la RCA une fois par jour mais cela
dure 24 heures, c'est en me rasant que l'explication de ce que je croyais être
une indifférence m'est venue.
Oui, je me suis rappelé que le 21 décembre 2011,
j'écrivais une lettre au Premier Ministre de l'époque, Mr Faustin Archange
Touadera dans laquelle je le conviais à la démission. Pour appuyer celle-ci, en
introduction, un extrait d'un rapport de Médecins Sans Frontière publié deux
semaines auparavant et qui disait : « Par exemple, en juillet dernier, à Carnot, la
mortalité chez les enfants de moins de cinq ans était trois fois plus élevée que
la mortalité des enfants du même âge dans le camp de réfugié de Dadaab au Kenya,
où vivent dans des conditions extrêmes les populations qui ont fui la Somalie. A
Carnot, cette crise est restée silencieuse. »(1)
J'ai donc compris pourquoi je n'ai pas fait de cauchemar cette nuit. Je savais depuis longtemps que la situation chez nous est pire qu'en Somalie. Or la Somalie est théoriquement ce qu'il y a de pire en Afrique. Mais en République Centrafricaine, à l'ombre de nos forêts, le long de nos rivières, dans l'illusion de nos immenses richesses; un drame plus aigu que celui du pays de Siad BARRE se déroule. Je me suis alors dit « PUTAIN » (avec l'accent marseillais) si en 2012, c'était déjà comme ça, je n'ose même pas imaginer ce que doit être la situation de nos jours là-bas, dans ces coins où personne n'ose y aller, loin des caméras braquées sur Bangui et ses ledgers.
Alors j'ai décidé d'avoir un rêve. De l'avoir éveillé. De l’avoir avec vous comme témoins et que vos yeux me regardant rêver, seront autant d'ondes et de forces envoyées à qui de droit pour qu'il fasse le nécessaire.
Je fais un rêve et c'est un rêve sans tapis
rouge.
Je fais le rêve de voir Mr Kamoun se rendre à
Bagandou, voir dans quelles conditions vivent les gens. Je rêve de le voir les
écouter et partager leur quotidien. Qu'à ces enfants, ne fut-ce qu'une fois, il
offre et partage un vrai repas. Qu'il leur dise pourquoi il est Premier Ministre
et ce qu'il fait et fera pour que leurs conditions d'existence puissent
s'améliorer.
Je fais le rêve de voir Mr Kamoun se rendre à Bambouti, Kemba, Mingala, Nzako, Ouadda, Gordil, Golongosso, Ouandago, Bianga, Possel, Bogangolo, Kouki, Bemal, Niem, Bania, Salo, Zinga.
Mr le Premier Ministre, je fais le rêve de vous y
voir. Mon rêve sait qu'il n'est pas possible d'aller partout et qu'il est humain
d'avoir peur, de douter et d'hésiter. Mais il sait aussi que vous ne devrez pas
faire comme votre prédécesseur en restant à Bangui. Il se veut être un rêve où
vous irez auprès de vos compatriotes pour affirmer notre communauté de destin,
ensuite organiser et administrer localement la solidarité nationale et enfin
remettre la République et ses institutions partout où besoin
sera.
Je fais le rêve de vous voir à Boyrabe, Miskine,
Guitangola, Yapélé, Gbangouma. Je fais le rêve de vous voir au lycée de Bimbo,
au lycée Marie Jeanne Caron, à l'ISDR, à l'Université de Bangui, au Collège Technique d’élevage de Bouar. Pas
seulement pour faire du tourisme mais pour y apporter un plus, soit des
solutions à certains problèmes spécifiques, soit en écoutant ceux y sont et en
apportant des réponses à leurs interrogations.
Je fais le rêve de vous voir avec nos artisans, nos PME, nos agriculteurs, nos forestiers, nos transporteurs. Je fais le rêve de vous voir avec le GICA et la CCB. Je rêve de vous voir leur apporter tous les appuis nécessaires à la reprise et à la relance des activités économiques.
Mr le Premier Ministre, dans douze jours, cela fera trois mois que vous êtes entré dans vos fonctions. Trois mois qui ne furent pas de repos. Entre les « politicailleries » liées à votre nomination, l'Angolagate, les tensions Antibalakistes et celles qui ne sont pas connues de la masse. Mais comme la situation est difficile, on attend de vous aussi du courage et beaucoup d'initiatives de sorte que si vous devez sortir demain de l’actuelle séquence politique, vous sortirez avec la satisfaction du devoir accompli ou celle d'avoir au moins fait le maximum. Vous ne devriez pas employer votre temps à vous défendre mais à faire des choses car chaque jour de perdu ne vous condamne pas seulement mais la RCA aussi et avant tout.
Et lorsque vous passerez chez moi à Kembé, j'appellerai mes oncles et mes tantes sur place afin qu'ils vous préparent un bon nzayou avec un koutoubon et un succulent ngoukassa. Et si vous passez par Bria, j'appellerai mes beaux-parents pour qu'ils puissent aussi vous offrir les spécialités locales.
Allez-y Monsieur le Premier Ministre, ne faites pas
comme les autres, le temps passe et la République Centrafricaine ne se limite
pas à Bangui/Begoua/Bimbo.
Du courage et transmettez nos salutations à tous les fils et filles de Centrafrique que vous rencontrerez.
Clément De Boutet-M'bamba
Mojé
Bagandou : www.youtube.com/watch?v=QKqdk47maZg
1: Mr Le Premier Ministre :
Démissionnez !
2 : Pour en savoir plus sur les
activités du curé à l'origine de la vidéo
http://www.misje.diecezja.tarnow.pl/index_01.php?r=47