LA DESTITUTION DU PROFESSEUR BARTHELEMY YANGONGO BOGANDA FAIT DES VAGUES : LES DEPUTES PROTESTENT
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L'éviction illégale du Pr. Barthélémy Yangongo-Boganda fait des vagues. Les députés présents à Bangui (car la plupart ont regagné leur circonscription respective), ont rédigé cette déclaration pour condamner la destitution d'un membre de la Cour constitutionnelle, acte qui porte non seulement préjudice à la Constitution et à la Loi organique N° 95 006 du 15 août 1995, mais constitue également un réel danger pour notre démocratie. Si le président de la République se substitue à la Cour Constitutionnelle alors là...
Ainsi cette déclaration exige l'abrogation pure et simple du décret illégal et le rétablissement sans délai du Pr. Yangongo dans ses fonctions de juge constitutionnel et sa prestation de serment conformément à la loi.
DECLARATION
La "destitution " du Pr. Barthélémy Yangongo-Boganda par le président ;Patassé est une flagrante et insolente violation de la Constitution.
Il a été largement démontré, qu'en édictant un décret présidentiel destituant le Pr. Barthélémy Yangongo-Boganda de ses fonctions de conseiller à la Cour constitutionnelle, le chef de l'État a, une fois de plus donné la preuve de son mépris de la Constitution et de la loi N° 95. 006 du 15 août 1995 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle.
Cette Loi détermine avec spécificité la place qu'occupe la Cour Constitutionnelle dans l'ordonnancement juridique et les modalités procédurales auxquelles elle est assujettie dans le processus de mise en œuvre et de l'application, au nom du peuple centrafricain, des normes juridiques ayant toujours présent à l'esprit la préservation des intérêts supérieurs de la nation (cf. déclaration de la Cour Constitutionnelle relative aux projets ou propositions de modification des Lois constitutionnelles et organiques, du 25 septembre 1998, P. 2).
La question qu'on est en droit de se poser est de savoir si le Pr. Barthélémy Yangongo- Boganda est membre à part entière de la Cour constitutionnelle ou non ; quelle est l'autorité compétente pouvant interpeller et sanctionner un conseiller à la Cour Constitutionnelle qui aurait enfreint le régime des incompatibilités ou manqué à son devoir de juge constitutionnel ?
1 - Au terme du décret N° 96. 051 portant nomination des membres de la Cour constitutionnelle, signé par le président de la République, l'article 2 de cet acte réglementaire disposait que celui-ci "prend effet à compter de la date de prestation de serment des intéressés. "
Dans la mesure où la disposition en question désavantageait les récipiendaires, selon les renseignements que nous avions pu recueillir auprès des services de la présidence de la République, le président de la Cour Constitutionnelle M. Édouard Franck avait introduit une note "à la très haute attention de son excellence, M. le président de la
République, chef de l'État " en date du 9 mai 1998, en faisant à ce dernier la proposition suivante de la Cour constitutionnelle :
"... Il est ainsi Proposé à son excellence, M. le président de la République, chef de l'État, de bien vouloir faire courir les effets du décret N° 96. 051 du 1er mars 1996, portant nomination des membres de la Cour Constitutionnelle à la date de sa signature et d'accepter la modification de l'article 2 dudit décret comme ci-après :
Au lieu de
Article 2 : Le présent décret qui prend effet à compter de la date de prestation de serment des intéressés, sera enregistré et publié au journal officiel "
C'est ainsi que M pris le décret N° 96. 270 "modifiant certaines dispositions du décret N° 96. 051 du 1er mars 1996 portant nomination des membres de la Cour Constitutionnelle" du 26 septembre 1996 faisant courir l'entrée en fonction des membres de la Cour Constitutionnelle le 1er mars 1996. Il s'ensuit logiquement que le Pr. Barthélémy Yangongo-Boganda a effectivement pris ses fonctions en date du 1er mars 1996 tout comme les autres membres de la Cour. La prestation ultérieure de serment était devenue par la force de choses, une simple formalité dans la mesure où le décret précité complétait réglementairement la Loi organique, en devenant partie intégrante de celle-ci donc du bloc de constitutionnalité.
2 - En sa qualité de membre à Part entière de la Cour, l'intéressé, de même que ses collègues jouissent dorénavant de l'inamovibilité, en tant que règle fondamentale des statuts des personnalités composant la Cour Constitutionnelle, principe auquel nul ne saurait déroger, encore moins le chef de l'État qui n'est pas au-dessus de la loi. (cf. article 71 de la Constitution). Cette assertion est confortée par la liste protocolaire des membres de la Cour constitutionnelle datée du 20 juillet 1998, signée par M. Édouard Franck, président de la Cour lui-même.
Au surplus, article 10 de la loi organique dispose : "les fonctions des membres de la Cour Constitutionnelle sont incompatibles avec toute autre fonction publique OU toute activité professionnelle. Les membres de la Cour Constitutionnelle sont inamovibles ". Toutefois, concernant la destitution d'un membre, l'article en cause souligne en substance: "la Cour Constitutionnelle, statuant à la majorité des deux tiers de ses membres, peut demander au terme d'une procédure contradictoire, la cessation des fonctions d'un membre qui aurait méconnu ses obligations, enfreint le régime des incompatibilités ou Perdu la jouissance de ses droits civils et Politiques. Le règlement intérieur de la Cour Constitutionnelle précisera les modalités d'application du présent article". Il importe de relever que jusqu'ici, ce règlement intérieur n'est pas encore élaboré.
3 - Comme cela est apparu à l'évidence la Cour Constitutionnelle n'a ni organisé, ni pris l'initiative relative à la destitution du Pr. Boganda conformément aux normes de la Constitution et de la loi organique ou conformément à une procédure contradictoire proprement dite. Cependant ces griefs dressés contre lui, contenus dans le décret de "destitution" en cause ont été imaginés par la Présidence de la République aux fins de porter arbitrairement atteinte à l'honorabilité et l'intégrité d'un juge constitutionnel ; ce qui est une atteinte grave aux libertés individuelles, donc violation des Droits de l'Homme.
Le Pr. Barthélémy Yangongo-Boganda est un éminent juriste mondialement connu par ses travaux et ses prestations dignes de respectabilité.
Un tel fils du pays devrait être vénéré, plutôt que récusé pour des motifs plus ou moins partisans.
4 - De ce qui précède, il ressort que le chef de l'État s'est substitué à la Cour Constitutionnelle, dans la précipitation, en édictant un décret de "destitution " foncièrement illégal, en ce qu'il a abrégé un mandat qui devrait normalement être mené jusqu'à son terme. Pourtant, le président de la Cour constitutionnelle disait dans son interview accordée au journal "Le Novateur " du 30 septembre 1998 : " ... sur la durée du mandat des membres de la Cour Constitutionnelle. Le président lui-même a été élu ; j'ai été désigné... Et, quand bien même le chef de l'État a pris un décret pour dire que le président est un tel, mais ce décret s'appuie sur un vote qui a été déjà fait. Beaucoup de magistrats ont été élus. Le vice-président a été élu. Le président de cette institution a été élu. Et la Constitution a dit que le mandat est de neuf ans. Est-ce qu'au cours de mandat on peut réduire ce mandat ? Cela nous amènerait donc un jour à réduire peut être le mandat du chef de l'État. Ce qui n'est pas possible en cours de mandat ". Contrairement à cette affirmation, M. Édouard Franck a fait valoir dans sa déclaration que le chef de l'État avait le droit de destituer conformément à l'article 71, un membre de la Cour Constitutionnelle. Si tel était réellement le cas c'est sur proposition de quelle institution ? Puisque la Cour constitutionnelle n'a vraisemblablement pas statué sur le cas du Pr. Yangongo-Boganda en l'espèce.
Ce qui étonne par ailleurs, c'est la déclaration du président de la Cour Constitutionnelle M. Édouard Franck devant une commission parlementaire qui l'a auditionné à propos de cette destitution illégale. Celui-ci a carrément rendu un vibrant hommage au savoir-faire du Pr. Barthélémy Yangongo-Boganda en affirmant que ce dernier était professionnellement irréprochable. Il a plutôt contribué techniquement et pédagogiquement, de façon positive à l'installation de la haute juridiction, en
facilitant l'acquisition de nombreuses documentations de travail, il a donc substantiellement rehaussé par sa présence le bon fonctionnement de cette institution juridictionnelle. Il se pose dès lors, une question fondamentale. Pourquoi les grandes qualités intellectuelles et morales de l'intéressé n'ont pas primé dans le processus d'élaboration du décret illégal ?
N'est-ce pas le Général De Gaule qui, après l'arrestation de Jean Paul Sartre suite à une manifestation à laquelle il avait participé à Paris dans les années 1960 déclara : "depuis quand arrête-t-on la France ! "
On peut par extrapolation se poser la même question. Est-il possible de destituer la République centrafricaine ? L'homme que les étudiants en Droit de l'université Marien Ngouabi de Brazzaville avaient surnommé le monument du Droit n'est certainement pas prophète chez lui, cela est de borne guerre, surtout en cette période désolante où la médiocrité devient l'apanage de notre société extravertie.
La décision du président de la République, destituant le Pr. Barthélémy Yangongo Boganda n'est ni plus ni moins qu'une violation flagrante de la Constitution et de la Loi organique de la République. Par conséquent nous exigeons l'abrogation pure et -simple de ce décret illégal qui remet en cause la Loi fondamentale et la Loi organique, concernant l'organisation de la Cour constitutionnelle qui est le dernier rempart de la démocratie participative.
Les députés suivants ont signé :
- J. Malemindou
- Abel Goumba
- D. Langandji
- Andjigbo Ndjanga
- Alphonsine Yangongo-Boganda
- Charles Massi
- Patrice Endjimoungou
- L P. Gamba
- Joachim Goyango
- A. M. Moningue
- Louis Papeniah
- Roger Gbeda
- Jean Marie Mokole
NB. D'autres signatures suivront.
(LE CITOYEN N°745 du jeudi 06 janvier 2000 Pages 5-6)