Un témoignage différent d’une histoire de la République Centrafricaine.

 

Par Jean-Didier GaÏna

 

Les leaders poltiques des pays africains et d’autres continents, qui avaient revendiqué l’indépendance ou l’autonomie de ces pays, avaient procédé ainsi sur la base de diverses revendications dont les principales avaient été les châtiments corporels sévères ou les privations infligés par les envahisseurs ou les colons, l’exploitation des ressources naturelles desdits territoires sans réinvestissement substancielle dans les sociétés locales ou en faveur des autochtones, l’absence d’une association effective des indigènes aux diverses prises de décisions politiques et économiques, le favoritisme ou traitement particulier d’un groupe ethnique par rapport aux autres, etc.

 

Pour ce qui concerne la République Centrafricaine, les bases des revendications que nous avons énumérées plus haut s’étaient déroulées de la période qui avait suivi l’arrivée des explorateurs européens puis s’étaient poursuivies jusqu’à la décision de la France d’accorder son indépendance au territoire de l’Oubangui-Chari.

 

Pour aller au plus vite, nous allons faire faire des sauts de puce à l’histoire de la République Centrafricaine en considérant les évènements majeurs des six dernières décennies.  Après la proclamation de l’indépendance et pendant les premières années de la république, nous avons observé l’apprentissage et l’adhésion aux principes de bonne gestion des affaires publiques par les cadres et techniciens  nationaux, bien entendu, sous l’oeil vigilant des fonctionnaires expatriés et  des patrons et agents des companies commerciales d’origine européene, qui avaient toujours le contrôle des grandes décisions administratives et économiques.   Dans ce contexte, les services publiques de santé, d’enseignement et de formation professionnelle, les services d’agriculture et d’élevage, les finances et l’administration générale avaient continué à fonctionner sous la houlette de différents corps d’assistance et  de coopération avec la France. A l’exception de quelques transporteurs routiers africains dans le pays, le commerce général et les exploitations agricoles, forestières et minières appartenaient à des groupes européens, à des expatriés ou colons résidents.  Sur le plan politique, la majorité de la population avait rendu hommage à Barthélémy Boganda et avait accepté de suivre les grandes lignes politiques du Mesan désormais dirigé par David Dacko.  Sous sa direction, David Dacko avait fait museler l’opposition des autres partis politiques en isolant leurs dirigeants tels Maléombo et Goumba, consolidant ainsi l’hégémonie du Mesan parti unique et de son gouvernement.  Fort de cette position politique stratégique, les cadres du Mesan et les nouveaux émules du parti avaient petit et petit oublié les grandes lignes de la vision politique de Barthélémy Boganda, ainsi que sa vision d’émancipation sociale de chaque oubanguien;  ce dernier avait placé ce programme sous la bannière nationale du Zo Kwè Zo.  Ce manquement ou cet oubli marqué de la grande cause et les malversations qui en avaient découlées, avaient donné au Colonel Jean-Bedel Bokassa le prétexte de son coup d’état de la Saint Sylvestre.  Au début puis au cours de son régime, son instinct d’une autorité absolue avait poussé Jean-Bedel Bokassa à faire croire à diverses machinations ou complots pour éliminer tout ceux qu’il soupçonnait de vouloir lui faire ombrage.  Pour faire la part des choses, celui-ci avait été, malgré lui, le dirigeant politique à instituer certaines réformes positives qui avaient renforcées l’image de progrès ou de modernité de ce pays, après la proclamation de l’indépendance.  Malheureusement, toutes ces réformes ou les institutions qui en étaient nées portaient chacun son nom et avaient fini par exacerber et aboutir à l’expression finale de sa mégalomanie,  et enfin à sa décision d’établir au 20ième siècle un empire africain qui renaissait des cendres d’un oiseau inconnu des mythologies oubanguiennes.  Les mauvais traitements, les nombreuses exactions et les privations des libertés, rapportés dans les  colonnes des médias internationaux avaient particulièrement embarassé le gouvernement français qui décida, manu miltari, de mettre fin à l’existence de cet empire centrafricain.  La France fit ramener David Dacko de sa retraite française et le remit à la tête de la République Centrafricaine.  Comme quoi cette France avait depuis toujours appris à souffler le froid ou le chaud sur le continent africain!   Dans la foulée, ce renversement de régime avait autorisé la naissance de ce que l’on pourrait appeler un véritable mouvement démocratique.  De nombreux partis politiques étaient nés et chacun avait senti et apprécié à sa juste valeur cet harmattan des nouvelles libertés.  Peu après, cette démocratie avait été malade de divers maux sous les régimes de Dacko, de Kolingba, et de Patassé.  Aujoud’hui encore, la démocratie est toujours souffrante sous le régime de François Bozizé et de son KNK qui avaient conservé, sinon exacerbé les mêmes maux qui avaient été reprochés à tous les régimes politiques précédents.  Bozizé en particulier avait fait sien ce que le bien fameux exterminateur russe Jossif Vissarionovitch Staline avait exprimé et qui disait à peu près que le plus important au cours d’élection était celui qui comptait les votes.  En nous rappelant ces propos de Staline, en gardant à l’esprit le modèle d’organisation des élections présidentielles et législatives de 2010 en Centrafrique, et en écoutant les divers témoignages de tricheries lors de ces élections, orchestrées de main de maître par Bozizé et ses hommes, nous nous étions demandés comment le gouvernement français et le Secrétariat des Nations-Unies s’étaient convaincus, puis avait reconnu un régime fantoche, personnifié par François Bozizé, son KNK et les partis dits de sa mouvance présidentielle?  Allez donc savoir, si vous êtes toujours naïfs, pourquoi et dans quels intérêts la France et les Nations-Unies avaient adopté certaines positions tantôt objectives, tantôt incompréhensibles et étonnantes dans leurs rapports avec l’Afrique!

 

Aujourd’hui, les ressources minières, le bois et les terres riches et abondantes de la République Centrafricaine n’appartiendraient pas au peuple centrafricain.  Ces ressources nationales appartiendraient aux hommes du régime politique à Bangui, qui enveraient leurs émissaires de tout poil prendre à vil prix tout ce qui leur tombe sous la main à Bangui comme dans les régions de l’intérieur du pays.  Depuis plusieurs décennies déjà, le secteur des enseignements qui avait vu les effectifs augmenter, continue à voir décliner la qualité des prestations de service et les qualités de l’éducation et de la formation qu’ils offrent.   Les élèves des écoles, ceux des lyçées et collèges, puis les étudiants du supérieur auraient beaucoup de mal à donner le change à leurs pairs d’Afrique et d’ailleurs dans les divers domaines d’études.   Le taux d’alphabétisation reste toujours excessivement faible.   Il n’y aurait qu’à parcourir des yeux les rapports annuels du PNUD, de l’UNICEF, de l’OMS ou des agences de la Communauté Européenne à propos de la Centrafrique pour se convaincre du mauvais état des lieux.  Où donc le pays trouverait-il de bonnes pépinières pour y recruter des ouvriers, des cadres, des techniciens et des dirigeants des entreprises du futur auxquels le pays rêverait?   Des enfants à Berbérati crêveraient de faim, alors que les ministres et Bozizé ne pensent qu’à parader à chaque occasion dans les plus beaux costumes possibles, et, qui rivaliseraient avec les meilleurs “sapeurs” congolais en Europe.   Auraient-ils tous des problèmes d’orgueil ou de vanité?   Si nous revenons aux élections, les grands amis de la Centrafrique ne seraient heureux d’intervenir énergiquement et efficacement pour démontrer leur altruisme que lorsque le pire sera arrivé, n’est-ce pas!  Ou bien s’étaient-ils depuis arrogés le droit de choisir et de reconnaître le candidat de leur choix ou le vainqueur des élections, uniquement parce qu’ils en avaient assuré le financement, même si ce ne fusse qu’en partie?

 

Barthélémy Boganda avait espéré qu’avec l’indépendance chaque ancien oubanguien aurait le choix d’avoir une maison et de bien se loger, de manger à sa faim et d’avoir une bonne alimentation, de se couvrir et de se vêtir décemment, de se protéger des maladies et d’avoir l’accès facile aux soins médicaux, d’aller à l’école, de s’éduquer ou de s’instruire.  Mais les politiciens centrafricains et leurs émules avaient estimé qu’ils n’avaient rien à retenir de cette histoire, ni de leçon à recevoir de personne.  Bozizé, les militants du KNK et ceux dits appartenant à la mouvance présidentielle avaient oublié le sens du devoir national et civique et le sens du devoir missionnaire de tout parti politique, et qui serait de motiver les citoyens, d’encourager les initiatives personnelles et de promouvoir des actions efficaces et productives dans la transparence et qui apporteraient rapidement le bien-être à toute la communauté nationale dans un environnement civil, égalitaire et de justice.  La réalité demeurait cependant différente.   Quand leurs actions suscitaient plus de questions qu’elles n’apportaient de réponses satisfaisantes, le parti au pouvoir se cabrait et voudrait corps et âmes y demeurer éternellement.  Une hystérie se mettait alors en place.   Chacun créait son parti politique dont il était le propriétaire-gérant, chacun formait sa rébellion sans partage, chacun serait plus démocratique que les autres, chacun était toujours prêt à retourner sa veste faute d’une conviction politique profonde.  Tout ce délire demeurait une constante parce que chacun voulait le pouvoir, un poste de ministre ou celui de député pour satisfaire son propre rêve de grandeur.   Une explication serait que dans l’esprit de tous, la véritable réussite sociale ne pouvait se mesurer que par un aboutissement de ce genre.   L’émancipation sociale?   Le développement économique?   La paix?   Ce lexique ou vocabulaire noble n’était qu’un amalgame de mots ou de vénalités, nécessaires pour une campagne électorale ou politique digne de ce nom, afin de gagner des votes.

 

Et toute cette farce des élections démocratiques n’avait servi que pour donner une forme de légitimité à perpétuer la corruption permanente, orchestrée par le clan de Bozizé, par les griots de son régime et par ses libérateurs qui croient que le peuple centrafricain leur doit des comptes éternels et exigeaient plus que de la gratitude.  Juste en passant, nous parions que Bozizé serait candidat pour un troisième mandat presidentiel, s’il en donnait l’ordre à l’assemblée nationale où les députés de son parti et ceux des partis de sa mouvance présidentielle seraient majoritaires pour lancer une probable révision de la Constitution.  En attendant, Bozizé et toute son équipe passeraient tout leur temps à opérer la canibalisation totale des ressources du pays à leur profit, pendant que les citoyens des villes et des campagnes vivent dans la misère et se demandent avec quelles jambes courir pour échapper à ce piège constant des régimes qui ne servent pas l’intéret national.  Lorsque par désespérance, ils frappent à la porte de l’Europe, ils ne sont évidemment pas le bienvenu, parce qu’ils manqueraient les qualifications professionnelles requises.  Tout le monde làbas aurait alors la conscience tranquille, parce que seuls les gouvernements africains auraient les responsabilités de cette émigration de leurs citoyens.  Mais ces gouvernements africains ne sont-ils pas en partie les produits des mauvaises décisions de quelques uns de ces pays européens, des Nations-Unies ou de certaines institutions internationales , pourvoyeurs des régimes politiques en place sur le continent?

 

Nous estimons pour notre part que les tous centrafricains devraient sortir de cet état léthargique et s’engager plus lucidement et activement dans la voie des changements politiques dans le pays.  Les modèles de parti et d’action politiques, hérités du Mesan, du RDC, du MLPC, du KNK et d’autres seraient vétustes.  Le moment serait venu pour chaque citoyen et militant de parti politique en Centrafrique de commencer à véritablement douter des intentions patriotiques de leurs dirigeants.  La question politique fondamentale que tous les citoyens devraient poser aux dirigeants du KNK et à ceux de tous les autres partis politiques serait quelles actions ils opéreraient ou quelles démonstrations ils devraient immédiatement entreprendre pour abolir leurs recherches effrennées du profit personnel, et pour enfin se préoccuper véritablement du bien-être de chacun et de tous les centrafricains, même de ceux qui seraient dans l’opposition?  Ne se rendent-ils pas compte qu’après l’expiation de chaque régime politique, c’est le pays et ses citoyens qui demeurent, maîtres d’une destinée qu’ils devraient conduire?  Sinon, pourquoi alors prétendre faire de la politique dans un tel environnement et avec des principes qui ne seraient démocratiques que d’appellation?  Peut-être que cette demande que nous lançons en faveur d’une action uniforme et généralisée d’engagement personnel, civique, patriotique, lucide et intelligent de tous les citoyens et de tous les militants des partis, pourrait ouvrir une large voie vers une renaissance démocratique ou pourrait apporter l’éclosion d’une autre vision de l’émancipation et du développement de la Centrafrique.

 

Tribune – 22/02/2011.