POUR UNE PRESIDENTIELLE
APAISEE
L'état de la Centrafrique
laisse présager une campagne au couteau, peut-être même au revolver et à l'arme
lourde.
Les candidats à l'élection
présidentielle dont le nombre dépasse la quarantaine ne savent pas encore à
quelle sauce ils seront mangés. Ce sont pour la plupart des routiniers de la
politique centrafricaine : tous ceux dont la gouvernance et les vues
hasardeuses ont mis le pays sens dessus dessous. Les voilà de nouveau sous les
feux des projecteurs. Ils rongent leur frein. Ils trépignent d'impatience. Cela
fait quand même quelques années qu'ils ont été mis au pain sec et à l'eau, pour
avoir ouvert les portes de l'enfer dans leur pays.
En Centrafrique, la
retraite n'existe pas, surtout pas pour ceux qui la mériteraient. La retraite,
c'est le lot de la classe moyenne paupérisée, c'est la mort en pleine canicule,
face au Trésor, à une dizaine de mètres de la présidence. Quel président au cœur
d'airain n'aurait pas pitié de ses anciens serviteurs ! Déshydratés par le
cagnard, émaciés par la marche et les privations. Leur sort en plein cœur de
Bangui fait fuir les cerveaux du pays. Et ceux qui n'ont pas l'opportunité de se
tailler, s'accrochent à leurs postes comme à une bouée de sauvetage. Du coup,
l'administration ne peut plus se renouveler, comme la
politique.
Les mêmes noms reviennent
sans cesse dans le landerneau politique centrafricain. La retraite, c'est pour
les autres. Ici on peut à la rigueur accepter une traversée du désert. Chacun se
croit investi de mission divine pour sauver la RCA, ou se sauver
soi-même.
On surveille l'ANE d'un œil
vigilant et torve, prêt à la tancer au moindre manquement. On fulmine contre
Samba-Panza et ses obligés, soupçonnés de vouloir placer un des leurs à la
présidence.
Les esprits s'échauffent,
les plumes dérapent et plongent dans la scatologie. Comme toujours chez nous, ce
sont les seconds couteaux, ou plutôt, quelques seconds couteaux, qui espèrent
flinguer à coups de boules puantes leurs adversaires. L'injure comme argument de
campagne ! L'outrage comme l'unique stratégie de conquête du pouvoir ne
saurait convaincre des populations vaccinées contre les dérives de la politique.
Et même ferait passer un candidat modéré, respectueux de ses adversaires, pour
un activiste.
Il reste à espérer, pour la
Centrafrique, que leur traversée du désert, au milieu du peuple meurtri, a
instruit et dessillé les yeux des candidats. Les plus perspicaces d'entre eux
savent peut-être déjà le remède de cheval qu'ils devront administrer au pays
pour stopper sa dégringolade.
J'ai remarqué que les
candidats socialistes ou apparentés ou encore cryptosocialistes étaient fort
nombreux. Je ne dis pas que ce sont les meilleurs. Il n'est pas dans mes
habitudes de porter des jugements de valeur. Je me demande tout simplement si
ces candidats sont socialistes par conviction ou par simple mimétisme. Ne
seront-ils pas Front National demain, ou sarkosistes ou juppéistes ? Ne
vont-ils pas se transformer en dictateurs une fois élus ? Ne seront-ils pas
les ultimes fossoyeurs de la République ? Connaissant la versatilité des
hommes politiques centrafricains, ces questions méritent d'être posées. On les a
vus s'accoutrer de gandoura pour marcher dans le sens du vent, alors qu'il
soufflait en rafales dévastatrices.
J'aimerais que les
socialistes centrafricains me parlent de partage, dans leur pays, où il n'y a
rien à partager, parce que le partage s'est toujours fait dans les couches
stratosphériques de la société.
J'aimerais que les
socialistes centrafricains me parlent de justice sociale, ou de justice tout
court, dans leur pays où la simple prononciation du mot justice suffit à
déclencher, de la part des rebelles, des tirs de barrage
meurtriers.
J'aimerais que les
socialistes centrafricains me disent quel visage pourrait prendre le socialisme
dans un pays en ruine, qui survit grâce aux dons de
l'étranger.
La campagne présidentielle
se fera autour de quelques idées-forces, comme le retour de la paix et la
reconstruction du pays. Seront hors jeu les candidats qui auront choisi de
zapper ces thèmes.
Il va de soi que la
présentation des candidats par des journalistes ou des panégyristes fait partie
des préambules du jeu électoral. Aux Etats-Unis par exemple, les intellectuels
et même les stars du cinéma et de la chanson prennent généralement position pour
l'un ou l'autre candidat avant l'élection.
Dans la Centrafrique divisée
et rongée par la haine, chaque candidat devra tenir des propos mesurés,
responsables et rassembleurs. Chaque candidat devra modérer ses lieutenants, qui
voudraient le faire passer pour un
Crésus centrafricain, un magicien multiplicateur de billets de banque, un
demi-dieu à la force herculéenne.
GBANDI Anatole