La
Centrafrique traverse, depuis mars 2013, une crise politique, sécuritaire et
humanitaire sans précédent. Ce chaos est le résultat de la profonde crise de
confiance que connaît le pays depuis sa création en 1958. Les partenaires
engagés dans la résolution de cette crise doivent intégrer l’impérieuse
nécessité de reconstruire la confiance des citoyens entre eux, des citoyens
envers les institutions et les politiques.
Situation
d’urgence en Centrafrique
La
communauté internationale a été amenée, depuis l’offensive (en décembre 2012)
puis la prise de pouvoir par la SELEKA (en mars 2013), à intervenir suite aux
exactions de la Séléka (alliances de rebelles majoritairement musulmans) et des
Antibalaka (milices chrétiennes) contre les populations. Les interventions, qui
vont jusqu’à prendre la forme d’une mise sous-tutelle, visent à rétablir la
paix, garantir la sécurité et assurer la stabilisation politique. Malgré une certaine
accalmie, force est de constater que les interventions de la Communauté
Internationale (SANGARIS, MISCA, EUFOR et MINUSCA), telles
qu’elles se sont déployées depuis le début des opérations, ne suffisent pas à
rétablir la sécurité et à stopper les
violences.
La
Centrafrique traverse la crise la plus grave de son
histoire. Selon
Didier Niewiadowski, ancien Conseiller de Coopération et d’action culturelle à
l’ambassade de France de Bangui : « la dernière crise ne peut s’apparenter à une
nouvelle mutinerie impliquant les seules forces armées de Centrafrique ».
Cette
crise est à la fois nationale et régionale. Elle implique la
Centrafrique et les pays de la sous-région (Cameroun, Tchad, Soudan, Congo
Brazzaville, République Démocratique du Congo). Aussi, les risques associés aux
activités des groupes armés transnationaux pourraient mettre en péril
l’équilibre des Etats de la sous-région. Elle se distingue
également par sa dimension interreligieuse et
intercommunautaire. Suite au renversement, par la Séléka, du
Président François Bozizé (en mars 2013), Michel Djotodia est devenu le premier
chef d’Etat musulman dans un pays majoritairement chrétiens. Les exactions de la
Séléka contre les populations chrétiennes puis des Antibalaka contre les
populations musulmanes ont aussitôt plongé le pays dans la terreur. Face à la
gravité de la situation, certains observateurs et experts internationaux n’ont
pas hésité à la qualifier de « nettoyage ethnique ». Alors que l’objectif de
l’action internationale est d’assurer le cessez-le-feu entre les parties
belligérantes, l’enjeu aujourd’hui va au-delà de la gestion du conflit
interreligieux et de la réconciliation entre les communautés. Il s’agit avant tout
d’une crise du système politique et
judiciaire.
La
défiance règne
La
République Centrafricaine est atteinte d’un mal persistant. La défiance est
devenue le marqueur distinctif de la société centrafricaine.
Depuis son indépendance, de multiples mutineries ont contribué à l’instauration
d’une culture de la défiance. Ce pays est devenu la fabrique de comportements
opportunistes et déviants. Le constat est accablant : anarchie, insécurité,
disparition de l’Etat de droit, faillite de l’économie, paupérisation de la
population, perte de sens de la fonction de l’Etat, des politiques et déclin
progressif du sentiment national. La crise de
confiance qui en découle, pour ne pas dire l’absence de confiance, peut être
considérée comme un des facteurs clés du conflit entre les
communautés. Elle apparaît comme un obstacle majeur à la
reconstruction de la Centrafrique. Elle est en grande partie liée au
dysfonctionnement continu des institutions ; censées être le garant de la
confiance. Enfin, les divergences régionales et la répartition confuse des
tâches entre les acteurs de la gestion de la crise aggravent le sentiment de
défiance des populations et des partenaires impliqués.
Reconstruire
la confiance : le défi du Forum de Bangui
La
construction d’une nation forte ne peut s’imaginer sans confiance entre l’Etat,
les Institutions, les associations, les politiques, les partenaires commerciaux
et les citoyens. A ce
jour, tous les dispositifs conventionnels mobilisés pour résoudre cette crise ne
suffisent pas à rétablir la confiance. Il est alors nécessaire d’en penser les
conditions et d’éveiller les
consciences de chacun sur la nécessité de construire la confiance pour permettre
la reconstruction du pays (reconstruire l’Etat et les
Institutions publiques/State-Building).
Que
faut-il faire pour construire la confiance en Centrafrique ? D’une
part,
il est nécessaire de définir clairement la position et le rôle de la Communauté
Internationale dans la gestion de la crise centrafricaine.
Quelles sont aujourd’hui les priorités, les positions, la volonté, les plans
d’action concrets de la France, de l’Europe et des Nations Unies sur le long
terme ? A l’heure actuelle, face à la persistance des exactions, le
rétablissement, le maintien et la consolidation de la paix semblent compromis,
sans ce préalable. Pourtant, l’action internationale pourrait être le premier
garant du rétablissement de la paix et de la construction de la confiance. En
d’autres termes, qui aura le courage et les moyens d’aller plus loin que les
opérations sous casques bleus et d’assurer l’application stricte des résolutions
des Nations Unies ? Penser l’action internationale dans la période post-conflit
et au-delà paraît une évidence. La France qui semble détenir tous les leviers
militaires, humanitaires, politiques et économiques,
pourrait en être l’initiatrice. La création d’un Haut
Conseil pour la Construction de la Confiance en Centrafrique
pourrait ainsi être une initiative internationale. Chargée d’apporter une aide à
la décision, de faire des recommandations et de proposer des solutions adaptées,
cette
instance réaliserait des audits de confiance (ex. : confiance entre citoyens,
des citoyens envers les Institutions, des investisseurs en RCA).
Elle serait composée de membres experts du monde de la recherche, de
l’entreprise, de la politique, des médias, du sport et de la culture. L’idée
serait de contribuer collectivement à la construction de la confiance entre
citoyens, politiques, institutions, partenaires économiques et financiers, et
médias. Un rapport annuel et des avis consultatifs concernant la construction de
la confiance dans tous ces domaines pourraient faire l’objet d’applications par
le gouvernement centrafricain.
D’autre
part, les politiques
centrafricains doivent s’interroger sur la modernisation du système
politique. Les centrafricains manifestent une grande défiance à
l’égard des compétences des politiques et de leur intégrité. Cependant, gagner
la confiance des citoyens passe par la capacité à en faire preuve. L’une des
composantes majeures de leurs réflexions et de leurs actions devrait être la
construction de la confiance (Confidence Building) des citoyens envers les
politiques et des citoyens entre eux. Ils doivent aujourd’hui montrer une
volonté réelle de co-construire avec les citoyens un projet de société. Cela
nécessite de développer de nouvelles politiques d’envergure pour reconstruire le
pays et son économie. Néanmoins, le leadership politique, la vision d’un parti
politique pour incarner la volonté d’ancrer durablement le changement sont des
conditions préalables au développement du pays.
Alors que le monde s’accorde à dire que la Centrafrique est un pays failli, les centrafricains, bien au contraire, et plus que jamais, peuvent s’atteler à penser eux-mêmes les solutions à cette crise. Cela ne peut se faire sans dialogue et sans coopération entre politiques, représentants des Institutions et de la société civile. Le dialogue inter-centrafricain/Forum de Bangui, prévu fin avril 2015, pourrait être une occasion historique pour poser les fondations de la construction d’une « société de confiance » et d’un « Etat de confiance ». Il est fondamental de répondre aux attentes profondes des centrafricains, de leur redonner une liberté de pensée et d’actions. Des mesures et des efforts devraient être menés pour recréer un Nation-building; visant à redonner du sens au vivre ensemble et à reconstruire l’identité nationale. La création d’une Commission de mise en place et de contrôle de mesures de Confidence Building pourrait permettre de proposer des actions concrètes et d’évaluer, dans ce domaine, les pratiques des institutions. La construction de la confiance en Centrafrique nécessitera la mobilisation de tous et devrait à la fois être un pari politique, citoyen, tourné vers l’avenir.
Publié
le 14 avril 2015 - ideas4development.org
#@SherazGatfaoui