On ne tire pas sur une ambulance

B. MANDEKOUZOU-MONDJO Le coup est rude !
Depuis l’Accord de Libreville, dont nous fêtons le troisième anniversaire ce 11 janvier 2016, la Transition était apparue comme une Régence. Elle est aujourd’hui une Régence qui n’a pas tenu sa promesse puisque le « Prince » n’a pas eu sa couronne.

Le « Roi » est nu.

Le MLPC et son Chef, forts, en toute vraisemblance, d’une connivence entendue et scellée dans le marbre, affichaient l’assurance que les  consultations du Peuple enfin arrêtées au 30 Décembre 2015 ne seraient qu’une simple formalité. En foi de quoi M. ZIGUELE pouvait tout à trac claironner à la cantonade : « Le MLPC, c’est un coup et KO ! »

Et avant tout commencement de dépouillement, on nous annonçait une course du MLPC en pole position partout et des résultats à la soviétique dans ses zones et bastions traditionnels.

 

 

Les résultats que l’Autorité nationale des Elections a décidé d’égrener au fur et à mesure de leurs consolidations partielles annonçaient –hélas !-une bérézina à doucher les plus folles espérances et le bel enthousiasme des combattants au cœur vaillant du MLPC ! 

 

Le coup est rude !

Mais quel baume au cœur quand on pense ou souhaite percevoir dans ce coup de tonnerre dans le ciel jusqu’alors bien serein non seulement du MLPC mais aussi des autres partis politiques l’esquisse d’un sursaut du Peuple centrafricain sortant d’une bien trop longue léthargie ! L’accord politique de Libreville organisant l’échelonnement des étapes et la distribution des compétences pour sortir de la crise centrafricaine peut être rapproché, mutatis mutandis,  des négociations de Yalta faisant reposer la paix dans le Monde sur une rigoureuse définition des zones d’influence des grandes Puissances telle qu’aucune d’entre elles ne devrait être tentée d’empiéter sur le domaine des autres…

La première leçon pour le Monde comme aujourd’hui pour le Centrafrique est que ces précautions n’ont jamais mis les Peuples à l’abri des appétits de requins et rapaces divers !

La deuxième leçon, singulièrement pour le Centrafrique et dans une interprétation bien large –qui est mienne-, se décline comme le message délivré au roi Balthazar offrant un festin pour célébrer le 70ième anniversaire de la ruine d’Israël. Une main mystérieuse a dessiné de manière visible pour le roi concerné au premier chef et pour tous les convives ces mots que rapporte le chapitre 5 du livre de Daniel : «Mane, Thecel, Phares ».

Le Peuple a décidé de s’en affranchir et de mettre un terme à une Transition qui était d’autant inutile qu’elle a été inefficace. Pour ce faire il s’est porté massivement au scrutin du 30 Décembre 2015 comme tout le monde le reconnaît et le proclame. Voici pour le présent.

Le Peuple semble bien décidé, pour l’avenir, à vérifier toutes les offres politiques. Ceux que j’appelle les marchands d’orviétan seront nécessairement bien légers dans la balance et devront «s’effacer». Et celui que le suffrage universel aura  retenu devra se le tenir pour dit : la règle démocratique ne lui offre que le bénéfice d’un droit à l’expérimentation. « Mane, Thecel, Phares » : si à l’heure du bilan ses performances devaient se trouver insignifiantes et sans rapport avec la confiance qui lui a été donnée, il lui faudra « dégager » : pour reprendre le slogan du célèbre printemps arabe.

Je reviens sur deux rappels de l’alerte que j’ai lancée aux partis politiques dans mon billet du 30 juillet 2015 (1) :

1. « Les nostalgies conduisant à reconstituer des expériences qui ont échoué ne peuvent que fermer définitivement la voie de toute espérance pour demain en République centrafricaine. Et sans repère valable et validé il n’est point de perspective qui rassure.

Ceci devrait être et est ici dit à l’intention de tous ceux qui voudraient appliquer au cas centrafricain d’aujourd’hui les recettes éculées d’hier, conçues et structurées pour servir le tribalisme, le régionalisme et divers sectarismes prégnants des jeux politiques du MESAN, du RDC, du MLPC, de la Sélèka et des Antibalaka ».

Enfin :

2. « Nous ne sommes pas, -non plus-, dupes du jeu stérile des sigles faits plutôt d’annonce que de réalité. Les partis pour la justice et la paix, pour la réconciliation et l’unité nationale, pour la liberté et la démocratie… sont séduisants à souhait ; mais ils risquent de nous faire courir après des chimères… »

 

 « On ne tire pas sur une ambulance » : ceci est dit pour atténuer l’impression que j’aurais donnée d’accabler plus que de raison les candidats écartés par le suffrage universel : demain sera un autre jour avec l’ouverture sur une autre espérance !

J’ai un rêve que je poursuis en m’inspirant du combat de James Baldwin (2) : Constituer une minorité à défaut d’une majorité d’éveilleurs de conscience pour changer le cours de l’histoire et conjurer le cauchemar qui menace notre beau Pays.

 

Et pour dire un mot, à mon tour, sur l’intellectuel centrafricain, je suis plutôt d’avis –comme je l’ai écrit un jour- que l’état des lieux nous fait voir, en Centrafrique, un vide béant dans l’espace du débat public, corollaire de l’absence d’une manifestation des intellectuels comme corps organisé et conscient de son rôle dans la formation des esprits, l’éducation aux valeurs et l’animation de la vie de la cité. Julien Benda (3) indique que l’intellectuel est dans son rôle quand il travaille à promouvoir les valeurs intemporelles de la vérité, de la justice, de la liberté individuelle et sociale. En revanche, en acte ou par omission, l’intellectuel « trahit » sa vocation quand il quitte le monde de l’universelle raison et se « commet » dans les passions politiques et les combats sectaires de race, de classe et de parti. L’intellectuel est un guide ; et sans l’éclairage qu’il a mission de projeter sur la conduite de la cité, celle-ci devient un « bateau ivre », un navire sans pilote, livré à tous les courants de dérive.

Mais pour être un authentique guide l’intellectuel se doit de toujours éprouver son savoir. « Que sais-je ? », s’interrogeait Montaigne ; tandis que Socrate, pour sa part, s’étonnait toujours qu’on le considérât comme un sage.

Nous ne savons le tout de rien. N’hésitons donc pas à « frotter notre esprit » à celui d’autrui et nous accroîtrons notre savoir ou confirmerons à tout le moins ce que nous croyons savoir.

 

 

B. MANDEKOUZOU-MONDJO

12 Janvier 2016

 

 

1.       Sangonet, Les Tribunes : 30/07/2015

2.       James Baldwin : La prochaine foi le feu, Gallimard 1963

3.       Julien Benda : La trahison des Clercs, Bernard Grasset, 1975.