REPONSE A UN
CHANTRE DE LA DIVISION
Fatiguée de ses bisbilles politiques,
épuisée par ses guéguerres ethniques, la RCA s’est offert une guerre
confessionnelle, la guerre de trop, qui pourrait avoir raison de son
existence.
J’avais lu, en diagonale, au mois
de mars, un article de monsieur Hamat Mal- Mal Essène qui tentait de justifier
la partition de la RCA. A l’époque, je ne croyais pas à la partition et donc je
zappais la plupart des articles écrits sur ce sujet. Je pense aujourd’hui que
j’avais tort. Car la partition de la Centrafrique, loin d’être une vue de
l’esprit, commence à prendre forme : une capitale existe ( Bambari ), une
armée ( l’ex-Séléka ) et un chantre, Hamat Mal-Mal Essène qui a récemment
publié, sur Alwihda son <<
Projet national pour l’autodétermination des populations du nord- est de la
Centrafrique. >> Cet article est le troisième que ce monsieur, en quelques
mois, publie sur la sécession du nord Centrafrique. Dire qu’il est obsédé par ce
thème, c’est peu dire. Il précède les politiques et leur balise le chemin, les
étapes de la sécession, prévoit les infrastructures de la nouvelle République,
ses éventuelles difficultés etc. Il ne fait aucun doute dans son esprit que son
projet aboutira.
LE NOM DE LA
REPUBLIQUE
On a d’abord trouvé la République
du Nord Oubangui. Mais c’était un peu réducteur. On pourrait accuser les
musulmans d’avoir pris prétexte d’un conflit qu’ils ont provoqué pour faire
sécession et se replier dans le nord, leur région d’origine. Non, non et non. On
va trouver mieux : la République du Nord-Est de Centrafrique. Du coup, la
nouvelle entité s’élargit vers l’est et englobe des populations en déshérence,
sans cesse harcelées par les assassins de Joseph Kony. Première
observation : cette République du Nord-Est est plus vaste que son nom,
puisqu’elle recouvre le centre et le sud de la Centrafrique. Deuxième
observation : ni les sécessionnistes ni leur chantre ne sont parvenus à
rompre toutes les attaches avec la mère patrie. Ils n’ont pas choisi, pour
désigner leur nouvelle République, un symbole de leur région. De leur nord
natal, ils ont choisi un symbole national, l’Oubangui qui coule au sud. Mais
cette première appellation, l’Oubangui du Nord, qui ne présente pas de parenté
onomastique avec la Centrafrique et qui aurait pu les différencier du pays
qu’ils souhaitaient quitter, a été abandonnée, au profit de la Centrafrique du
Nord-Est. Comme si nos compatriotes musulmans ne voulaient pas couper les ponts
avec la mère patrie.
Monsieur Hamat Mal-Mal Essène
n’est pas n’importe qui. Enseignant-chercheur à l’université de Bangui, il sait
qu’il court derrière un mirage, après avoir enterré, dans son esprit, la pauvre
République qui a fait de lui ce qu’il est.
GENESE D’UNE
PARTITION VIRTUELLE
Au plus fort de la tempête Séléka,
des dizaines de milliers de Centrafricains à l’ouest s’étaient exilés dans les
pays limitrophes, dans les forêts et les évêchés. Personne, aucun parti
politique n’avait alors songé, pour se débarrasser de cette nébuleuse, à la
partition du pays. On ne saucissonne pas la République au gré des problèmes
qu’on lui crée.
L’idée de partition a germé comme
un pis-aller, un plan B dans l’esprit de la Séléka, quand elle s’était retrouvée
en mauvaise posture, pratiquement en débandade. Harcelée par ceux qu’elle
martyrisait, pourchassée par ceux qu’elle pourchassait, la soldatesque de
Djotodja s’était repliée sur Sibut, Kaga-Bandoro, puis Bambari, pour
semble-t-il, reprendre ses esprits et conspirer de nouveau. La ville de Bambari,
épargnée par les atrocités qui se déroulaient à Bangui et à l’ouest du pays,
était alors considérée comme un havre de paix. Elle n’allait pas tarder à
connaître le sort de Bossangoa, et même pire, puisque les évêchés n’étaient plus
considérés comme des sanctuaires, mais des blockhaus, des casemates, en somme
des objectifs militaires à neutraliser. Si l’on pouvait hiérarchiser l’horreur,
on mettrait la RCA à son sommet. Acculée, cernée de toutes parts, rendue
impopulaire par ses exactions, l’ex-Séléka n’a plus en main que la stratégie du
chaos pour se maintenir dans quelques villes, préfectures et régions. Cette
partition ressemble fort à une occupation pure et simple. Elle ne ressort pas
d’une démarche spontanée des populations autochtones, mais n’est que l’émanation
d’une nébuleuse cosmopolite. Elle ne prendra jamais, comme l’écrit Hamat Mal-Mal
Essène << la forme de la guerre du Biafra >>. On va rappeler à ce
monsieur, que les Biafrais, les Ibos en l’occurrence, population minoritaire,
n’avaient pas envahi, puis soumis tout le reste du Nigéria à un pouvoir
dictatorial, comme la Séléka l’a fait en Centrafrique. Chassés du nord par les
Haoussas, les Biafrais ne se sont pas emparés du territoire des Yoroubas, ethnie
majoritaire au sud, pour faire sécession. Ils sont retournés sagement dans leur
région pour proclamer leur indépendance. Une indépendance qui ne durera que le
temps de la guerre du Biafra,
laquelle a fait deux millions de morts. Pour rien. Puisque la sécession a été
réduite. Le chantre de la partition centrafricaine a été particulièrement mal
inspiré de donner cet exemple. La guerre du Biafra avait toutes les apparences
d’un conflit religieux : les sécessionnistes Ibos étaient chrétiens alors
que l’armée fédérale qu’ils combattaient comptait dans ses rangs une écrasante
majorité de musulmans haoussas du nord. Mais ni ceux-ci ni ceux-là n’ont
cherché, à aucun moment du conflit, à instrumentaliser la
religion.
IL FAUT TOUT POUR
FAIRE UN MONDE
La religion, dans les deux
dernières tribunes de monsieur Hamat Mal-Mal Essène, divise la Centrafrique en
deux camps irréductibles : les chrétiens et les musulmans. Or le dernier
recensement reconnaissait à notre pays trois principales religions : le
christianisme (quatre-vingts pour cent), l’islam (dix pour cent) et l’animisme
(dix pour cent). La CIA, plus perspicace que les recenseurs centrafricains, fait
monter le pourcentage des animistes à trente-cinq pour cent. Ce qui, à mon avis,
est encore loin de la vérité. La vérité, c’est que la population centrafricaine
est majoritairement animiste. On ne peut donc pas l’enfermer dans un face-à-face
islamo-chrétien dont chacun voit bien qu’il est fort réducteur et porteur de
zizanie, pour un pays laïc.
Il faut tout pour faire un monde.
Et donc la RCA doit s’enrichir de ses religions, mais aussi de ses païens et
surtout de ses agnostiques. Car dans un monde dominé par la science et le doute,
il est illusoire de vouloir occulter cette dernière
catégorie.
La crise centrafricaine a
évolué d’une simple rébellion à un inextricable conflit religieux. La dernière
preuve qu’il s’agit bien d’un conflit religieux, c’est qu’on pense le résoudre
en confiant le poste de Premier ministre à un musulman. Cela suffira-t-il à
calmer la pyrexie sécessionniste de monsieur Hamat Mal-Mal Essène ? Il est
permis d’en douter. D’autant que dans les accords de N’Djaména, que personne n’a
vu mais que les ex-Séléka invoquent à propos de tout et de rien, on aurait prévu
de leur donner aussi les portefeuilles de la Défense, de l’Intérieur et des
Finances publiques. On voit bien à travers ces revendications, que l’objectif
premier de la Séléka c’était l’amélioration des conditions de vie des musulmans.
Les prédécesseurs de Djotodja favorisaient leurs ethnies, lui est venu favoriser
ses coreligionnaires. Il n’a pas instrumentalisé l’islam pour servir un pays
laïc. En Centrafrique, le conflit religieux n’est, en réalité, que l’
instrumentalisation de la religion. Ce n’est pas la première fois dans
l’histoire de l’humanité que les hommes
se sont servis de la religion pour parvenir à leurs fins. Souvenez-vous
des nomades Hébreux. Quand ils ont décidé de se sédentariser, ils se sont
emparés de Canaan, au nom de leur Dieu.
DE PARTI PRIS
PROMUSULMAN
Les textes de monsieur Hamat
Mal-Mal Essène sont destinés à ses coreligionnaires, ceux de Centrafrique et
ceux de l’étranger. Ils ont d’ailleurs été publiés sur Alwihda, ce qui en soi n’est pas un
crime. Prêchant des convertis donc, ce monsieur ne pouvait pas ne pas recourir à
la rhétorique de la victimisation : << L’histoire de la République
Centrafricaine depuis l’indépendance, est jonchée de marginalisation de
certaines communautés notamment les ethnies du nord-est et les musulmans.
>> Cette phrase introductive du texte publié au mois de mars est
caractéristique de la démarche de l’auteur, laquelle recourt à l’à-peu-près, à
la caricature, aux arguments spécieux et aux mensonges pour convaincre ou tenter
de convaincre du bien-fondé de la sécession des musulmans. D’emblée, ceux-ci
sont opposés aux autres Centrafricains, dans une vision manichéenne qu’il
s’efforce de masquer en alliant aux musulmans les << ethnies du nord-est
>>. Tous ceux qui connaissent un tant soi peu l’histoire de la
Centrafrique répondront à ce monsieur que le président centrafricain gouverne
généralement avec les gens de son ethnie, disposés en cercles concentriques
autour de lui, pour surveiller les autres ethnies ostracisées, qui pourraient
être tentées par un coup d’Etat.
Mais revenons au texte. Le rappel
historique étant posé, monsieur Hamat Mal-Mal Essène passe aux raisons de la
partition. Il suffit de les parcourir pour constater que, dans sa démarche
visant à travestir la vérité, l’enseignant-chercheur fait peser sur les seuls
musulmans le poids des maux dont souffrent tous les Centrafricains, voire tous
les Africains : << Il faut absolument pour un passager de confession
musulmane quelque soit son rang social payer une rançon aux forces de l’ordre
avant de franchir les barrières et ceci même au niveau de l’aéroport Bangui
Mpoko (…) il est difficile pour un jeune musulman de passer en classe supérieure
ou de réussir à un test d’emploi dans l’administration s’il ne met pas la main
dans la poche pour corrompre. >>
En mettant la main à la poche, on
participe à cette dépravation, on contribue à sa pérennisation. Peut-on soutenir
sérieusement qu’en Centrafrique, seuls les musulmans sont rackettés et
rançonnés ? Qui peut croire qu’ils sont les seuls victimes de la
corruption ? On peut, tout au plus, concéder que nos compatriotes musulmans
étant des commerçants, des convoyeurs de marchandises, ils ont deux fois plus de
risques de tomber sur des policiers et des gendarmes désargentés que les autres
professionnels. Car la corruption, qui gangrène tous les corps de l’Etat dans
les pays pauvres, est entretenue par la misère. Ce n’est pas un hasard si le
pays le plus corrompu du continent africain, selon le dernier classement de
Transparency International, est la Somalie.
Dans nos écoles aujourd’hui, les
enseignants qui, autrefois, vivaient relativement bien de leurs salaires, se
sont paupérisés. Ils totalisent plusieurs mois d’arriérés de traitements. Dans
ces conditions, m’a dit l’un d’eux, quand un élève te donne de l’argent, tu ne
peux pas le refuser. Et ce ne sont pas que les musulmans qui donnent.
L’appauvrissement du pays est tel que pratiquement tous ses services publics
sont, d’une manière ou d’une autre, tarifés.
Une autre raison qui justifie la
partition, selon monsieur Hamat Mal-Mal Essène, c’est << Le refus de
délivrance des cartes d’identité nationale à des sujets musulmans ou des
populations du nord-est. >>
Des centaines de milliers de
Centrafricains non-musulmans n’ont pas de cartes nationales d’identité. Il
s’agit apparemment d’une carence administrative et non d’un << refus
>> discriminatoire. Mais qui veut noyer son chien l’accuse de tous les
maux. Chacun sait qu’en Centrafrique tout est centralisé à Bangui. Pour obtenir
un passeport ou une carte nationale d’identité, quand on habite en province, il
faut se déplacer, il faut payer, il faut graisser des pattes, comme l’a reconnu
l’enseignant-chercheur. Qui s’est bien gardé de préciser que ceux qui ont les
moyens, de par leur métier, de s’offrir des passeports et des cartes nationales
d’identité, ce sont bien les musulmans.
On va arrêter la polémique avant
les accusations de << génocide >>, de << cannibalisme >>
et d’ <<intégrisme religieux >> portées contre les Centrafricains.
Personne ne nie que des civils musulmans aient été tués, voire massacrés. Mais
de là à crier au génocide, il y a un pas que les témoins impartiaux du drame
centrafricain n’ont jamais franchi. Ils ont toujours soutenu que la violence des
Antibalaka répondait à une violence d’Etat, celle de la Séléka : La Séléka, écrit International Crisis
Group dans son rapport du 2 décembre 2013, s’est disloquée en une multitude de groupes
armés qui commettent de nombreuses exactions et provoquent la
réaction des milices d’auto-défense
et un conflit confessionnel.
LE DERNIER
MOT
Koulayom-Masséyo David du Forum de
Reims avait écrit, dans une de ses tribunes, que le mot sango séléka serait désormais péjorativement
connoté. Je ne pensais pas que la preuve nous en serait donnée par le secrétaire
général adjoint de l’ex-coalition. Eh bien ! je me suis encore
trompé : le nom Séléka ne figure pas dans le dernier texte de monsieur
Hamat Mal-Mal Essène, son << Projet national pour
l’autodétermination…>> publié le 5 août sur Alwihda. Il relève aujourd’hui du
registre vulgaire, voire ordurier. Il est devenu lourd à porter, terrible et
sulfureux pour ceux-là mêmes qui le brandissaient naguère comme un trophée. En
le bannissant de son dernier article, le secrétaire général adjoint de
l’ex-Séléka reconnaît implicitement que son mouvement a galvaudé un vocable de
la langue nationale. Cette reconnaissance est, si l’on peut dire, une évolution,
par rapport au texte du 16 mars << Les Raisons de la partition >>,
dans lequel, il avait maladroitement tenté d’absoudre sa coalition :
<< Le conflit post-Bozizé se justifie car dans ses déclarations
habituelles à la nation. Il pointait déjà du doigt les ressortissants
centrafricains du nord-est mais aussi les musulmans résidant en Centrafrique
comme étant des cibles. Les COCORA et les COAC n’étant pas encore désarmés, ils
commettaient encore des exactions en complicité avec les ex éléments de la
sécurité présidentielle. Signalons que l’entrée de Séléka a drainé également les
anciens militaires de Bozizé qui ont déserté et ont certainement profité pour
faire les règlements de compte. >>
Pourquoi cette
évolution ? Parce que sous Djotodja déjà le mot séléka renvoyait dans l’imagerie
populaire aux exactions de la Séléka. Il était donc synonyme d’exactions mais
aussi de djihadisme. Il représentait pour Djotodja devenu président un véritable
boulet : il ne pouvait même pas sauver les apparences. Il a donc dissous
sans la condamner sa coalition, en espérant que son nom honni et vilipendé
finirait par disparaître avec le temps. Mais il survivra, dans le pire des cas,
à la Centrafrique, pour témoigner des crimes sans nom qui ont été perpétrés dans
ce pays.
GBANDI Anatole,
Forum de Reims
P.-S. Au moment où je mettais un point final à
ce texte, me parvenait la décision de Nouredine Adam, << portant création
de l’Etat de Dar El Kouti >>. Cette décision, bien que démentie par
Djotodja, ne change rien à la triste réalité centrafricaine. Quant à moi, il y a
longtemps que j’ai appris à me méfier des démentis de l’ex-Séléka. Ce nom de Dar
El Kouti, si elle se confirmait, signifierait, comme je l’ai suggéré dans mon
article, que les Séléka se replient sur eux-mêmes.