LETTRE OUVERTE
A
S.E
Madame Catherine Samba-Panza
Présidente de Transition de la République Centrafricaine
Palais de la Renaissance
Bangui
RCA
Excellence ; Madame : la Présidente de la République.
L’honneur patriotique nous échoit de vous adresser cette lettre au titre de contribution à la reconstruction de notre patrie ; la RCA. Votre Excellence vient de rendre public le décret convoquant le forum de la « Réconciliation Nationale » .
Il se trouve qu'à son analyse, ce texte semble assimiler l'indispensable et nécessaire réconciliation à un « marché aux bétails » du point de vue philosophie politique.
Ce décret est le fruit – sans nous tromper – d’une concertation entre la Présidente de la Transition, son gouvernement, le CNT et les autres entités ; parties prenantes à cette future concertation.
Madame la Présidente, quand on s’appuie sur les facteurs et acteurs ; vecteurs des traumatismes inouïs dont ont souffert les « sans voix », les polytraumatisés, les handicapés et autres invalides, qui ont survécu aux atrocités ; Quand on se rappelle, que ces événements ont occasionné des milliers de morts sans sépultures, endeuillé de milliers de familles, fabriqué des orphelins ; nous sommes au regret de constater, qu’il y a absence totale de manifestation d’une once d’altérité et d’empathie vis-à-vis de ces blessés de l’histoire de Centrafrique. Les réactions suscitées par votre décret et l'exploitation vénale qui est en filigrane, incite à la révolte et à l’indignation.
Cette révolte et cette indignation, Madame la Présidente, trouve son origine dans le concept choisi comme cadre de traitement du malaise et du mal être : le « forum ». Le forum en tant que réalité et concept cache d’une part, les ressorts invisibles de l’orientation politique, que les institutions de la Transition veulent impulser ; le projet du genre et type de société que vous portez est touffus, confus et diffus.
D’autre part, que les institutions de la transition manquent de vision, c'est une chose. Mais, que les partis politiques traditionnels, les membres de la société civile et la diaspora en France et ç l'étranger accueillent et applaudissent des deux mains, le forum, comme concept et cadre pertinents, pour traiter d'une autodestruction - qui a exposé le pays au génocide – confine à un double assassinat.
Excellence, si l'on remonte dans les archives de ce concept, un forum est symbolique des premières ségrégations du citoyen, par la séparation de l’espace en deux parties : l’une, plus élevée et désignée sous le nom de « comitium », servait de lieu de réunion aux curiates et s’opposait au forum proprement dit ; siège des « comices tributes ». C’est la tribune qui était le centre géographique du Forum ; le tribun ou l’orateur devient l’élément principal. Avec l’évolution des institutions de l'Etat depuis l’avènement de la République, le forum n’est plus ni un lieu de décision, ni un lieu politique. Pour faire court, ce n’est plus qu’un lieu de rencontres scientifiques. Le forum est le concept qui a perdu, en outre, toute valeur mythique et morale ; tant sur le plan architecturale que sur le plan envergure d'événement. Il n'y a qu'en Centrafrique qu'on confère à ce concept les parures de l'Alpha et l'Oméga.
C’est un espace dont l'histoire architecturale rappelle aujourd'hui la détérioration des institutions politiques ne saurait être retenu pour abriter de si importantes assises ! Dit autrement, les assises projetées doivent- sur le plan communicationnel, dépasser en termes d'envergure et de lisibilité.
Les pays étrangers doivent se rendre compte que la formule retenue ne ressuscite le nauséabond DPI et consacre l’abdication intellectuelle des Centrafricains. Un des aspects visibles de cette abdication a été de découvrir dans le mot « forum » une sorte de magie de mot. Et pourquoi n'attend on pas choisi le concept « symposium » pendant qu'on y est !
De telles abdications ont pour effet de laisser l’espace public aux seuls, qui se croient investis par Dame nature, à saigner les autres en toute impunité.
I : Réfutation du concept de « Forum » comme démarche de résistance et non d’opposition.
Le «forum » en gestation est loin d'avoir les caractéristiques - tant au niveau rhétorique, organisationnel que méthodologique- des « Fameuses Conférences Nationales », ni celles des « états généraux », puisque aux cours de ces assises, on a mis en avant des méthodes de « gouvernance ». Les états généraux, les conférences nationales ; bien que galvaudés nous paraissent plus dignes d’intérêt, au vu des changements majeurs, qu’ils ont entraîné dont l’éveil des populations ; phénomène qui prend du retard chez nous.
Madame la Présidente, permettez que nous vous révélions deux raisons essentielles du rejet viscéral du concept de « Forum ».
1 - La première. L’historicité du concept nous convainc de l’obsolescence de la formule. Face à l'enjeu historique et de philosophie politique, la formule doit revêtir une caducité. Elle doit être laissée aux étudiants, aux artistes. Elle doit être désormais inadaptée, inappropriée et impertinente pour aborder et traiter la profonde blessure. C’est une formule évocatrice d’hôpital de fortune.
2 - La seconde raison tient à ce qu'il dénote aussi bien qu'à sa connotation d’espace marchand, de carnaval.
Comme à Rio, chaque Ecole de Samba va rivaliser d’ingéniosité pour marquer de son emprunte l’événement.
Nous serons dans un bal des vampires ! Les grands orateurs, les tribuns voudront prendre la parole dans le seul but d’accéder à la vedettariat d’un jour ou de profiter de la tribune pour lancer leur campagne électorale.
Comme au forum de Davos (Suisse) les leaders de la société civile, des partis politiques traditionnels dits d’opposition démocratique et ceux de la diaspora Centrafricaine en/et de France ou d'ailleurs vont affûter leurs arguments, fourbir leur stratégie et aiguiser dans l’ombre les accords d’alliance. Ce serait la messe sans fin de l’amnésie généralisée. A coups de démagogie, on va brader, solder ce qui a coûté des vies. Parce que qu’on a la parole ou l’écriture facile, on va pontifier- à longueur de journée- les poncifs et on oubliera les morts sans sépulture. L'amnésie généralisée s'emparera de tous et les propos aliénants des faiseurs du nouveau monde feront occulter ce qu'il est urgent de faire ; mettre le pays dans la perspective de se reconstruire.
Un forum pour essayer de vendre ce qui n’a pas de prix ? Un forum où on ne se rappellera même pas des morts sans sépulture, où on n’accueillera même pas les mutilés : enfants, femmes et hommes de cette guerre. La preuve en est qu’il n’y a même pas un portefeuille ministériel, qui leur est dédié. C'est dire ce que cela signifie en termes de philosophie politique des politiques publiques depuis le début du gouvernement de transition.
Puisque la sagesse populaire dit qu'il n'est jamais tard de bien faire, Madame : la Présidente, sortez par le haut en repensant de fond en comble ces assises historiques. Donnez à ce pays votre marque de fabrique et lui confectionnant un socle et des colonnes. Dit autrement, nous, nous permettons de vous suggérer de ne pas vous jeter avec précipitation vers la fin, non négociée et brutale de la désespérante transition, inventons un cadre alternatif en lieu et place du forum préconisé en changeant de paradigme. Initions et faisons tenir une Convention Nationale pour le Renouveau du Pacte Républicain.
N’est-ce pas l’occasion où jamais il faut user du mécanisme de la Décentralisation. Partir de nos traditions ancestrales de réconciliation pour élaborer la Charte du Pacte Républicain.
Mettre en évidence les contours et les balises du Pacte en impliquant toutes les régions par la négociation davantage que par l’injonction et ou la coercition. Toutes les entités ; parties prenantes doivent travailler à la recherche des éléments de contexte : état des lieux des facteurs et acteurs de propagation, éviter que les partis politiques et les membres de la société civile ne préemptent le cap fixé et les différents axes d’orientations à court, moyen et long terme. La dite Charte a vocation à constituer l’Avant-Projet Sommaire de la matrice de la démocratie Républicaine.
II : Penser l’après conflit dès maintenant ; l’Avant-Projet Sommaire de la démocratie Républicaine.
Excellente Madame la Présidente permettez-nous quelques questions : Peut-on construire les colonnes de la période post conflit avec les instruments évanescents ? Un forum est un avènement ; même pas un événement. A ce titre il est évanescent. C’est un matériel fragile et l’histoire ne se construit ni avec des matériaux fragiles ni avec l’amnésie généralisée, a plus forte raison avec des outils de falsification de la mémoire collective. Cette future assise nationale de la réconciliation est tramée d’approximations. Elle est pensée par certains pour être imposé aux autres, quelque peu prémunis. Quant à ceux qui sont démunis, ils ne méritent ni d’être consultés ni d’être impliqués. En quoi amorce-t-elle ou esquisse-t-elle l’avant-projet sommaire de la période post conflit ?
A l’approche de la fin de la période de transition et malgré la relative accalmie, on s’attendait à lire de la production de qualité- sans débordante conjecture – au sujet de la période post-conflit. Rien ne vient. Le diagnostic le plus répandu est l’absence de leadership en Centrafrique. D'aucuns semblent convenir que le conflit en Centrafrique plongerait ses racines plutôt dans la carence de leadership. Ce qui ouvre la voie à des multitudes de candidature à la présidence, même les candidatures les plus farfelues.
Et pourtant, il faut élaborer une nouvelle constitution, mettre la décentralisation à hauteur des hommes. Les conférences que donnent les candidats déclarés ou les potentiels candidats ont en commun d'être des tissus d’évidences, du déjà vu, du réchauffé :
La richesse que regorgerait le sous-sol Centrafricain dont l’existence d’un pétrole factice est un des poncifs… Il en est de même de la rétribution régulière des salariés de la fonction publique ; le seul secteur créateur d’emplois avant et pendant le conflit.
Quant au type de démocratie à bâtir, personne ne dit mot. Va-t-on assister à la démocratie de marché ! Quelles sont les querelles idéologiques auxquelles sera confrontée la période post conflit ? C’est le silence dans les états-majors. La demande d’aide humanitaire d’urgence fait-elle obstacle à la mise en débat des problématiques de citoyenneté d’implication et les rouages qu’il faut susciter plutôt que la prolifération des partis politiques ; véritables clubs d'Aristo sans projet de société.
Madame la Présidente, nous assumons cet acte de vous interpeller aujourd’hui. Ce n’est qu’un acte de résistance plutôt que d’opposition que d’exiger des institutions de la transition et des entités ; parties prenantes d’indiquer le genre de pays dont elles passeront le témoin ! Par exemple : Les impacts sur la population et l'Etat des interdépendances économiques depuis le conflit. Encore quelle sera la nouvelle cartographie militaire sur l’ensemble du territoire et la sécurité des transactions ; (financières, marchandes, monétaires, etc.) qu’il faut édifier. Le calme sera-t-il propice à l'émergence des paramètres de la matrice à édifier, étant donné la situation de confluence au cœur de 6 Etats voisins : les 2 Congo, les 2 Soudan, le Tchad et le Cameroun.
Conclusion
Madame la Présidente, vos responsabilités nous imposent d’abréger cette correspondance. Mais avant, il nous est essentiel de relever des évidences que la culture politique de l'autruche et du déni en Centrafrique refuse de regarder en face. Il y a un divorce entre le sens qu’ont les citoyens modestes de l’Etat, et les logiques des élites à la direction de l’Etat.
Ce divorce est désormais consommé et la population a un contentieux profond avec l'Etat. Entre l'Etat et la République, entre l 'Etat et la population il n'y a que des rapports de défiance et de méfiance. Il y a des pratiques qu'on ne peut plus tolérer dont les résolutions « du forum de Brazzaville en Juillet dernier. Voilà une raison de plus pour honnir le concept de « forum » Suffit-il d’être à la tête d’un groupe armé pour devenir ministre de la République !. Cette logique va impacter les mécanismes de l’Etat et de la République comme un credo.
Chère « Maman Cathy » ; vocabulaire cher à votre prédécesseur Bokassa, ayez le courage d'impulser un changement de paradigme en proposant un scénario de sacralisation des biens de l’Etat. Ce sont les référentiels et les repères qu'on attend de ces assises de « Réconciliation nationale ». La réconciliation est une entreprise de longue haleine et perfectible sur plusieurs générations. A la lueur des choses gravissimes qui se sont produites, la réconciliation nationale doit devenir un établissement public d'aménagement pour être le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre des lieux symboliques sur l’ensemble du territoire et marquant le virage de la nation vers la concorde, la promotion des valeurs humaines telles l’accès aux droits civiques, à la culture, à l’éducation, à la santé, à la sécurité des transactions, aussi bien petites que grandes.
Ces lieux symboliques pourraient l’être par leur architecture particulière dans chaque commune de moyen et plein exercice et des communes rurales et [se réduire aux baptêmes des rues ou des avenues ou des édifices existant encore que telle initiative est au-dessus de leur pensée !].
Enfin, rejetant la formule « forum » nous en appelons à la résistance.
Madame la Présidente, résistez avec nous pour mettre en place les conditions de la tenue d’une Convention Nationale pour le Renouveau du Pacte Républicain. Vous et nous le devons à toutes les morts sans sépultures, aux veuves et orphelins… L’arrivée d’une aube emplie d’espoir d’un renouveau plaisant doit être provoquée par ceux qui ont encore foi en l’avenir de ce pays. Puissions-nous vous compter des nôtres !
Gervais Douba & Orphée Douaclé Ketté
Ampliation :
Le chef du Gouvernement de la Transition
Le Bureau des Nations Unies en Centrafrique
L’ambassade de France en RCA
L’Union Africaine
L’Union Européenne
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Version en pdf : LETTRE OUVERTE (2) A S.E Madame Catherine Samba-Panza Présidente de Transition de la République Centrafricaine - Palais de la Renaissance – Bangui (RCA)