Le Babélisme politique en Centrafrique

« Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.»

(Nicolas Boileau, L’Art poétique, Chant I)

Il y a eu –et il y a toujours- très peu d’écho d’un Forum de réconciliation que le Pouvoir a organisé à Bangui et qui était censé, dans la phase de la mise en application des résolutions adoptées, ouvrir la voie à la reconstruction nationale.

« Bangui », dit-on, bruisse plus de rumeurs que d’informations contrôlables et avérées.

Si le Forum a bien conduit à un consensus général, le Chef de l’Etat de la Transition et son Gouvernement sont « crédibles » et donc fondés dans leurs démarches pour courir les tables-rondes d’Europe, d’Afrique et d’ailleurs et pour réunir les fonds requis pour cette phase exécutoire du Forum. Mais, « rumeurs» ou malveillantes désinformations, il demeure des zones d’ombres quand on enregistre ici et là la « fin de non-recevoir » et les défis sporadiques mais non moins réguliers et déterminés, qui viennent de factions armées.

Avec la « reconduction de la Transition » pour un nouveau contrat à durée déterminée certes, mais toujours pour un terme non défini parce que difficile à fixer, tout indique qu’il faut « remettre l’ouvrage sur le métier » et travailler encore et toujours sur les prolégomènes et autres préalables à tous nos projets de construction-reconstruction nationale :

faire taire les armes, restaurer la paix et réapprendre aux citoyens à vivre ensemble,

ramener les déplacés à la maison et recréer la liberté de circulation des hommes et des biens,

remettre le peuple centrafricain au travail et recréer les conditions du rêve d’une vie dans l’unité et la dignité, le travail et le progrès…

« Bangui », dit-on, bruisse plus de rumeurs que d’informations contrôlables et avérées.

Si tout indique que tout reste à faire au regard des préalables rappelés ci-dessus et toujours d’actualité, le Chef de l’Etat de la Transition et son Gouvernement vont trop vite en besogne à lancer dès à présent leur campagne de collectes de fonds qui, à coup sûr, tomberaient dans le puits sans fond de la gabegie ambiante, de la mauvaise gouvernance, de la corruption et des détournements en tous genres…

Sauf à convaincre qu’il n’y a rien de vrai dans tous les « bruissements » qui font état de détournements autour de l’organisation du Forum, les bailleurs seront longs et lents à mettre la main à l’escarcelle et à sortir le moindre kopeck…

Pourtant notre salut, -hélas !- dépend de ce geste-là : malheureusement !

Il nous faut tirer les leçons du passé et nous éviter l’impasse que constituerait la mise en responsabilité de M. Jean-Jacques DEMAFOUTH pour gérer « le désarmement, la démobilisation et la réintégration » des milices qui sèment terreur et mort dans le Pays !

Il nous faut tirer les leçons du passé et veiller à ce que le programme DDR soit le plus complet possible : c’est-à-dire assuré de l’efficacité vérifiée dans la mise hors d’état de nuire des « seigneurs de guerre » et assurée aussi des garanties qu’attend le Peuple aspirant à une sécurité pérenne !

« Bangui », dit-on, bruisse plus de rumeurs que d’informations contrôlables et avérées.

Si tout indique que tout reste à faire au regard des préalables rappelés ci-dessus, y a-t-il plus grande urgence centrafricaine que de travailler encore et toujours à lever les obstacles qui ont contrecarré une rigoureuse mise en application de la feuille de route édictée à Libreville et successivement remise à jour pour la Transition à Ndjamena et Brazzaville ?

Et à ce niveau de mon interrogation, je ne comprends donc pas toutes les déclarations de candidatures pour des élections nationales (présidentielles et législatives) ou locales, dont rien ne permet d’imaginer qu’elles se tiendront ou à plus forte raison qu’elles seront transparentes et démocratiques.

Je l’ai écrit et je soutiens la légitimité de tout citoyen à postuler pour les responsabilités à tous les niveaux dans la gestion de son Pays.

Je maintiens cependant, comme le dit le Sage :

« Il y a un temps pour tout et un moment pour toute chose sous le soleil » (L’Ecclésiaste, chap.3)

Je retiens surtout, pour mon propos, le verset  7 :

« Il est un temps pour déchirer, il est un temps pour coudre ».

Des gens, à quelque niveau qu’on les situe ont choisi de déchirer le tissu national. C’est heureux, en nous regardant, que nous ne fussions pas de l’engeance des détrousseurs, des violeurs, des pilleurs et- au choix- des pillards !

Serions-nous quittes pour autant et justifi&s de faire une entrée intempestive dans un jeu qui n’a pas tout à fait arrêté ou défini ses modes de fonctionnement, ni les règles que tous nous souhaitons favorables au développement de la démocratie, à l’instauration de la bonne gouvernance et au rétablissement d’une harmonie sociale qui fit et fut, pendant longtemps, la réputation de la République Centrafricaine ?

« Le temps pour coudre » de l’Ecclésiaste ne me paraît pas venu et toutes les candidatures déclarées ont, à mes yeux, quelque chose de prématuré. Les raisons développées ci-dessus peuvent être rassemblées dans ce vœu qui m’est particulièrement cher : celui de voir toutes les intelligences et bonnes volontés de Centrafrique se montrer à la hauteur des enjeux et, partant, se montrer capables de réaliser une salutaire synthèse : capables en tout état de cause de réaliser la rencontre des esprits et des cœurs sans laquelle rien de ce qui grandit l’homme ne peut se faire.

J’ai retenu ceci d’un homme et d’un philosophe qui a eu une grande place dans mon initiation à la philosophie :

« Comment un accord de pensée est-il concevable ?

L’accord peut se faire non pas sur une commune pensée spéculative, mais sur une commune pensée pratique, non pas sur l’affirmation d’une même conception du monde, de l’homme et de la connaissance, mais sur l’affirmation d’un même ensemble de convictions dirigeant l’action. Cela est peu sans doute, c’est le dernier réduit de l’accord des esprits. C’est assez cependant pour entreprendre une grande œuvre, et ce serait beaucoup de prendre conscience de cet ensemble de communes convictions pratiques »

(Jacques Maritain, Discours prononcé en 1947 devant la Conférence Générale de l’Unesco)

Nous avons été nombreux à échanger sur la situation tous les jours et chaque fois invariablement catastrophique de la République Centrafricaine.

A l’échelle individuelle nous y sommes allés de nos préconisations. Mais il reste et il faut, aux yeux de l’observateur engagé que je prétends être, la lucidité qui fera voir dans nos productions individuelles ce qui y est nécessairement comme l’appel à un achèvement ou à une « complétude » qu’elles trouveront dans une éventuelle synthèse avec certaines autres préconisations.

Pour être un meneur d’hommes il faut être sans hésitation ou ne point lésiner devant le seul bon choix  : l’efficacité des contributions à une tâche commune requiert la plus large synthèse possible des idées ou, - comme il m’est arrivé de l’écrire-, la plus large convergence possible des esprits et des cœurs.

Il faut sortir des combats solitaires : ce que j’appelle ici le « babélisme en politique »

Le reste viendra de surcroît.

MANDEKOUZOU-MONDJO

13/06/2015