République Centrafricaine :
chroniques douces et amères.
Malgré toute notre bonne
volonté
On aurait aimé couvrir le gouvernement de la transition d'éloges et d'encouragements, lui témoigner de la sympathie et de la reconnaissance, lui trouver des circonstances atténuantes, comme pour les 9 évadés de la prison de N'Garagba qui ont profité de l'absence de leurs gardiens pour prendre la poudre d'escampette. Malgré toute notre bonne volonté, rien n'y fait. Toutes les initiatives du gouvernement semblent frappées par la poisse, même les plus anodines.
L'imam de Drancy à
Bangui.
Le déplacement de M. Hassen Chalgoumi dans la capitale centrafricaine vient donner une coloration confessionnelle à une crise que tout le monde s'accorde à dire politique.
Au cours de ce déplacement de plusieurs dignitaires musulmans français, l'imam de Drancy a prêché « l'unité et la réconciliation à l'endroit des Centrafricains de toute confession ». Il a aussi mis en garde contre le risque de « voir des groupes armés comme Boko Haram ou Aqmi profiter de la division pour détruire la RCA ».
Mais le moment de cette « visite de travail » semble mal choisi. Il intervient à un moment où des pics de violences font craindre la reprise des représailles.
On ne fera pas injure aux imams français d'avoir gardé le silence du temps des exactions commises par les troupes rebelles de l'ex-Séléka. On leur demande seulement, au delà de l'appel à l'unité et à la réconciliation, d'inviter les musulmans centrafricains qui détiennent des armes de guerre à les restituer aux forces multinationales. Une arme de guerre n'est pas une arme de protection individuelle ou de self-défense. Sans un tel appel, le voyage de Bangui n'aura aucun sens.
La stratégie du crabe.
Dans le cadre de sa démarche de rétablissement de la sécurité, le gouvernement de la transition semble avoir opté pour la stratégie du crabe. Celle-ci vise à éviter les obstacles plutôt qu'à les affronter.
Il en va ainsi de l'appel du Premier-ministre au désarmement volontaire. Il s'agit de demander aux possesseurs d'armes de guerre et de tous calibres, de s'en dessaisir de manière volontaire et unilatérale.
La Présidente de la transition a déjà lancé un tel appel au tout début de son mandat, il y a quatre mois, en vain. L'appel de son Premier-ministre est donc voué à l'échec, puisqu'il ne précise pas les conditions et les modalités de ce désarmement volontaire, dans le même temps où les éléments rebelles de l'ex-Séléka peuvent prétendre au bénéfice du programme DDR, fusils.
Une
décision sans tête ni queue.
L'autre versant de cette stratégie du crabe est illustré par l'ordre donné aux opérateurs de téléphonie mobile de brider les communications SMS de tous leurs clients et abonnés.
Cette mesure seule, prise en dehors de toute autre considération liée au rétablissement de la sécurité publique, apparaît comme une décision de panique.
On aurait compris qu'une telle mesure soit adoptée dans le cadre d'une mesure globale de type état d'urgence, état de siège ou couvre-feu généralisé, concomitamment à des mesures restrictives de circulation, voire d'interdiction de se réunir à plusieurs, dans le but de procéder au désarmement de tous les groupes ou bandes armés.
Dans le cas présent, cette décision visait à couper court à un message diffusé sur les réseaux sociaux appelant la population de Bangui à une journée ville morte à partir du 5 juin, par un prétendu « collectif Centrafrique debout ».
Tous les pays du monde ont été victimes de telles pratiques manipulatrices de l'opinion publique. Certains pays, qui se proclament les hérauts de la liberté, en font un usage immodéré pour déstabiliser d'autres. Que l'on songe au début de la guerre en Syrie. Il n'est donc pas inutile que les gouvernements cherchent à se protéger. Il existe deux manières en l'occurrence : soit la suppression brutale et généralisée quitte à agacer toute la population, soit l'intrusion habile et sournoise de la police politique visant une personne en particulier, un opposant en l'occurrence, c’est la technique des « écoutes téléphoniques ».
Des deux maux, le premier-ministre a choisi la pire, là où une mesure de simple police aurait suffit.
Sans doute, ces pratiques policières heurtent le bon sens et, plus particulièrement, la sensibilité des défenseurs des droits de l'homme.
Dans le cas de la RCA, la réaction de désapprobation provient du nommé Joseph Bindoumi, aujourd'hui président de la Ligue centrafricaine des droits de l'homme, mais naguère tout puissant procureur de la République sous le général François Bozizé. A l'époque il refusa d'enquêter sur la disparition de l'opposant politique Charles Massi !
Qualifié aujourd'hui le gouvernement de la transition de « dictature » pour avoir fait bloquer les SMS est plus que choquant, de sa part c’est écœurant.
Un conclave convoqué en catimini.
L’affaire était déjà dans les tuyaux, puisque le responsable de la coordination générale des centrafricains de France, un affidé de la présidente de la transition, l’avait demandé : une réunion préparatoire au dialogue inclusif. L’affaire est rondement menée. Financée par les instances internationales de l’Onu, ces assises se tiennent depuis mardi 10 juin à Bangui. Comme tout conclave, l’instance se tient à huis clos – on se demande pourquoi - et devra durer trois jours. 72 heures chrono pour décider des modalités de la reprise du dialogue inclusif !
Ce qui choque dans cette affaire tient au mode de désignation des congressistes. Il s’est fait sous le manteau, en dehors de toute transparence. C’est le fait du prince, comme une surprise-partie à laquelle on convie ses amis et ses copains voire quelques coquins.
Madame Samba-Panza s’est trompée de République. Ce rassemblement n’a pas d’autre but que celui de partager les subsides internationales sous forme de per diem et de billets d’avion gracieusement distribués à des familiers en mal du pays.
L’aveu est tombé des lèvres du nommé Eric Massi, hier porte-parole intarissable de la nébuleuse alliance Séléka. Aujourd’hui coopté au sein de la coordination politique de l’ex-rébellion, ce dernier hésite encore à plaider coupable. En effet, interrogé par le journal Le Point Afrique, il reconnait que « nous avons tous une part de responsabilité dans ce conflit. C’est pour cela que son issue ne peut qu’être politique. Il appartient à tous les acteurs de ce pays de prendre leurs responsabilités et de faire en sorte que tous les éléments en armes puissent, dans le cadre du processus DDR, retrouver une place légitime dans la société. C’est la seule condition pour que la sécurité soit rétablie pour tous les Centrafricains ».
Soit, tous responsables donc, mais qu’il nous pardonne de le lui rappeler : certains sont plus coupables que d’autres et, avant de prétendre à une place légitime dans la société, doivent payer à la société ce qu’ils lui doivent en sang et en larmes versés.
Le rodéo soudanais de M. André
Nzapayéké.
Le premier-ministre Nzapayéké s’est envolé mercredi 11 juin 2014 pour Khartoum, pour une visite de travail de 48 heures, à l’invitation du président soudanais Omar Béchir.
Il aura à discuter avec ses hôtes de la sécurité transfrontalière entre les deux pays, de l’aide humanitaire promise par les autorités de Khartoum, et la reprise de la formation des forces armées centrafricaines.
Ce voyage semble inopportun, pour au moins trois raisons que nous nous contenterons de signaler :
- André Nzapayéké est l’invité d’un président soudanais poursuivi par la Cour pénale internationale au moment même où son gouvernement sollicite le concours de la Cour pénale pour l’aider à poursuivre les crimes commis depuis 2012 en Centrafrique ;
- Le Soudan a, semble-t-il, largement participé ou longuement fermé les yeux sur l’armement, la formation et le déploiement des rebelles de l’ex-Séléka dans la déstabilisation de la RCA ;
- Confier la formation des forces armées centrafricaines à l’armée soudanaise, à un moment où ces Faca, désarmées par les ex-Séléka, sont de fait placées sous l’autorité des forces militaires multinationales Sangaris et Misca, relève du paradoxe.
Mais, rassurons nous, le but véritable du déplacement du premier-ministre centrafricain n’est pas là. Si tel étais le cas, cette visite s’apparenterait à enfourcher un taureau en le tenant par les cornes, un rodéo. Il s’agit pour André Nzapayéké de faire les poches aux autorités soudanaises afin de faire les fins de mois des fonctionnaires centrafricains. Souhaitons-lui bonne chance !
Le personnel permanent ainsi que les contractuels de la mairie de la capitale centrafricaine observe une grève depuis quelques jours. Ils réclament des arriérés de salaires, d’un mois pour les cadres permanents, de six mois pour les techniciens de surface. Les premiers sont payés par l’Etat puisque la ville est une délégation spéciale ; les seconds sont rémunérés sur les ressources propres de la municipalité, laquelle ne perçoit plus ni taxes ni patentes du fait de la guerre civile.
L’édile de Bangui, qui était en voyage officiel à Paris la semaine dernière, proteste de sa volonté de dialogue, mais rien n’y fait.
Pourtant, la ville a de quoi se réjouir : elle vient de bénéficier de plusieurs dons offerts par la République de Chine, soit 174 cartons contenant chacun des bicyclettes, des machines à coudre et à laver, des ordinateurs et imprimantes, des réfrigérateurs, des climatiseurs… Comme le souligne malicieusement Monsieur l’ambassadeur de Chine en Centrafrique, ce don procède d’une sollicitation de la municipalité de Bangui !
On voit bien à quoi peuvent servir les ordinateurs, imprimantes, et autres machines à coudre. Pour les autres articles, on prie : pourvu qu’on les retrouve dans nos orphelinats et écoles maternelles. Quant aux bicyclettes, elles pourraient servir de vélo-crottes. Les techniciens de surface vont être contents.
Le
Mondial brésilien au secours de la paix en
Centrafrique !
Avant de s’envoler pour Khartoum, le premier-ministre a accordé quelque interview et, surtout, lancé un nouvel appel au calme. Le prétexte est tout trouvé : « demain, aura lieu le premier match de la Coupe du monde. Beaucoup de monde a convenu d’une cessation ou d’une suspension des mouvements sociaux, pour permettre à la population, à la jeunesse surtout, de profiter pleinement de cet évènement qui n’a lieu que tous les quatre ans ».
Et d’appeler à ne pas gâcher cette période pendant laquelle « le monde est uni autour d’un seul roi qui s’appelle le football ». Puis s’adressant à ceux qui ont aujourd’hui 16 ans, « si vous gâchez cette période, sachez que vous aurez déjà 20 ans quand la prochaine coupe aura lieu » ! Pas sûr que les jeunes de 16 ans aient apprécié l’art du dribble du premier-ministre.
Mais pour faire bonne mesure, André Nzapayéké a également évoqué le ramadan qui intervient le 28 juin prochain : « J’ai hâte de retrouver la bouillie sucrée au goût citronné et les petites gâteries des joyeuses soirées ramadanesques ». A défaut de la sécurité, la RCA aura gagné un poète !
La dérive autoritaire d’un
pouvoir qui se cherche.
L’interdiction généralisée des SMS était le signe d’un pouvoir qui ne sait plus où donner de la tête. Mais delà à interpeller les responsables de Radio Notre Dame, reprochant à ces derniers la liberté de ton de leurs auditeurs ou invités, et leurs critiques sévères à l’encontre du gouvernement de la transition !…
En particulier lorsqu’il s’agit d’un débat radiophonique mettant face à face, d’une part Joseph Bendounga, contradicteur et autoproclamé opposant n°1 à François Bozizé, et d’autre part Jean Serge Bokassa, ancien député et fils de l’autre, cela n’a pas de sens. Il s’agit de partisans déçus de la transition qui tournent casaque. Il n’y a pas de quoi fouetter un chat.
De là à aller accuser Radio Notre Dame d’outrage aux autorités de la transition, le premier-ministre a frappé fort, Au risque de se ridiculiser. Il lui suffisait en effet de lire les dispositions de l’article 90 de la Charte constitutionnelle de la transition. Celui-ci stipule que le Haut Conseil de la communication de transition « est chargé d’assurer l’exercice de la liberté d’expression et l’égal accès de tous aux médias, dans le respect des législations en vigueur ».
Au lieu de menacer Monseigneur Nzapalainga d’une lettre de cachet, le premier-ministre aurait pu saisir le HCCT d’une démarche en suspicion légitime, laissant à cette haute autorité le soin d’user de son pouvoir de régulation et de décision. Au lieu de cela, il fait convoquer l’archevêque de Bangui comme un vulgaire manant.
Quand on connait l’énergie déployée par Mgr Nzapalainga et les autres autorités religieuses centrafricaines depuis le début de la crise pour ramener le peuple à plus d’aménité et de considération les uns envers les autres, on ne peut qu’être surpris par l’apostrophe du premier-ministre.
Ce dérapage intervient après l’assassinat crapuleux de deux journalistes centrafricains, le meurtre d’une photojournaliste française et, surtout, le peu glorieux épisode la détention provisoire de deux autres journalistes centrafricains accusés d’outrage au chef de l’Etat de la transition mais finalement libérés par la justice. L’échec du gouvernement de la transition ne justifie pas cette dérive autoritaire du pouvoir.
Paris, le 12 juin 2014
Prosper INDO