Le ver était déjà dans le fruit
Au niveau où j’en suis des informations je retiens que
rien, définitivement, n’a filtré du message adressé à Mme SAMBA-PANZA par le
Médiateur après qu’il a reçu les dix « plaideurs » venus lui signifier
leur rejet de la désignation peu démocratique de M. Mahamat Kamoun au poste de
Premier ministre.
Je veux admettre que ce regard est quelque peu
réducteur : il semblait bien que, dans cette période, nous nous trouvions
devant le spectacle d’une opposition frontale entre les deux Présidents de la
Transition : Mme SAMBA-PANZA, Président (1) de la République et M. NGUENDE,
Président du Conseil national.
D’entrée de jeu et de mon point de vue, M. NGUENDE a eu
tort de se focaliser sur l’opposition des critères de leurs choix
réciproques : il privilégierait un candidat, M. Karim MECKASSOUA, musulman
orthodoxe, contre M. Mahamat KAMOUN, musulman et chrétien, que retient Mme
SAMBA-PANZA apparemment séduite par son « syncrétisme » ou métissage
religieux réputé créateur de synthèse et d’unité.
Mais, en allant plus au fond, il y a lieu de voir, en
vérité, que les germes multiformes de cette crise étaient déjà au commencement,
et pouvaient se manifester à tout moment.
Le ver était déjà dans le fruit, qui ne pouvait que
faire mentir les promesses des fleurs ou l’espérance qu’a fait naître « la
grande lumière qui dans le ciel a resplendi pour éclairer et guider les pas d’un
peuple qui marchait dans la nuit » (2)
Dans ce billet : « Une lumière dans la nuit », que
j’ai fait publier par SOZOWALA le 22 janvier 2014 j’ai écrit
ceci :
« La Transition est et demeure un
temps de cohabitation et de gestion consensuelle pour ce qui est notamment des
deux « têtes » de l’Exécutif. Jusqu’à ce que nous en convenions tous
qu’il faut oublier Libreville et les accords qui ont créé cette Transition et
les règles du jeu. »
Je reprochais au Conseil national de Transition de ne
pas avoir organisé les élections simultanées du Président de la République de
Transition et du Premier Ministre : de la même manière qu’il a été procédé
à leur mise en place simultanée à Libreville par les Accords du 11 janvier
2013.
La crainte ici exprimée a pris en compte les échecs de
la transition dans les conditions où elle fut conduite par MM. BOZIZE et
DJOTODIA, qui avaient marginalisé le Premier ministre, Maître THIANGAYE, et
avaient confisqué la réalité de tous les pouvoirs.
La « vampirisation » du Premier Ministre
désormais le premier des ministres soumis avec les autres membres du
gouvernement au choix discrétionnaire du Président était une tentation évidente et inéluctable avec
Mme SAMBA-PANZA. J’écrivais alors :
« Mme
SAMBA-PANZA n’est pas avare de déclarations, ni de confidence ; et elle ne
laisse pas voir qu’elle a intégré la feuille de route des Accords de Libreville
tempérant la prééminence de la fonction présidentielle qui, en temps normal,
décide seule de l’orientation des politiques que le Premier Ministre est
simplement appelé à conduire : quand même on attendrait de lui qu’il le fît
avec intelligence et compétence ! »
Je ne suis donc pas plus surpris de voir Mme SAMBA-PANZA
jurer aujourd’hui qu’il y va de son honneur et du respect de ses prérogatives et
décider dès lors d’imposer sa seule lecture du consensus et de la concertation
souhaités par tous pour la désignation du Premier ministre et la formation d’un
gouvernement ouvert à toutes les sensibilités et représentations nationales.
Entre Emile Loubet et Raymond Poincaré le choix d’éviter
d’être le « Président qui inaugure
les chrysanthèmes » la conduira à être le « Président qui rit dans les
cimetières ».
Lorsqu’elle en appelle à la vigilance contre « les manipulations qui s’organisent chaque
jour pour désorganiser les Autorités de la Transition et mettre à mal ce qui
reste encore de notre souveraineté » (3), son discours se trompe
d’adresse et incite, de la même manière, à lui conseiller un peu de lucidité
pour voir le danger qui vient, et un peu d’humilité pour se convaincre qu’elle
seule ne saurait avoir raison du grand nombre qui, sur le plan national et
international, pense que le compte n’y est pas.
Les protestations qui se multiplient en appellent à un
changement de cap si on veut réellement sortir de la crise. L’entêtement qui y
répond ne peut que conduire à faire durer encore le malheur du Peuple
centrafricain et à multiplier les nécropoles…
Vous serez alors, Madame, « le Président qui rit
dans les cimetières ».
B. MANDEKOUZOU-MONDJO
23/08/2014
(1) J’en réfère ici à l’usage qui veut que l’on désigne de cette manière indifférenciée ou neutre la personne, femme ou homme, qui est dans la fonction de président : réservant l’application du genre et l’appellation « présidente » à l’épouse du président.
(2) « Une lumière dans la nuit. » : Sozowala, Tribune : 22 janvier 2014. :
« Le Peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande
lumière.
Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre une lumière a resplendi.» (Isaïe, 9,1)
(3) « Adresse à la nation du Chef de l’Etat de la Transition » : 22 août 2014.