Le plaidoyer de Nicolas Tiangaye à l'ONU :

                                     Un coup d'épée dans l’Hudson River

 

 

Dans le cadre des débats de la 68ème session de l’assemblée générale des Nations unies, le discours du Premier ministre centrafricain Nicolas Tiangaye n’a pas frappé les esprits. La faute à un discours trop académique, la faute à un soutien mesuré de la France, la faute à une languissante lassitude de la communauté internationale, échaudée par une crise récurrente dont elle ne perçoit plus la fin.

 

Prenant la parole devant l’assemblée générale, le Premier ministre centrafricain a esquissé un plaidoyer sans relief de la crise en RCA.

Il a rappelé les causes endogènes et exogènes de ce long conflit local, au risque de se tromper d’analyse. Ainsi, au titre des causes endogènes, il cite la fragilité de l’Etat. Or si l’Etat centrafricain est fragile, cette faiblesse n’est pas la cause mais la conséquence des conflits qui ont donné naissance aux crises récurrentes qui le rongent.

La vraie cause de ces désordres et « concernements collectifs » réside dans la faillite intellectuelle et morale des hommes politiques centrafricains, ceux auxquels le peuple centrafricain a confié sa destinée. Ils ont réussi à confisquer le pouvoir de l’Etat à leur usage personnel et à plier les services publics à leur intérêt propre. Ils ont phagocyté l’Etat et corrompu ses mécanismes essentiels : le déficit du dialogue politique, le refus de l’alternance, le clanisme, le tribalisme et le népotisme, cités par le premier ministre au rang des causes endogènes, y trouvent largement leur explication. Ils tirent leur source dans la multiplication des micro-partis au pedigree confidentiel, supports de tous les opportunismes.

 

En faussant l’analyse des causes des crises qui secouent la République centrafricaine, le Premier ministre du gouvernement d’union nationale de transition se résout à l’impuissance.

 

De son côté, la France se hâte lentement. Le soutien actif du président François Hollande et de son ministre des affaires étrangères étant soumis à l’engagement de la communauté internationale, dont la lassitude se comprend tant l’Afrique noire donne à voir des conflits irrésolus, elle joue le pourrissement. C’est condamner la République centrafricaine à la désespérance.

 

1 - Une réponse à court terme : l’implication unilatérale de la France.

 

En effet, la dissolution récente de l’alliance Séléka et de la Convention des patriotes pour la justice et le progrès (CPJP) prononcée par le président de la transition, laisse intacte la myriade de petits partis politiques qui ont tant nuit à la cohésion nationale depuis les élections présidentielles de décembre 1992.

 

Déjà d’autres micro-partis s’organisent dans l’ombre, en perspective des prochaines échéances électorales à l’horizon 2015 … si la sécurité et la paix reviennent ! Déjà, les initiateurs de ces micro-partis se voient dans le rôle du renard de la fable du moraliste français Jean de la Fontaine, « Le corbeau et le renard ». Chacun espère que le fromage tombera dans son escarcelle.

 

Or le Premier ministre centrafricain ne dit rien de l’organisation de l’espace politique pendant la transition. Normal, l’homme est lui-même à la tête d’une structure tout aussi microscopique.

 

Parmi les mesures visant à rétablir la sécurité publique, le Premier ministre a évoqué le désarmement forcé des ex-Séléka, dont l’effectif est évalué à 1200 hommes. Ils seront cantonnés à Bossembélé et Sibut, deux sites situés à 120 km au nord de Bangui, et qui servent de verrous à la capitale.

Ce nombre d’insurgés est insignifiant, au regard des 25 000 combattants qu’aurait aligné la rébellion lors de la prise de Bangui en décembre 2013. Rien ne permet donc de parier sur la réussite de cette stratégie du désarmement forcé, alors que tant d’hommes armés seraient dans la nature, raisons pour lesquelles les précédents programmes DDR ont tous échoués. Or l’un des artisans de ce programme n’est autre qu’un ancien chef rebelle qui assume les fonctions de vice-président dudit processus.

 

De plus, le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) coûte excessivement cher et relève d’un paradoxe kafkaïen : au lieu d’indemniser les victimes des actes de barbarie en les aidant à relever la tête, le DDR rétribue leurs tortionnaires.

On comprend les réticences des différents bailleurs de fonds à investir dans un mécanisme qui ressemble au tonneau des Danaïdes.

 

La situation humanitaire sur le terrain appelle cependant une réponse d’urgence : accéder rapidement et en toute sécurité auprès des quelques 1,6 millions de déplacés internes. Cette solution immédiate ne peut attendre la mise en place des mécanismes onusiens, si longs et si lents à mouvoir, comme le renforcement du statut de la MISCA en force de maintien de la paix et le déploiement de ces troupes une fois le statut acquis. Il faudrait compter pour cela au moins six à neuf mois d’atermoiement. D’ici là, les risques de dérapages seront nombreux.

 

La solution à court terme réside dans l’implication unilatérale et univoque de a France. Certes, il n’est pas question pour elle de revêtir la tunique d’ancienne métropole coloniale. Il s’agit pour un allié de voler au secours d’un peuple allié en danger de mort. Plus on tardera à intervenir, plus les chefs de guerre prendront possession du terrain et agiront en territoires conquis, pariant sur le syndrome de Stockolm qui veut qu’un peuple meurtri prenne fait et cause pour son tortionnaire dès lors que ce dernier lui assure la quiétude du quotidien.

 

La mission n’est pas impossible : elle se résume à tenir fermement quelques nœuds de circulation et à ouvrir des axes d’accès aux villes de l’interland : Bouar, Bangassou, Bambari, Berbérati, etc. La France en a les moyens, au plan logistique et stratégique. Trois cents hommes de troupes aguerris y suffiraient. Seule fait défaut la volonté politique, à un moment où l’opinion se mobilise pour la « défrançafricanisation ». Il revient au président François Hollande de faire admettre aux autres responsables politiques français, de l’UMP au Front de gauche, en passant par l’UDI et le MODEM, la nécessité de cette intervention. Ils n’y seront pas insensibles.

Faut-il à ce sujet rappeler le gouverneur général Félix Eboué et son oui, unilatéral et précurseur, à l’appel du 18 juin 1940 ? Ce serait faire offense au peuple français que de rappeler ce précédent. L’alliance est un devoir, l’amitié est une obligation !

 

2 - Quelle solution pour le long terme ?

 

La Centrafrique s’ajoute à une liste bien longue de pays africains où l’union africaine et la communauté internationale entretiennent des troupes d’interposition ou bien d’intervention. Comme le suggère le président Blaise Campaoré de la République du Burkina Faso, « cela commence à être effectivement lourd » !

 

Mais tout le monde connaît le proverbe africain : « quand le serpent rentre dans la maison, rien ne sert de courir chez le voisin quérir de l’aide ». En agissant de la sorte, on perd le reptile de vue et on expose à la fois, et le voisin et soi-même.

On doit au contraire combattre la bête et, par ses cris, alerter les voisins qui pourront venir à la rescousse.

 

A la lumière de ce proverbe, le plaidoyer du Premier ministre centrafricain à la tribune des Nations unies est vain et contre productif.

 

Voilà vingt ans que la communauté internationale accompagne la RCA dans ses dérives, sans succès. A force, on comprend que cette dernière se lasse. On le comprend d’autant plus aisément que le financement des différents programmes de démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR) n’a abouti qu’à enrichir quelques potentats et leur famille, sans remettre en cause l’architecture générale de la politique du pays.

 

Or le développement du terrorisme menace le continent africain dans son ensemble. Les raisons de cette offensive sont multiples, mais deux causes nous paraissent déterminantes : l’inexistence d’une vraie politique de défense nationale d’une part, et, le chômage endémique qui frappe la jeunesse africaine d’autre part, lequel rend cette dernière disponible pour toutes les aventures.

 

Pour faire face au défi du terrorisme en Afrique noire, les Etats du continent doivent tenir deux attitudes :

 

-          améliorer leur pouvoir de gouvernance, tout en renforçant le développement économique et social ;

-          s’unir pour lutter contre le terrorisme en renforçant par ailleurs leurs échanges d’informations et le contrôle des frontières héritées du colonialisme qu’ils ont validées en 1963.

 

Ces éléments n’apparaissent pas dans le discours du Premier ministre centrafricain devant l’ONU. Il ne transparaît aucune mesure qui vienne annoncer une telle prise de conscience. Il s’en remet au bon vouloir de la communauté internationale dont il attend une aide multiforme : logistique, technique, matérielle, humaine, financière !

En agissant de la sorte, Nicolas Tiangaye se place dans une perspective de mendicité d’Etat, où l’on attend tout de l’extérieur.

 

En réalité, la solution du problème centrafricain est avant tout dans les mains des autorités de la transition.

Primo, parce qu’ils ont pris le pouvoir dans ce but. Personne n’est allée les chercher et ils n’ont pas été élus par le peuple.

Deuzio, parce qu’il leur appartient de prendre les mesures nécessaires pour désarmer les belligérants, cantonner ceux qui doivent l’être, et refouler ou expulser ceux qui sont en situation de séjour irrégulier sur le territoire centrafricain.

A cet égard, ils ne doivent nullement accéder sans condition aux prétentions des troupes rebelles de la LRA de Joseph Kony qui sollicitent un territoire pour s’installer de manière pérenne en RCA avant de déposer les armes.

Tertio, parce qu’il est de leur devoir d’accélérer le processus de transition, en prenant dès à présent les dispositions matérielles et règlementaires relatives à l’organisation d’élections libres et transparentes.

Ce n’est pas au bout de la période de transition qu’il faudra s’inquiéter de ces obligations. La commission nationale électorale devrait déjà être installée !

 

Enfin, pour accélérer la sortie de crise, d’aucuns proposent des voies et moyens qui, souvent se contredisent, parfois sont inopérantes.

 

- Certains proposent l’organisation d’une conférence nationale souveraine pour la refondation de la RCA. Objectons que le pays a déjà expérimenté à plusieurs reprises cette pratique, avec le succès que l’on sait : amnistie générale pour les criminels, non respect des engagements pris par les uns et les autres, reprise des hostilités conflictuelles.

Tout cela vient de ce que les bases légales des micro-partis sont ténues et fragiles.

Il appartient donc aux autorités de la transition de vérifier la réalité de la base politique des partis existants et de dissoudre ceux qui ne respectent pas les dispositions de la loi.

 

- D’autres pensent au contraire qu’il faut placer la République centrafricaine sous tutelle des Nations unies. Rien ne justifie une telle conclusion. La RCA demeure un Etat souverain membre de l’ONU. Elle doit être dirigée par des autorités légalement constituées. Quoi qu’on en pense, les organes de la transition en Centrafrique répondent à ces critères de légalité, même si elles ne sont pas légitimes. Elles doivent donc remplir leurs rôles et leurs fonctions, dans les conditions fixées par l’accord de Libreville du 11 janvier 2013 et la déclaration subséquente des Chefs d’Etat de la CEAC, réunis à N’Djamena en avril de cette même année.

 

Dans cette dernière perspective, le gouvernement d’union nationale de transition n’a pas d’autre alternative. Il lui faut agir vite, de manière efficace et ordonnée.

 

 

Les rois ont toujours eu besoin d’un bouffon, jamais la République !

 

 

Paris, le 2 octobre 2013.

 

Prosper INDO

Tribune et Points de Vue - sangonet


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