La démocratie et la question de confiance : cas du Centrafrique.

 

La question de confiance en démocratie fut longtemps débattue, et le débat porte sur le type de démocratie à instaurer et à pérenniser. Il est clair que c’est toutes les institutions de l’Etat qu’il conviendrait de réformer totalement. Sans oublier les réformes sociales. Donc, tout n’est pas forcement une question d’institutions. A vrai dire, la démocratie sociale est complémentaire de la démocratie politique : pas question d’aller voter le ventre vide ! Dans le cas de la République Centrafricaine, c’est par le biais de la question de légitimité qu’elle se pose : les élections politiques après un changement violent rend t-il un pouvoir légitime ?

A ce niveau, rien n’a été prévu par les accords d’Alger de 1999, qui interdit les coups d’Etat : qui crée un « vide » constitutionnel et institutionnel. Il est donc nécessaire, généralement, de régulariser ce vide en créant une nouvelle Constitution, permettant ainsi l'exercice d'un nouveau pouvoir constituant originaire.

 C'est ainsi que la Commission consulaire exécutive présidée par Bonaparte présenta, le 22 frimaire, son projet de constitution consulaire aux deux Conseils des Anciens et des Cinq-cents qui l'entérinèrent, faisant ainsi rentrer le nouveau régime dans la légalité. La prise de pouvoir de De Gaulle en 1958, qui s'apparente sous certains aspects à un coup d'État, a conclu à la création de la Constitution de 1958, en vigueur en France.

Une autre solution de régularisation d'un coup d'État peut être trouvée par un plébiscite, comme ceux de Napoléon III, ou par des élections. Ainsi, leur action politique se retrouve légitimée a posteriori. Toutefois, cette solution se déroule souvent après l'établissement d'une nouvelle Constitution, de manière autoritaire, sans recours au suffrage universel et au principe démocratique.

Mais il y a le peuple : en ce qui le concerne, les questions de la pauvreté et de l’absence d’un niveau élevé de l’éducation et de l’instruction, seraient les causes déterminantes des difficultés que la démocratie rencontre pour s’imposer durablement.

Pour pallier à cette carence, la gestion de la démocratie doit être confiée à une élite bien formée (en sciences politiques, en histoire, en stratégie militaire et dans l’ « école » du Parti…). Cette formation des élites doit être confiée à une institution d’essence locale pour ne pas créer un hiatus entre la conscience nationale et la culture politique des futurs dirigeants ; ceux-ci doivent donc être proches du peuple. Lorsque ce dernier s’aperçoit que ses dirigeants lui ressemblent parce qu’ils sont imprégnés de sa culture, parce qu’ils partagent les mêmes valeurs que lui, il (ce peuple) légitimise ses dirigeants et devient lui-même souverain. Mais la question de confiance est toute subjective et relative. Cela veut dire que le peuple peut changer d’avis et remettre en cause la parole donnée. Mais cette parole, et cette confiance ne doivent pas être gravées une fois pour toute dans la constitution, c’est-à-dire que dès qu’il y a une crise de légitimité, une remise en cause de l’ordre établi, les élites doivent pouvoir se remettre en cause eux-aussi. Du reste, qu’ils ne doivent pas hésiter à utiliser des symboles pour raffermir (ou regagner) la confiance du peuple.

Dans le même sens, le mandat politique doit être de courte durée (trois ou quatre ans par exemple, évidemment renouvelable une fois) afin de donner l’impression que le président ne s’éternise pas au pouvoir. Si le peuple obtient cette réforme de la durée du mandat à trois ou quatre ans, il serait moins méfiant et la confiance s’installerait progressivement. Cette question importante du mandat aura le mérite de régler par ailleurs le problème de la domination politique d’une minorité ethnique ou d’un groupe. De là va naître une culture politique nationale favorisant l’intégration et non la désintégration. Tout ce mouvement de réformes doit être accompagné d’une grande réforme éducative. L’école doit jouer son rôle : alphabétiser et former les forces vives de la nation d’où sortira le citoyen actif, instruit, vigilant et capable de contrôler le pouvoir.

Reste la question de la garantie du respect de la durée de mandat. Le président élu pour trois ou quatre ans ne serait-il pas tenter de prolonger son mandat ad vitam aeternam à l’instar du Président Tanja du Niger ?

De nos jours pratiquement tous les pays désignent leur dirigeant par la voie des urnes. Cet exercice du pouvoir par la participation des citoyens aux élections constitue le baromètre démocratique reconnu par toutes les nations. Mais ce qui fait défaut ce sont les instruments de mesure fiable du caractère démocratique ou non d’un dirigeant.

Comment dès lors savoir en amont si tel dirigeant est un démocrate par rapport à tel autre ? Et qui va le dire ?

Il serait important de mettre en place une entité plus impartiale que ne le sont à l’heure actuelle certaines Commissions Electorales instituées sur le continent dans la période pré-électorale. A moins que la classe politique de manière générale n’ait l’intention de ne voir s’instaurer une véritable démocratie. La participation démocratique n’est pas seulement élire ou se faire élire ; elle est plus qu’une élection mais un choix de société et de ses dirigeants. Car dans la mesure où l’on ne peut pas savoir de quoi sera fait demain, il importe alors d’opérer un choix judicieux.

 Au niveau des partis politiques, l’action de l’Etat doit consister à favoriser le bipartisme au lieu et place du multipartisme. Le multipartisme n’est pas mauvais en soi mais son instrumentalisation, pourrait donner lieu à des divisions ethnicisées ; il doit être contrôlé ou purement et simplement éliminé. Par conséquent, une loi fondamentale devra fixer les termes de ce bipartisme ; sa nature et ses limites à l’instar des Etats-Unis d’Amérique. Si l’Etat Centrafricain réussit à relever ce défi, un pas sera franchi vers une démocratie de compromis.

Par ailleurs, le défaut des débats démocratiques (dialogue politique, conférence nationale…) conduirait inéluctablement à des affrontements y compris armés (mutineries, rebellions armées, coup d’état…) et à l’insécurité grandissante dans les villes et les campagnes (braquage et coupeurs de route). Cette politisation de la violence illégitime consolide la présence des réseaux occultes.

L’une des  causes des frustrations des populations qui se jettent dans les mains des mouvements armés est l’injustice subie par des communes rurales dépourvues de moyens financiers et d’autonomie face à l’Etat centralisateur. La gestion autonome des communes et l’autonomie communale sont vouées à l’échec si l’argent dont les communes ont besoin pour remplir leurs tâches leur fait défaut. La question de l’affectation des fonds d’un montant approprié aux communes est ainsi placée au centre de nombre de discussions. Les fonds consentis aux communes proviennent essentiellement des impôts perçus par l’Etat. Mais les recettes fiscales sont maigres. Les communes sevrées réclament un profond remaniement du système des impôts communaux. Les communes ayant pris conscience que seule l’autonomie de gestion peut rendre effectif l’option de la politique de décentralisation promue par deux décrets successifs en 1988 et 1997. Cette autonomie de gestion permettra au citoyen d’exercer, de façon simple et presque quotidienne les fonctions de participation et de contrôle, par des entretiens avec les élus locaux, en s’informant sur les projets d’urbanisme ou les prévisions budgétaires. Les villes et les communes constituent donc les plus petites cellules politiques de l’Etat ; leur gestion autonome et démocratique est l’une des conditions pour la sauvegarde de la liberté et du droit dans l’Etat et la société.

 

                                              DANGABO MOUSSA

                                              Avocat et Anthropologue (15 décembre 2009)