« L’honneur perdu de CSP »

Barthélemy MANDEKOUZOU-MONDJO

 

20 janvier 2015

 

 « La liberté de tout dire n’a d’ennemis que ceux qui veulent se réserver la liberté de tout faire. » (1)

 

 

« Que diable allait-il faire dans cette galère ?

 

Va-t'en, Scapin, va-t'en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la justice après lui

 

Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici, l'action d'un serviteur fidèle. –

 

Quoi, Monsieur? –

 

Que tu ailles dire à ce Turc, qu'il me renvoie mon fils, et que tu te mets à sa place, jusqu'à ce que j'aie amassé la somme qu'il demande…» (2)

 

Nous aurions souhaité que ce qui précède n’ait ni de près, ni de loin, quelque ressemblance avec des situations existantes : mais l’histoire nous joue plus d’un tour puisqu’il lui arrive de repasser les plats.

Les nombreuses confidences et les aveux de Mme Samba-Panza nous ont appris qu’elle n’avait jamais imaginé l’ampleur de la catastrophe que représentait la situation centrafricaine : une « galère » dans laquelle, apparemment, elle ne se serait jamais « risquée » en toute connaissance de cause !

 

Avec beaucoup d’enthousiasme nous avons été nombreux à saluer l’élection de Mme Samba-Panza appelée par le Conseil National à présider une Transition définie dans le temps et l’espace, dans la durée et les objectifs.

Avec beaucoup d’enthousiasme et toute la confiance souhaitable nous avons donné acte à Mme Samba-Panza du serment qu’elle a solennellement prêté « devant Dieu et la Nation »…

Mais, bâtie sur une fondation, dont la solidité n’a pas été vérifiée au préalable, une construction envisagée a-t-elle des chances de tenir ?

Là se trouve le dilemme.

Mais, que diable, alors, est-elle donc venue faire dans cette galère ?

Des jours et des mois se sont écoulés.

Le temps tire à sa fin…

Et rien ne se passe.

Les « seigneurs de guerres », Sélèka et Anti-Balaka, triomphent et poursuivent leur sale besogne : sans faiblesse mais aussi –et, hélas !- sans espoir d’arriver jamais à en découdre et à faire surgir un vainqueur.

Et, dans ce contexte, l’insécurité s’installe pour durer pendant qu’une population désemparée et terrorisée continue d’errer.

L’heure du bilan approche et ressemble fort à l’arrivée de minuit, l’heure inéluctable et fatale de la damnation du Docteur Faust (3).

Les demandes de reports se font alors insistantes parce que rien n’est prêt.

Mais ces demandes résonnent comme la vaine supplique de Docteur Faust pour arrêter le temps sans le souci ni le moindre espoir raisonnable de changer le cours des choses ou de faire aboutir les projets.

 

« O lente, lente currite noctis aequi ! 

En dépit de mes pleurs, les étoiles cheminent,

Le temps maintient son cours, l’horloge va sonner, et Faust sera damné » (3)

 

Le temps jamais ne courra plus lentement que la nature en a décidé.

Comme Faust, ce que Mme Samba-Panza, -puisqu’il faut bien en arriver à notre sujet-, n’a pas fait dans le temps imparti, elle ne le fera pas non plus au bout des mois et années complémentaires ou supplémentaires qui lui seraient octroyés.

 

Je ne vais ou ne veux pas surjouer « l’erreur de casting » moult fois dénoncée.

Je laisse à l’histoire, - qui, du reste, n’a besoin de l’autorisation de personne-, de donner son verdict. Ce verdict sera à mille lieues des célébrations déclenchées par les enthousiasmes des premiers jours. Enthousiasmes aujourd’hui évanouis comme des fétus de paille.

 

Le triomphe et le triomphalisme assumés de l’élection de Mme Samba-Panza, à l’heure du bilan et d’un anniversaire, ont bien été la préfiguration d’un naufrage. Un de ces naufrages que, de manière récurrente, l’histoire de la République Centrafricaine nous donne de vivre !

Comme le dit si bien Jacques Chancel : «Il n’est pire ennemi que nous-mêmes,… et le calendrier de nos inconséquences est tragique» (4).

 

« L’honneur perdu de CSP » : J’écris ces lignes dans le même esprit et en m’efforçant de communier au souffle du pamphlet de Jean-Edern Hallier (5) :

 

« Les attaques contre la moralité privée des princes ont toujours été la réaction ou la mesure invisible du renforcement de l’absolutisme du pouvoir : elles traduisent ce que Lacan appelle la barre de censure de la société… Je n’appelle que le soulèvement de la vie. » (5)

 

Les attaques concernant Mme Samba-Panza se doublent en outre d’une prise en compte de ce qui apparaît comme la vérification du « principe de Peter » : non pas, dans le cas d’espèce, « l’aventure d’une carrière à bout de souffle » quand toutes les compétences disponibles en sont rendues à leurs points- limites, mais plutôt  l’évidence qui ouvre sur la brutale conscience que le rêve qu’on peut avoir nourri était surdimensionné.

Mme Samba-Panza s’est rêvée comme la responsable souhaitable et souhaitée dans une histoire centrafricaine, dont on peut dire, à l’heure du bilan et d’un anniversaire, par delà les gesticulations, dont elle n’est point avare-, qu’elle était tout à fait inapte à la conduire !

 

L’histoire rendra justice à Mme Samba-Panza d’une bonne volonté dont je m’en voudrais de douter ; mais elle n’en devra pas moins rendre justice à la vérité en reconnaissant qu’aucune performance n’a jamais été au rendez-vous des vœux du Peuple centrafricain ni à la hauteur de ses espérances.

 

Belle supercherie que l’annonce tonitruante de la constitution d’une « équipe de technocrates » pour conduire la gestion d’un Pays en pleine déconfiture et pour répondre au pari de mettre le Peuple debout et en marche vers un avenir radieux. La montagne a accouché d’une souris ; la promesse a conduit à la mise en place d’une équipe de « copains » et de « coquins » aux ambitions trop insuffisamment ouvertes pour que l’élan que toute politique doit entretenir pour la conquête du progrès et de la prospérité ne s’en fût pas trouvé bridé !

 

« Je n’appelle que le soulèvement de la vie », comme le dit si bien Jean-Edern Hallier.

Et je n’ouvre pas ici un autre procès que celui d’appeler à assurer la vie et l’avenir du Peuple Centrafricain. Ce qui devrait conduire à donner un congé définitif non seulement à une « Equipe » -qui n’a rien compris-, mais aussi et surtout à un esprit et un mode de gouverner que nous avions pensés définitivement rangés, au choix, dans les musées et panthéons des contrefaçons et malfaçons.

 

La désignation de Mme Samba-Panza par le Conseil national de Transition pour diriger la Transition et redresser la République Centrafricaine a été la belle et rare occasion, dont tout le monde rêve absolument pour inscrire son nom en lettres d’or dans l’histoire de son Pays. « Occasion manquée » ou « Honneur perdu ».

Les deux à la fois : surement !

La thèse et les dénonciations répétées du complot de « l’ennemi venant de nuit semer de l’ivraie dans le champ où on a mis du bon grain » apparaissent amplement surfaites. Mme Samba-Panza ne peut et ne doit s’en prendre qu’à elle-même d’avoir perdu, chemin faisant, avec la feuille de route, le guide contre toutes les embûches.

Elle s’est voulue le Messie et a joué au Messie quand sa mission était celle de Jean-Baptiste chargé d’ouvrir la route et de préparer l’avènement de la Démocratie dans une République Centrafricaine préalablement apaisée et réconciliée.  

« Avant l’heure, ce n’est pas l’heure ; après l’heure, ce n’est plus l’heure »…

Il aura manqué à Mme Samba-Panza de chercher à s’inscrire dans le bon tempo.

Elle a délibérément opté pour le « hors-champ » et le «hors-jeu»…

Comme si elle désespérait de ne pouvoir jamais être utile au Peuple Centrafricain.

 

« Je n’appelle que le soulèvement de la vie ».

Et s’il est un procès qui y apparaît en filigrane, c’est, à travers un appel à un sursaut salutaire et à la vigilance pour se garder contre les invasions à venir, le procès des marchands d’orviétan : ces charlatans prompts à se rappeler aux bons souvenirs du Peuple dont ils affirment qu’ils ont de tout temps et toujours recherché le bonheur.

Ils sont assez habiles pour rendre leurs offres agréables et recevables.

Et, à s’y laisser prendre, voilà l’enfermement au bout du compte : pour invariablement tomber de Charybde en Scylla.

 

MANDEKOUZOU-MONDJO

20 Janvier 2015

 

 

(1) Jean-Paul Marat, Dénonciation à la nation contre M. Malouet, Août 1790

(Emilie Bremond-Poulle : La Dénonciation chez Marat : 1789-1791)

(2) Molière, Les fourberies de Scapin

(3) Christopher Marlowe (1592) :

Arrêtez-vous, sphères du Ciel, toujours mouvantes !

Que le temps cesse et que minuit jamais n’arrive !

Bel œil de la nature, ah !, lève-toi, surgis

Sur un jour éternel ; ou que cette heure soit

Un an, un mois, une semaine, un jour complet,

Pour que Faust se repente et qu’il sauve son âme !

O courez lentement, lentement, chevaux de la nuit.

En dépit de mes pleurs, les étoiles cheminent,

Le temps maintient son cours, l’horloge va sonner, et Faust sera damné…

(Christopher Marlowe, La tragique histoire du Docteur Faust, Paris, Les Belles Lettres, 1947, p. 115.)

(4) Jacques Chancel : Nouveau siècle. Journal 1999-2002. Editions du Rocher, 2003, p. 112

(5) Jean-Edern Hallier, L’honneur perdu de François Mitterrand. Editions du Rocher/Les Belles Lettres, 1996, p.15).