« Les manipulations
constitutionnelles sont une forme de génocide attentatoire à la morale
»
(Alwihda Info) Rédigé par Nestor Nga Etoga - 12 Avril 2015 modifié le 12 Avril
2015 - 14:55
Alwihda infos : Professeur
Bonjour !
Pr. SHANDA TONME : Bonjour monsieur Nga Etoga
AI : Le conseil national de transition du
Burkina Faso, organe mis en place après la fuite de Blaise Compaoré et qui tient
lieu de parlement, a adopté une loi qui modifie certaines dispositions du code
électoral, en interdisant notamment aux partisans de l’ancien président de se
présenter à l’élection présidentielle. Comment jugez-vous cette
démarche ?
ST : Ecoutez, nous sommes là en présence de
ce que je pourrai appeler une « mesure incapacitante », exactement
comme certaines décisions de justice qui privent un citoyen de droits
d’éligibilité ou encore prononce la confiscation des biens, la restriction des
déplacements suivie du retrait de tout document de voyage, en l’occurrence le
passeport. Je tiens à dire qu’il y a toujours des raisons à la base de telles
décisions drastiques. Dans le cas d’espèce, c’est la résultante d’une crises
politique qui a permis de faire remonter des crimes, des dérapages et des
errements graves voire impardonnables en surface. Je peux donc tout à fait
comprendre le renvoi d’ascenseur que fait ce conseil qui représente alors le
peuple désabusé et nourri de vengeance autant que de quête de nouvelle probité
morale.
Pr. Mais est-ce que vous ne tombez pas dans
un certain extrémisme en soutenant cette décision ?
ST : Enfin, qu’appelez-vous
extrémisme pour commencer ? J’espère au moins que vous avez une conscience
exacte de ce qui est à la base de la révolution des 29 et 30 octobre 2015 au
Burkina Faso et laquelle s’est soldée par des morts, des martyrs dont ce pays
aurait pu s’en passer. Le balai citoyen qui est un mouvement s’opposant à la
révision constitutionnelle à des fins d’institutionnalisation d’une présidence à
vie, ce qu’ambitionnait Compaoré et qu’ambitionnent d’autres de la même avidité
du pouvoir, a posé comme principe, et c’est de mon point de vue fondamental, que
« soutenir la révision constitutionnelle dans ces conditions est un crime
politique ». Il y a ici un discours capital voire fondateur au plan
normatif, en se situant essentiellement dans la science politique. Or allez plus
loin, entrer dans le droit international dans sa traduction objective axée sur
son expression la plus novatrice et la plus avancée depuis 1975, et vous vous
rendez compte, que « soutenir ce genre de révision constitutionnelle, est
objectivement constitutif, non plus uniquement de crime politique, mais de crime
contre l’humanité ». Ce n’est que par ce raisonnement qui n’a rien
d’extrémiste, que vous pouvez mieux comprendre la démarche du Conseil national
de transition burkinabé.
Pr, n’est-il pas honnêtement possible de
parler de violation de la déclaration universelle des droits de l’Homme, quand
des citoyens sont privés de droit d’éligibilité ?
ST : Mais attendez, de quoi
parlez-vous ? Vous évoquez les droits de l’Homme pour des individus qui
devraient plutôt se dire chanceux de n’avoir pas été pendus ou directement
envoyés au peloton d’exécution ? Il faut que les Africains commencent à
accepter la logique qui est celle de l’entièreté de leurs responsabilités pour
des actes criminels actifs ou passifs, implicites ou explicites, directs ou
indirects. Les manipulations constitutionnelles sont une forme de génocide
attentatoire à la morale, à l’hygiène et à la sécurité publique, dans la mesure
où elles mettent en péril, à court ou à long terme, l’ensemble des droits et des
libertés reconnus et consacrés justement par les conventions internationales
auxquelles les soutiens de Compaoré se réfèrent. A ce propos je saisi
l’occasion, puisque vous me la donnez, de vous rappeler que la constitution
camerounaise de 1996 établi, mais cette fois sur un fondement discriminatoire et
ethno génocidaire inacceptable, qu’un citoyen établi en un lieu du territoire
national, fusse depuis des générations, ne peut pas être éligible à certaines
fonctions régionales, parce qu’il serait, selon des critères honteux,
originaires d’une autre région.
Pr, Il me semble que la tendance depuis
l’avènement de la majorité noire au pouvoir en Afrique du sud est au dialogue et
à la réconciliation. Comment expliquer ce qui apparaît comme l’exclusivité de la
volonté punitive au Burkina ?
ST : D’abord, laissez-moi
vous dire que ce qui s’est passé en Afrique du sud, procède d’accords et
d’arrangements très secrets négociés voire imposés par les puissances
occidentales qui avaient soutenu le régime d’apartheid et ses fantoches des
bantoustans. Mandela s’est vu imposé cette démarche comme un pis-aller, une
porte de sortie qui préservait l’essentiel, protégeait des secrets stratégiques
à l’instar de la gestion de l’arme nucléaire que possédait le pays, réglait
quelques détails cruciaux des enquêtes sur les violations de l’embargo de l’ONU
y compris le commerce des armes, et assurait la survie et leur mise progressive
à la marge des traitres qui existaient chez les noirs et au sein même de l’ANC.
On ne saurait se référer à ce qui s’est passé là-bas comme une bible, un modèle
à généraliser. Chaque pays où se déroule des événements graves, des crimes de
toute nature, évolue dans un contexte précis, je dirai spécifique qui met en
exergue des paramètres objectifs distincts de ceux de tout autre pays.
Pr, le problème demeure entier, s’agissant
de la gestion après ces régimes qui confisquent le pouvoir. Doit-on absolument
envisager un balayage de générations entières et de partisans
zélés ?
ST :
Ecoutez tout dépend de la manière dont ces régimes prennent fin.
Il est clair qu’une fin noyée dans un bain de sang et des tueries effroyables
entraînera une transition des plus radicales conduite alors par des acteurs sans
pitié, poussés par un peuple plus que revanchard. A l’inverse, une fin de régime
qui se produit à l’issue d’une simple révolution de palais sans grand drame,
créerait tout un autre contexte propice à une transition moins radicale. Il est
important à ce niveau, de ne pas écarter le degré de rupture entre les classes
sociales sous ces régimes totalitaires ou autocratiques. Plus le fossé est grand
à cause de l’arrogance, du pillage, de l’enrichissement insolent mené par
certains acteurs du pouvoir, plus la tendance d’une transition sera à des
jugements, des condamnations et des punitions sévères. Prenez par exemple le cas
de hauts fonctionnaires qui détiennent une centaine de titres fonciers en zones
urbaines, ou encore de ceux qui ont immatriculé des villages entiers à leur
profit. Ils feront les frais de toute transition, et de la façon la plus
terrible. Vous pouvez d’ailleurs y ajouter les cas de promotion fantaisistes ou
des succès arbitraires à des concours professionnels par des personnes qui
parfois n’ont même pas subit les épreuves. Trop de citoyens pauvres, frustrés,
malade ou marginalisé, estiment que leur véritable place est occupée par des
tricheurs, des incompétents, des fainéants et des filous. C’est valable dans
tous les contextes de mauvaise gouvernance. Vous voyez au Burkina comment des
gens ont déserté les bureaux au lendemain de la fuite de Compaoré, parce qu’ils
savaient qu’ils n’étaient pas à leur place. Cette image peut se reproduire
ailleurs, où des familles entières, des clans, des fratries ou des lobbies
villageois ont confisqué les principaux leviers du pouvoir d’Etat.
Pr, Vous qui êtes internationaliste chevronné, ne
pensez-vous pas que la radicalisation des transitions politiques est susceptible
de menacer les fondements des relations
internationales ?
ST : Je
crois que nous devons revenir à ce qui constitue le motif premier de notre
échange, à savoir la modification de la constitution à des fins impropres et
anti républicains. Voyez-vous, monsieur Nga, il n’est point besoin d’avoir fait
des études quelconques pour comprendre la valeur, la signification, la substance
et le caractère crucial de la constitution. On dit d’ailleurs de la constitution
d’un pays, qu’elle est un acte sacré, une charte fondamentale. Dès lors, perçue
comme le code génétique, l’ADN d’un peuple, le creuset de son identité et
l’expression de son âme profonde, elle ne saurait être soumise aux libres
tentations de quelques prébendiers politiques ou de quelques aventuriers
extrahumains. C'est un acte ignoble de la plus haute trahison que de jouer avec
une constitution comme on joue avec son clavier ou surfe sur le net. Ce qui est
en cause dans l’exclusion des partisans de Compaoré au Burkina Faso, c’est
l’insolence, la provocation et la condescendance dont faisaient encore preuve
ses partisans, quelques jours seulement avant l’éviction de leur demi-dieu.
Et puis, voici un pays qui a conservé durant trois décennies, la mémoire
vive d’un des leaders africains les plus charismatiques assassinés lâchement.
Vous voulez me dire que le jour du deuil n’est pas encore arrivé ou quoi ?
Pr, je comprends très bien vos explications,
mais je m’en tiens à la préservation par exemple des accords conclus par les
Etats. Faudrait-il les renier tout simplement en cas de
transition ?
ST : Merci
de poser cette question que je trouve déjà intéressante. Je veux déjà vous
assurer que même en cas de changement révolutionnaire de régime, il y a ce que
l’on appelle en droit international positif, le principe de la continuité de
l’Etat et de ses obligations internationales. Toutefois, les dirigeants du
nouveau régime sont libres, et ils en ont la pleine latitude, de revisiter,
renégocier, amender voire contester et renier certains accords, conventions,
pactes et arrangements. Cela s’est vu en Algérie, au Chili, aux Etats unis, en
France, un peu partout au lendemain des changements au sommet de l’Etat. Il ne
s’agit donc pas d’une démarche uniquement propre à des pays généralement pauvres
et situés à la périphérie. Les nations unies ont depuis longtemps adopté et
établi, au moyen d’une résolution claire et sans équivoque aucune, le principe
de la souveraineté permanente des Etats sur leurs richesses et
ressources naturelles. Ce principe implique en termes de traduction politique,
que c’est le peuple, s’exprimant selon et à partir de ce qu’il définit, perçoit
et interprète comme étant les vrais intérêts nationaux du pays, qui décide en
dernier ressort. Cela veut dire tout simplement que le nouveau régime, émanation
directe ou indirecte d’une révolution, sanglante ou pacifique, dispose de la
latitude, au nom de cette souveraineté, de son caractère plénipotentiaire et
exclusif, de dénoncer tout accord. J’espère que vous êtes au courant que dans
certains pays africains, des vastes terres sont en train d’être cédées par les
gouvernants à des sociétés multinationales, ou encore, prenons le cas de
Bolloré, que des pans entiers de l’économie sont laissés au contrôle de certains
grands groupes monopolistiques.
On ne saurait donc parler de remise en cause
des fondements des relations internationales, lorsqu’une fois éveillés,
émancipés et réveillés par des processus révolutionnaires, des peuples voudront
remettre ces situations regrettables et hautement préjudiciables en cause. Vous
voyez bien que le nouveau gouvernement grec a engagé une renégociation des
accords financiers avec les principales institutions financières
internationales. C’est dans l’ordre des choses. Et il est également dans l’ordre
des choses que de telles remises en cause, s’accompagnent inéluctablement de
l’arrestation et la condamnation des auteurs réels ou cachés de la braderie des
intérêts nationaux.
Pr, faudrait-il en conclusion s’attendre à voir de
nombreux pays s’embraser et plonger dans des règlements des comptes et des
reniements après la chute des régimes qui durent trop
longtemps ?
ST :
personnellement je ne suis pas pessimiste et je ne partage pas le point de vue
des initiatives vengeresses. Vous m’avez interpellé en tant que scientifique et
expert, et je me suis exprimé en cette qualité, pour vous dire à quoi renvoi la
situation actuelle au Burkina Faso. Maintenant, en tant que citoyen, père de
famille et responsable profondément attaché chrétien, je crois à des solutions
pacifiques et à des transitions sans effusion de sang. Je vais d’ailleurs plus
loin pour vous dire que ma conviction profonde est que les transitions,
particulièrement dans des pays où il y a eu durant des décennies une
accumulation exponentielle des crimes et des actes de haine, devraient être
gérés par des personnes moulées dans l’esprit de tolérance et de pardon. Toute
démarche à priori fondée sur la violence induira des effets dévastateurs dont
personne ne peut à priori déterminer avec exactitude l’ensemble des
conséquences. Par ailleurs, au lieu de perdre le temps en chasse aux sorcières,
il est plus utile de se mettre au travail pour rattraper ce qui peut l’être,
corriger et réorienter en tant que possible, rassurer et assurer tout le monde.
Un vieil adage très prisé par les sages de mon village dit que « pour
construire une nouvelle clôture, il est plus judicieux de partir de
l’ancienne ». En somme, je ne vois pas comment une transition pourrait
adopter comme principe l’exclusion, même s’il ne faut faire attention de ne pas
généraliser avec ce qui se passe au Faso.
Pr, voulez-vous insinuer que la tolérance
devrait être à géométrie variable ?
ST : La réalité dechaque
contexte devrait pouvoir déterminer la conduite à tenir et le niveau de
tolérance acceptable. Il est clair d’avance que les crimes de sang ne sauraient
être pardonnés, je me réfère en l’espèce à l’assassinat de Sankara, du
journaliste NobertZongo, ou encore des compagnons de Blaise, les capitaine
Lingani et Zongo au Burkina, de même que les trois cent disparus du beach au
Congo Brazzaville et du journaliste Chebeya en RDC. Cela dit, le principe c’est
l’absence de toute exonération pour des actes ayant compromis gravement la vie
des gens, les intérêts de la République et la sécurité publique. Par exemple, il
me semble évident que les auteurs intellectuelles d’une constitution qui
catégorise les citoyens en groupes ayant des droits et d’autres n’ayant pas de
droit à un moment donné, sont automatiquement sujets à des sanctions les plus
élevées.
L’autre aspect de la relativité de la tolérance tient au
comportement des gens après un changement de régime. Je pense personnellement
que l’on ne peut pas par exemple reprocher à un enfant, à quelqu’un d’être le
fils d’un haut dignitaire d’un régime déchu. Mais si quelqu’un placé dans cette
situation, fils d’un haut dignitaire de régime déchu, se comporte avec zèle,
provocation et inconscience des fautes de son géniteur, il est bien évidemment
susceptibles de catalyser les rancoeurs et d’inciter à des relents de vengeance.
Il est par exemple inconcevable qu’n fils de Mobutu, de Bokassa ou d’Hissen
Habré se pavanent avec des déclarations et des attitudes qui défient la mémoire
historique. Ce genre de personne n’est certes en rien responsable des crimes ou
des errements de son géniteur, mais il doit s’astreindre au profil bas, savoir
la boucler à défaut de critiquer et de condamner ouvertement son père.
A ce
propos, je suis personnellement très choqué par les élucubrations de quelqu’un
comme Djibril Bassolé, l’ancien ministre des affaires étrangères et main droite
de Blaise Compaoré. Même dans ce qu’il est convenu d’appeler les démocraties
avancées, on lui aurait conseillé de fermer son sale bec tout de suite. Il doit
comprendre que le sang de Thomas Sankara qu’ils ont versé, est toujours
frais et ne sèchera jamais.
Ce qui demeure malgré tout inacceptable, c’est
la répression généalogique. J’insiste sur cet aspect
Pr, L’ONU n’a-elle pas une responsabilité dans les
révisions constitutionnelles malhonnêtes que vous
dénoncez ?
ST :
Evidemment, d’un point de vue strict du droit international
positif, la réponse sur la responsabilité mondiale universelle ne fait aucun
doute. Les buts et objectifs de l’organisation énoncés dès le préambule de la
Charte offrent des pistes précises d’analyse sur la dimension absolue et
incontestable de cette responsabilité. Pour autant que les modifications
constitutionnelles sont source de crises, de guerres civiles voire de génocides,
il y a automatiquement péril en la demeure. En somme il est concevable que les
mécanismes du chapitre VII de la charte relatifs au maintien de la paix et de la
sécurité internationale, soient concernés de façon directe, immédiate et
certaine.
Cela veut dire concrètement que chaque fois qu’il pourra être
établi qu’un régime s’oriente vers ce crime, il faudrait déclencher
automatiquement une opération de maintien de la paix et de la sécurité
internationale. L’opération rentrerait ainsi dans une démarche de caractère
préventif. Ne pas le faire équivaut à une non-assistance à peuple en danger.
Professeur Shanda Tonme,
merci.
Vous pouvez contacter le professeur Shanda Tonme
à
l’adresse :shato11@yahoo.fr