La Charte des
droits et du bien-être de l’enfant africain : pourquoi l’Union Africaine
a-t-elle maille à partir avec ses exigences ?
Gervais
Douba
*(Maître de
Conférences en Sciences de gestion IUT-Université de
Rouen
*
Administrateur et Délégué local de DEI-France
A l’aune
du drame des deux jeunes Guinéens, drame survenu le 2
Août 1999 dans les trains d’atterrissage d’un avion de la Sabéna, des cris
d’enfants emportés par les vagues déchaînées en raison du regain d’intérêt du
phénomène de l’esclavage moderne et du traitement humiliant et dégradant que
font subir des militaires aux enfants affamés de Centrafrique , l’Union
Africaine et ses partenaires, confrontés aux exigences de la Convention
Internationale des droits de l’enfant du 20 Novembre 1989 ainsi que celles de la Charte des droits
et du bien-être de l’enfant africain ont maille à partir. Comment expliquer un
tel échec aux impacts multiples ?
Si l’on se
livre à une cartographie de l’enfance dont l’avenir est irrémédiablement
compromis, les droits et le bien-être préemptés soit dans le cadre des
enfants-soldats, soit au titre de mineurs isolés étrangers en Europe donc
potentiellement victimes de la prostitution infantile, en dehors de la
Syrie, la forte concentration se trouve dans les
pays de l’Union Africaine. Curieusement c’est la partie de la planète où l’on
fait le culte des personnes du troisième âge. « En Afrique quand un vieillard meurt, c’est
toute une bibliothèque qui brûle » et on soutient, sans y voire ni
orthodoxie ni orthopraxie, que l’enfant est l’avenir de l’homme, qu’il faut
avoir beaucoup d’enfants…Mais quelle culture a-t-on des droits et du bien-être
de l’enfant dans les accords de coopération économique et militaire ;
les accords de défense ? Où situe-t-on l’intérêt supérieur de
l’enfant ? Cet intérêt qui devrait structurer la société, du village à la
ville ? C’est le deuxième versant de l’échec…
La CIDE ainsi
que la Charte des droits et du bien-être de l’enfant sont malades du
double-discours, de deux logiques ; l’une plonge ses racines dans
l’approche des 3P ( Protection,
Prescription et Participation)
pendant que l’autre logique vient du fait que l’univers de la coopération
économique, de l’aide public au développement et l’univers des accords de
défense sont des univers considérés comme
les « Terra
incognita » des droits de l’enfant. On ne voit pas les relations
dialectiques évidentes entre les droits et la poursuite du bien-être de l’enfant
et les intérêts économiques et/ou militaires. La présente analyse a choisi une
approche holistique du message posthume des deux adolescents Guinéens..
I)
Plaidoyer pour
un traitement de la cause et non des symptômes de violation des 3
P ;
Le message
posthume adressé par les jeunes Yaguine Koita ; 14 ans et Fodé
Tounkara ; 13 ans a désormais valeur de testament pour la défense et la
promotion des droits des enfants et des jeunes. La teneur de la
lettre adressée aux dirigeants occidentaux laisse clairement entendre que
les deux adolescents connaissaient l’ampleur des risques qu’ils couraient. 16
ans après ce drame, il est urgent d’adresser un message semblable aux
dirigeants ; non des pays occidentaux mais à ceux des institutions de
l’Union Africaine, pour exiger le respect des 3P de la CIDE et de la Charte des
droits et du bien-être de l’enfant africain et, qui font de l’enfant des deux sexes ; le
titulaire des droits ; approche
sujet de droit et non l’approche « objet » de droit.
Contrairement à
qu’affirment l’opinion dominante, qui réduit le message des deux victimes de la
Sabéna à une sorte de « mains tendues », il faut lire ce message-
testament à la lumière des 3P et
c’est la clé de lecture que nous proposons :
P comme
Protection : Il s’agit des politiques publiques à mettre en œuvre par les
Etats et le rôle des parents pour garantir aux enfants la protection. Protection
dans les lieux de socialisation, protection par les institutions, protection par
les parents. Dans le cas Centrafricain, il n- y a quasiment plus de lieu de
socialisation : les écoles sont des champs de ruines avant et depuis la
guerre atypique.
P comme
Prestation : Il s’agit des politiques publiques à mettre en œuvre pour
favoriser l’émancipation de l’enfant. Cela peut aller du maintien des structures
existantes à la création des nouvelles. Ce sont les prestations qui conduisent
l’enfant vers l’adulte en devenir. Des prestations mettant l’accent sur le
développement des capacités à agir sur le monde avec des individus libres,
responsables et solidaires. L’Etat sous-traite cette obligation aux différents
clusters des ONG humanitaires. Quant aux parents la violence des évènements les
ont contraints à une totale déroute. Le lien familial et social s’est délité,
les enfants affamés sont la proie des militaires. Là aussi, l’Etat est aux
abonnés absents, s’agissant de la garantie minimale de la créance de
Prestation.
P comme
Participation de l’enfant. L’enfant étant une personne à part entière et non une
personne entièrement à part d’après les principes liminaires de la Convention
Internationale des droits de l’enfant. Organiser sa participation sans aliéner ni réduire
ses droits. La participation est un droit fondamental au même titre que les deux
précédents. Dans ce champ l’Etat en Centrafrique a la singularité de considérer
la participation de l’enfant ; source d’éveil comme une menace. Dans l’Adn
de l’Etat en Centrafrique,
l’organisation des lieux de participation relève de l’hérésie car l’éveil
de l’enfant est générateur de capacités de nuisance et donc potentiellement
déstabilisant pour le pouvoir. L’Etat en Centrafrique a toujours confondu
émancipation et épanouissement. Quand les enfants jouent, c’est de
l’épanouissement. En revanche, lorsqu’ils acquièrent dans les activités des
aptitudes pour s’affranchir, s’émanciper des pesanteurs qui les tiennent
prisonniers, il y a émancipation. Les militaires dont la tenue fascine les
enfants affamés et sans repères, ont
manqué d’intelligence ; ils ont mis à profit la proximité pour se
livrer à des actes de promiscuité. L’occasion faisant le larron a
relevé récemment un homme politique français !
L’approche
« sujet » de droit et non « objet » de droit structure la
vie en société. Cette approche donne à l’enfant le droit d’exiger le respect de
ses droits ; une sorte de droit opposable de l’enfant dans une Afrique
fragmentée. L’afflux des enfants réfugiés, abandonnés à eux-mêmes démontre que
l’architecture de certains Etats se lézarde et génère une insécurité pour les
enfants dont le seul tort est d’être né sur le sol Africain. Les droits et bien-être de l’enfant sont
peu ou prou objet de projet de société
Les droits de
l’enfant est le meilleur prisme d’appréciation d’un Etat, des institutions de
l’Etat et de la construction de la nation. Mais dans les accords de défense avec
les pays d’Afrique, les exigences
des droits des enfants n’entrent nullement en ligne de compte.
L’articulation des 3 P est constitutive de repère dans des contextes où il y davantage de repaires que de
repères.
II)
Les droits et
le bien-être de l’enfant sont dialectiquement liés avec les accords de
partenariats économiques, l’aide publique au développement et les accords de
défense.
L’actualité
fait état de soupçon de viol sur mineurs en Centrafrique. Ces actes sont
imputables à des militaires français de la force Sangaris ; 14 selon
certains et 16 selon d’autres. En plus des militaires français, il y aurait
également des militaires Tchadiens et Equato-Guinéens.
Sans nous
attardez à tout le tintamarre et autres formes de cris d’indignation que cette
affaire soulève, il faut se demander si la justice va être rendue. Pourquoi le
ministre de la défense appelle les auteurs à se dénoncer ? Depuis la loi de
Programmation militaire votée en 2013, les autorités françaises ont obtenu
auprès des autorités Centrafricaines de Transition une impunité pour les soldats
français en transposant purement et
simplement les termes suivants « Les
Membres du personnel du détachement français bénéficient des immunités et
privilèges identiques à ceux accordés aux experts en mission par la convention
sur les privilèges et immunités des Notions unies du 13 Février
1946 »
Une disposition
similaire est prévue pour les militaires français au Mali, en République
Démocratique du Congo et au Rwanda.
Les victimes et
les associations de défense des droits humains ne peuvent déclencher une enquête
par constitution de partie civile au regard de cette immunité. L’intervention du
Ministre Centrafricain de la Justice
est une manœuvre démagogique des autorités de la transition parce
qu’elles savent bien qu’en la circonstance, l’adage selon lequel « nul ne peut s’exonérer au préalable de sa responsabilité »
ne s’applique pas lorsque les militaires, les experts opérant sur des théâtres
étrangers se livrent à des pratiques humiliantes, avilissantes et dégradantes
sur les enfants, une immunité « paratonnerre » les met à l’abri.
Il en est de
même des Conventions que viennent de signer les forces et groupes armés
Centrafricains ; enrôleurs de force des enfants-soldats en violation totale du
protocole additionnel de la Convention internationale des droits de l’enfant
pour obtenir en retour, l’abandon des poursuites pénales devant la justice
pénale internationale.
A quand
l’exigence par l’Union Africaine du respect des droits et bien-être de l’enfant
Africain par les Etats signataires de la Charte ? Quelles sont les
conditionnalités idoines de sa mise en œuvre ? Comment évaluer la mise en
œuvre effective en dehors des 3P ? Qui est chargé de mettre en œuvre cette
Charte dans un contexte tel que La République Centrafricaine ? Quelles
genres de sanction a prévu l’Union Africaine en cas de violation flagrante et
notoire des dispositions de la Charte ? Partant du postulat que l’approche
« sujet » de droits induit l’articulation des 3P, fait des droits et
la recherche du bien-être de l’enfant, un dissolvant pour repenser les rapports
et refixer les points d’ancrage de la société et insérer mieux les enfants et
les jeunes, dans une Afrique confrontée aux mutations
violentes.
Conclusion :
Nous plaidons
pour que le respect des droits et du bien-être de l’enfant conduise l’Union
Africaine à se préoccuper, non seulement de la multiplication des
pratiques émancipatrices des
enfants mais à exercer une grande vigilance quant aux enjeux théoriques de ces
droits : Une telle veille invite à
·
ériger au rang
des valeurs et principes démocratiques bien qu’étant des pays pauvres très
endettés.
·
faire de ces
droits des catalyseurs de réflexion et d’action de coopération, de jauge et de prisme d’alignement du
système démocratique sur les standards internationaux.
·
encastrer les intérêts supérieurs de l’enfant dans
les accords de coopérations économiques, politiques et militaires et rompre
radicalement avec l’enrôlement forcé des enfants.
·
participer à la
construction des remparts contre les assauts des marchands de
rêve
·
refuser que le
droit des pauvres soit un pauvre droit.
C’est le vrai
sens de la lettre posthume, le testament des Jeunes Guinéens. Ceux dont les
corps reposent au fond de la méditerranée, ceux qu’on viole à Bangui et dont on
cherche, par toutes les contorsions politico-juridiques possibles grâce aux
connivences de l’Union Africaine -
à étouffer leurs droits - adresseraient un message en des
termes identiques mais aux dirigeants Africains.
[14 mai
2015]