Josué Binoua,
qui a bu boira!*
PREAMBULE
Une nomination
inaperçue — mais qui révèle une importance (à mon avis) — attire mon attention.
Par décret présidentiel n°13.108 du 22mai 2013, le Pasteur Josué Binoua, est
nommé ministre Conseiller, chargé des Affaires religieuses et des Minorités
Ethniques à la présidence de la République. Je précise tout de suite que je n’ai
pas envie d’aborder ici la question de sa « métamorphose » (dixit lui-même).
Car, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. D’ailleurs, il n’a
pas l’apanage de « retourner le Kazâka ». La RCA est infestée de félons
politiques (ou des chenilles). Nul n’est censé ignorer le « koudoufarisme » sans
scrupules qui se pratique ostensiblement dans notre pays. Je ne m’inscris pas
non plus dans la logique de la « politique politicienne » qui consiste à faire
le procès ou l’apologie des uns et des autres. Loin de moi une telle initiative.
Tant qu’on n’est pas au pied du mur, on ne peut pas savoir si on est un bon ou
un mauvais maçon.
Cela dit, ma
démarche est simple : je veux savoir si la nomination du Pasteur Josué Binoua,
Ministre conseiller chargé des affaires religieuses, pourrait calmer les esprits
et redonner confiance aux chrétiens. Cette nomination comporte-t-elle vraiment
une solution idoine aux problèmes récurrents de la laïcité en Centrafrique ? Un
pasteur, nommé ministre conseiller en matière des affaires religieuses auprès
d’un Président musulman dans un pays présumé laïc. Qui peut le croire ? D’aucuns
pensent que la nomination du pasteur Binoua serait une réaction aux agressions
infligées aux chrétiens lors de la prise du pouvoir de la Séléka. Le non-dit qui
transparaît en filigrane, et qui pèse sur cette nomination, c’est évidemment le
problème du caractère et de la nature de l’Etat centrafricain. Est-il laïc ? On
me dira qu’il est trop tôt pour aborder une question aussi sensible que la
séparation de l’Etat et de la religion. Peut-être. Mais si on ne le fait pas
maintenant quand le fera-t-on ? Il faut oser aborder ce problème de l’Etat et de
la religion, afin d’ancrer irréversiblement la RCA dans un véritable vivre
ensemble.
Rappelons que
lors de l’avancée de la Séléka, le ministre de l’administration du territoire de
l’époque (Mr. Josué Binoua) a lui-même affirmé (ou prophétisé) en son temps que
la Séléka serait truffée des « Wahhabistes » (le wahhabisme est souvent perçu
comme une secte et présenté comme un mouvement ultra-orthodoxe et extrémiste de
l’islam, cf. Wilkipédia). Ce qui a donné des cauchemars aux nuits des chrétiens
à Bangui. Des veillées de prières et des marches ont été organisées afin
d’empêcher la poussée de la coalition Séléka. Dieu en a décidé autrement. L’AEC
l’a si bien souligné dans sa lettre ouverte du 10 Mai 2013 : « La Bible enseigne
que le TRES-HAUT domine sur le règne des hommes et qu'Il le donne à qui Il lui
plaît (Daniel 4:32). Nous croyons que si Dieu ne l'avait pas voulu, vous
n'auriez pas pu accéder au pouvoir et par conséquent, bien que nous ne soyons
pas favorables à la prise du pouvoir par les armes, nous nous en remettons à sa
volonté. » Comme quoi, Dieu n’est pas toujours là où on l’attend.
1. LES
CHRETIENS, VICTIMES OU COUPABLES ?
Dans un article
publié par un compatriote centrafricain, intitulé « Et si la laïcité n’est pas
inquiétée sous la présidence du nouvel homme fort de Bangui », l’auteur a tenté
de dépeindre le climat ambiant : « Au regard des actes de barbaries, de
pillages, de vandalismes, de destructions ciblées des biens d’autrui, de
profanations des symboles religieux, de viols, de violences perpétrés par les
rebelles de la coalition Seleka, un sentiment de désaffection généralisée envers
les enturbannées s’est dégagé dans tout le pays et au niveau de la diaspora
centrafricaine ».De fait, les hiérarchies religieuses (Catholiques et
Protestants) ont adressé des lettres ouvertes au chef de l’état de transition
Michel Djotodia Am Nodroko pour dénoncer les hostilités ciblées de la coalition
Séléka envers les chrétiens. Les accusations semblaient attester les velléités
d’islamisation de la RCA. Les prêtres centrafricains ont même réclamé des
réparations matérielles au gouvernement (cf. la lettre ouverte des Evêques).
Pour enfoncer le clou, face à l’importance des destructions commises par la
Séléka – dont les archives communales et paroissiales qui ont été
systématiquement détruits – un prêtre catholique n’est pas passé par quatre
chemins pour dire : « Il semble que tout soit détruit afin d’instaurer l’islam
». Par contre, Mr Michel Djotodia a lui-même récemment, dans une interview
accordée au Nouvel Obs, catégoriquement nié ce qui a été dit dans une lettre
dont on lui a attribué la paternité : « C’est un faux pour me salir ! Ce montage
a été concocté à Bangui, quand Bozizé cherchait à créer un conflit
inter-religieux. Je ne suis pas un islamiste. Ma mère est protestante et mon
père musulman. Il n’y a jamais eu de problèmes entre les communautés. Ca ne va
pas commencer maintenant. Nous sommes un Etat laïc. ».
Au passage, je
précise que les imams et les organisations islamiques n’ont pas encore écrit
pour faire état des dégâts que la communauté musulmane a subis … Wait and see… !
D’ailleurs, le Président lui-même a déjà répondu à cette préoccupation lors de
son interview au Nouvel Obs : « Dans les mosquées, il n’y a rien, à part des
Corans et des vieux tapis. Dans les églises, vous trouvez tout. Ce n’est pas
religieux, mais matériel. Nous veillerons à ce que l’ensemble des biens soit
restitué. Mes combattants avaient pris la voiture de l’évêque de Bangassou. Je
leur ai dit : “Vous savez ? Ca peut être mal interprété.” Je l’ai ramenée
moi-même. A l’église, ils étaient très contents ». Malgré tout, certains
centrafricains musulmans n’ont ménagé aucun effort de tenir un langage exclusif
pour soulever des problèmes de vivre-ensemble, du fait des relations précaires
existant entre les chrétiens et musulmans : « Les musulmans centrafricains ont
toujours été mis de côté, isolés, ostracisés par les bien-pensants, cantonnés
dans des quartiers bien déterminés et des régions repoussées, le haut Nord du
pays. Pas toujours reconnus comme des vrais centrafricains. Maintenant, c’est
notre tour » Est-ce vrai ou faux ? Personne ne peut le dire. De l’autre côté,
peut-on dire qu’il y a une peur artificielle de l’islamisme en Centrafrique ? Y
a-t-il une crainte entretenue par un lobby catholique ou protestant contre les
musulmans ? Intox ou réalité ? Toutes ces questions méritent d’avoir des
réponses un jour.
De toute façon,
nous (chrétiens et musulmans) sommes appelés à vivre ensemble et c’est bien la
construction des conditions optimales de ce vivre ensemble qui doit être l’objet
principal de notre souci. Mais pour construire, il faut d’abord faire un état
des lieux, sans concession avec les zones d’ombre et les lumières. Nous sommes
dans un pays à la recherche de mode d’expressions spécifiques avec des
problématiques bien connues par ailleurs mais toujours spécifiques d’identité,
de créations de structures communautaires, ce qui ne veut pas obligatoirement
dire communautaristes avec le sens péjoratif de repli identitaire exclusiviste.
Il s’agit de trouver des solutions appropriées, porteuses de richesses
multiformes pouvant rétablir de véritable dialogue entre les personnes, entre
toutes les ethnies et sensibilités religieuses sans exclusive.
2.
SPECIFICITE DE LA LAÏCITE CENTRAFRICAINE
Ainsi, je
voudrais revenir sur le terme laïcité, tant prônée par les uns et les autres
comme norme de vivre ensemble. Qu’est-ce que la laïcité ? Par définition, la
laïcité ou le sécularisme est le principe de séparation de l'État et de la
religion et donc l'impartialité ou la neutralité de l'État à l'égard des
confessions religieuses. Par extension, laïcité et sécularisme désignent
également le caractère des institutions, publiques ou privées, qui sont
indépendantes du clergé. La laïcité s'oppose à la reconnaissance d'une religion
d'État. Toutefois, le principe de séparation entre l'État et les religions peut
trouver des applications différentes selon les pays (cf Wilkipédia). Ainsi, deux
éléments sont à la base de la définition de la laïcité : la séparation de
l’Eglise et l’Etat, et la séparation de l’Etat et les religions. Cette approche
veut tout simplement dire que l’Etat, n’étant pas soumis à un quelconque système
religieux, se doit d’observer la neutralité vis-à-vis de toutes les religions.
Dans ce cas, on peut avoir deux types de rapports : soit l’Etat entretient un
rapport de neutralité vis-à-vis de la religion— la religion ne concerne pas
l’Etat— soit c’est un rapport de rupture ou d’hostilités. « A César, ce qui est
à César et à Dieu, ce qui est à Dieu ». Telle a été la réponse de Jésus à ceux
qui l’interrogeaient. Cette réponse trace ainsi une ligne de démarcation entre
le temporel et l’intemporel, une nette distinction entre les affaires de Dieu et
les affaires civiles. Cela laisse à l’Eglise la possibilité de servir
d’institution critique vis-à-vis du pouvoir politique et conforte l’image de
l’Eglise militante, « sel de la terre » et « lumière du monde ».
En France, la
loi de 1905, dite de séparation des Eglises et de l’Etat a parachevé les
dispositions législatives fondatrices de la laïcité qui deviendra en 1946 un
principe constitutionnel : Elle précise en effet que la République assure la
liberté de conscience de chacun et garantit la liberté des cultes ; la
séparation instaure l’autonomie de l’Etat par rapport aux religions et sa non
intervention dans la vie et l’organisation de ces mêmes religions. Est défini
ici le genre de rapport qui devrait caractériser l’Eglise face aux gouvernants,
la religion devant la politique : l’action de l’une ne doit aucunement empiéter
sur les prérogatives de l’autre, dans un rapport de complémentarité et non de
confrontation.
Mais en Afrique
en général et en Centrafrique en particulier, les rapports ambigus entre Etat,
politique, et religion ne datent pas d’hier. Ils sont souvent imprégnés de
tribalité, de complicité, voire même d’instrumentalisation. L’homme politique
lui-même, fort peu religieux, ne se prive pas de puiser dans le référentiel
religieux lorsque les circonstances l’exigent. La laïcité a perdu sa
signification première, celle de la neutralité de l’Etat vis-à-vis de l’Eglise
ou des confessions religieuses ; cette notion est plutôt utilisée en relation
avec le sectarisme. En d’autres termes, la réalité de la laïcité en RCA renvoie
à la manipulation des sentiments identitaires des populations et des différences
religieuses. La laïcité se lit à l’aune de l’appartenance à un camp
politico-ethnique.
Précisons que la
laïcité centrafricaine a revêtu deux formes d’héritage : la première culturelle,
avec l’idée que la religion n’est pas une chose à part, séparée des activités de
l’existence humaine. Elle fait partie de la vie sociale. La deuxième politique,
avec l’héritage de Barthélémy Boganda, premier prêtre oubanguien. Ayant eu le
courage de faire un choix clair et précis d’enlever sa soutane et de s’engager
dans la vie politique, il fut élu, à la fin des années 50, Député de
l’Oubangui-Chari à l’Assemblée Nationale Française et sa vie politique a influé
sur la vie publique. Toutes ces deux formes nourrissent et expriment la
conscience politique du peuple centrafricain. C’est ainsi qu’au lendemain de
l’indépendance, l’Eglise, loin de garder son indépendance comme guide moral de
la société, est devenue parfois, sauf exception, propagandiste du parti
politique. Des membres du clergé se compromettent avec des dirigeants
politiques. Illustrons cela par un exemple. La veille de l’élection
présidentielle, le chef de l’Etat, candidat à sa propre succession, a été invité
à un meeting religieux. Tous les mouvements sociopolitiques et religieux, qui y
ont pris part, ont perçu de l’argent. Le lendemain, dans certaines Eglises,
quelques groupes sont en ébullition en ce qui concerne le partage du butin.
C’est tout le dilemme : lorsque le ministre de Dieu s’approche de l’homme
politique, se familiarise avec lui, peut-on encore parler de laïcité ? Lorsque
les religieux se réjouissent des dons faits par les politiques à la paroisse, à
l’Eglise, voire à la mosquée, y a-t-il encore la laïcité ? Le dilemme est là :
soit l’homme de Dieu adresse trop de requêtes à l’homme politique et celui-ci en
profite pour l’assujettir, soit, on ne le sollicite pas et on se conforme aux
exigences de la laïcité. Ce qu’il faut comprendre aussi, c’est l’alternative
devant laquelle le politique a tendance à placer l’Eglise : ou bien celle-ci est
pour la majorité présidentielle (elle lui apporte une caution morale), ou bien
elle prend fait et cause pour l’opposition (si elle joue son rôle de laïcité).
Par voie de conséquence, tout ce que l’Eglise prendra comme position, sera
interprétée selon cette grille de lecture. Dans de tels cas, l’absence de
critique de l’Eglise vis-à-vis du système politique est parfois interprétée par
certains comme résultant de l’absence de laïcité.
UNE LAICITE
INEXISTANTE
Nous savons tous
qu’en Afrique, d’une manière générale, la religion ne relève ni de la sphère
privée, ni de l’intimité personnelle comme en Occident. L’expérience religieuse
fait partie du quotidien dans tous les domaines et à tous les niveaux. La
plupart des cas, chrétiens, animistes et musulmans vivent et travaillent
ensemble. C’est pourquoi, d’ailleurs, la laïcité centrafricaine ne peut être
qu’une utopie. Il y a toujours fossé entre l’idéal et la réalité, entre la
théorie et la pratique. En termes de laïcité, il est mieux aujourd’hui de
repenser le concept, de veiller à lutter contre toutes les inégalités, contre
les limitations de la liberté en nommant bien leurs fondements. Mais la laïcité
suppose aussi la responsabilité. Elle peut être limitée par des motifs d’ordre
public bien définis. Il est aussi du devoir de l’Eglise de la RCA et bien
d’autres confessions religieuses d’aider les autorités politiques à bien
gouverner pour la paix et le progrès. Loin de s’immiscer dans les affaires qui
ne les concerneraient pas, l’Eglise doit s’engager à vivre sa pleine vocation
tout en privilégiant le dialogue inter-religieux. Si les chrétiens veulent être
pris au sérieux comme partenaires pour la construction de la paix dans une
société laïque, ils devront s’interroger sur leurs manières de vivre entre eux
et avec d’autres. Ainsi, deux questions s’imposent : Comment peuvent se
construire les «imaginaires» de la laïcité en RCA ? Quels sont les facteurs qui
pèsent sur leur définition ?
Jimi ZACKA
(Théologien, Anthropologue)
(Ndlr: *Josué
Binoua, qui a bu boira est titré par la rédaction) - 27/05/2013, bêafrika
Sango