Centrafrique : des éléments
encourageants pour éviter la « somalisation »
[Tribune]. Par Didier
Niewiadowski
Didier
Niewiadowski |
ex-diplomate à Bangui - 18/05/2014
à 15h43 - rue89.nouvelobs.com
Enfin
des lueurs d’espoir dans les ténèbres centrafricaines ? En avril dernier,
la crise centrafricaine a connu une nouvelle accélération et s’était rapprochée,
encore un peu plus, des crises devenues hors de contrôle, comme celle de
Somalie.
Les
assassinats de religieux, d’humanitaires et de journalistes, les affrontements
de type militaire avec un appui aérien aux commandos Sangaris, le retrait
temporaire d’ONG humanitaires et l’effacement du pouvoir exécutif, de plus en
plus contesté par les nationaux et de moins en moins écouté par les partenaires
étrangers, ne permettaient pas d’être optimiste.
Même si
des massacres sont encore signalés, ici et là, et que les assassinats n’ont
guère cessé comme en témoigne celui de la jeune journaliste française Camille
Lepage, on peut néanmoins s’interroger. A la mi-mai, les premières lueurs
d’espoir ne commencent-elles pas à poindre ?
Faits
encourageants
Plusieurs
faits nous paraissent encourageants et peuvent être de nature à briser
l’interminable descente aux enfers :
- Même si la
situation dans l’arrière-pays est toujours hors de contrôle, une amélioration
de la situation sécuritaire est constatée à Bangui, grâce à l’action
déterminée de la Misca et de Sangaris. L’arrivée des précurseurs de
l’Opération EUFOR-RCA annonce une consolidation de cette situation. Il est
vrai aussi que les nombreux départs de musulmans ne sont pas étrangers à cette
amélioration. La mise en place d’une Mission intégrée multidimensionnelle des
Nations Unies pour la stabilisation en République Centrafricaine (MINUSCA),
pour le mois de septembre 2014, avec des opérations de Désarmement,
Démobilisation et Réinsertion des combattants, annonce le démarrage prochain
du processus de sécurisation du pays. Encore faudra-t-il éviter les échecs des
précédents DDR en se gardant des détournements massifs des financements
extérieurs dédiés à un tel programme.
- A l’occasion des
cent jours de sa présidence, la Présidente de la Transition a reconnu que son
bilan était très mince et que des erreurs avaient été commises. Elle a annoncé
un réaménagement du gouvernement et une meilleure gouvernance. Une feuille de
route devrait être prochainement adoptée. Espérons que le népotisme et le
clientélisme ne présideront plus aux nominations et que les compétences
soient, enfin, prises en compte. Il faudra aussi revoir la composition des
cabinets présidentiels et du Premier ministre, pléthoriques et sources
d’inaction et de gaspillage. Ce réaménagement gouvernemental devra être
accompagné d’un remodelage du CNT afin de mieux tenir compte des réalités
socio-politiques et d’éviter une sur-représentation de certains
groupes.
- Le Congrès de l’ex
Séléka, tenu récemment à Ndélé devrait mettre fin à l’anarchie qui régnait
dans cet ancien cartel, surtout depuis la démission de Michel Djotodia, le
10 janvier 2014. Cette réorganisation, même si elle ne concerne dans un
premier temps que la branche militaire, devrait permettre au Gouvernement et
aux Forces internationales d’avoir des interlocuteurs représentatifs et
d’instaurer un dialogue constructif. Les exactions imputées parfois hâtivement
aux ex Séléka pourront être attribuées aux véritables criminels. Pour les
mêmes raisons, une clarification est aussi attendue des nombreux groupes se
réclamant des anti-balaka. Trop de crimes et d’exactions sont imputés, de
manière aléatoire, aux uns ou aux autres, alors qu’ils ont pour auteurs des
éléments incontrôlés des ex mouvements rebelles comme l’APRD, la CPJP ou le
FPR de Baba Laddé.
- La décision du
Conseil de Sécurité de geler les avoirs et d’interdire les voyages de François
Bozizé, de Nourredine Adam et de Levy Yakété est encourageante. L’extension
des sanctions à Michel Djotodia et à Abdoulaye Miskine, décrétées
unilatéralement par le Président Obama, traduit la prise en compte de la
gravité de la situation qui « …menace la sécurité et la politique des
affaires étrangères des Etats Unis … ». L’impunité dont jouissaient les
principaux protagonistes de la crise et les innombrables criminels de droit
commun a été l’une des causes du développement de la sauvagerie. La première
mission d’enquête de la Cour Pénale Internationale est également un signe que
l’heure des sanctions arrivera prochainement.
- La décision du
Président tchadien Idriss Déby, du 9 mai, de fermer hermétiquement la
frontière avec la Centrafrique, même si cette décision fait peu de cas de
l’obligation de libre circulation entres les Etats de la Communauté Economique
et Monétaire des Etats d’Afrique Centrale (CEMAC), devrait avoir un impact
positif sur la sécurisation du territoire centrafricain. Les bandes armées,
les trafiquants et les pillards vont voir restreindre leur liberté de
circulation et rendre plus difficile leur ravitaillement. Cette décision du
Président tchadien vient à la suite de celle qu’il avait prise, début avril,
en retirant promptement le contingent tchadien de la MISCA, contribuant ainsi
à mettre un terme à certaines accusations
centrafricaines.
- Les Agences de
développement, en particulier l’Agence française de développement, viennent de
lancer des programmes de développement à haute intensité de main-d’oeuvre. Ces
actions de Paix contre Travail donneront des perspectives d’espoir à la
jeunesse, en améliorant notablement leurs conditions de vie et, pour les
combattants de tous bords, en leur faisant quitter l’univers de barbarie dans
lequel ils sont enfermés et revenir aux préceptes de la morale. La paix
arrivera plus par ces actions de développement économique et social que par la
force des armes et le renforcement incessant des Forces
internationales.
Oublier les Accords de
Libreville ?
Ces
légères avancées devront être consolidées et être confortées par d’autres
décisions de nature politique et juridique. Ne conviendrait-t-il pas de ne plus
faire référence aux Accords de Libreville du 11 janvier 2013, alors que les
motivations de l’époque ont totalement disparu, que les principaux protagonistes
de l’époque ont tous piteusement quitté la scène et que la répartition des
pouvoirs a sensiblement évolué.
Faut-il
encore conserver en l’état la Charte constitutionnelle du 18 juillet 2013,
alors qu’une nouvelle ère politique a débuté le 10 janvier 2014, que la
nature du bicéphalisme de l’exécutif a changé, que le Conseil National de la
Transition, dans sa composition actuelle, ne peut exprimer la souveraineté
nationale et que l’inéligibilité des principaux responsables actuels de
l’exécutif et du législatif ne se justifie plus.
Il
serait bon que les hommes et femmes politiques de premier plan puissent se
consacrer pleinement à la réussite de la Transition plutôt que mettre toute leur
énergie à la préparation des futures élections présidentielles et législatives
qui pourront difficilement se tenir début 2015.
Aujourd’hui plus encore qu’hier, il ne suffit pas
de tendre la sébile et de dresser des additions en centaines de millions
d’euros, il faut aussi réhabiliter la vraie politique, celle qui est au service
de toutes les composantes du peuple centrafricain et du développement de toutes
les régions du pays.