Voyage à travers les villes et régions sous contrôle des  hommes de Bozizé


Les provinces centrafricaines à l'heure rebelle

AFP,  Entre Sido et Bouca (RCA), 10 décembre 2002 - Partout le même spectacle au nord de la Centrafrique: des véhicules tout-terrain, chargés de rebelles, traversent en trombe villages et bourgades sous leur contrôle dans un nuage de poussière, sous le regard curieux d'habitants misérables.
Dans l'histoire politico-militaire très agitée de la République centrafricaine (RCA), jamais les troubles n'avaient franchi les faubourgs de la capitale.

Aujourd'hui, les rebelles de l'ancien chef d'état-major centrafricain, le général en exil François Bozizé, occupent des pans entiers du pays, mis sous leur contrôle au fur et à mesure qu'ils se repliaient de Bangui, après leur tentative de coup d'Etat du 25 octobre contre le président Ange-Félix Patassé.

Une succession de hameaux, comme figés dans le temps, jalonnent la "route nationale", une étroite piste de terre ravinée par les pluies, qui relie le Tchad à Bangui, à 600 km plus au sud.

Ce sont des alignements monotones de cases de briques de boue sêchée, aux toits de paille, avec pour tout mobilier des lits traditionnels de branchages recouverts de matelas en sac de riz, une ou deux marmites pour la cuisine.

Cabris, poules et cochons gambadent sur la terre battue au milieu d'enfants en guenilles. Ces paysans survivent en autarcie, grâce à leurs plantations et leurs animaux, et semblent bien loin des préocuppations de la capitale.

Au passage des rebelles, des regards curieux surtout, parfois des sourires et des mains qui s'agitent. Le convoi fait halte au niveau du marché de Batangafo, une petite ville de 10.000 habitants. Circonspects, les badauds finissent par parler.

"Au début, les gens ont fui. Beaucoup de paysans dorment encore en désordre par terre dans leurs champs parce qu'il n'y a pas la paix", explique un vieil homme au costume élimé. "On ne sait pas ce qui se passe. Il n'y a plus de piles pour écouter la radio", témoigne un jeune.

Lorsqu'ils ont vu les rebelles piller les bâtiments administratifs à la recherche d'argent, d'armes ou de carburant, les habitants de Batangafo ont pris peur. "Mais ils ont laissé les gens tranquilles, alors beaucoup sont rentrés", raconte un commerçant.

Aucun camion, aucune voiture n'est passée ici depuis deux mois. Le sel, le sucre et le savon font défaut. Les rebelles ont emporté les médicaments. Et comme tout les fonctionnaires, y compris de santé, ont fui, "il y a des mamans qui meurent pendant l'accouchement".

Les uns se disent "aux côtés de Bozizé", les autres plus prudemment "apolitiques" ou "pour la paix". "Nous sommes comme des moutons. Nous voulons manger. A côté de tel ou tel, nous voulons manger", résume un jeune homme.

Même atmosphère plus au sud, à Bouca, sous-préfecture de 20.000 habitants au vieux charme colonial, plantée de grands arbres ombrageux.

Tout symbole de l'Etat y a également disparu. Plus de maire, député, gendarmes ou sous-préfet. Les bureaux sont ouverts aux quatre vents.

En progressant à travers le pays, fin octobre, pour attaquer Bangui, les rebelles ont pris soin de neutraliser les hommes en armes et les radios émettrices, pour éviter que l'alerte soit donnée. Ils assurent avoir laissé partir librement tous ceux qui le désiraient.

Un imam local ne s'en plaint guère: "Le sous-préfet tracassait beaucoup les commerçants musulmans. Il menaçait, faisait payer toutes sortes de patentes".

Pendant la pause, les rebelles se sont égayés à travers la rue centrale pour manger des grillades, boire du café ou du thé, payant de leur poche. D'autres ont reçu ordre de se tapir dans les herbes, en position d'alerte.

Deux officiers rebelles se reposent, assis sur des urnes électorales sorties des bureaux de la sous-préfecture. "Ce sont les urnes que Patassé a bourrées pour se faire élire président en 1999. On l'avait même aidé pour ça", s'amuse l'un d'eux.


Tchad-Centrafrique, morne frontière après un an de tensions

AFP, Sido (RCA),  09 décembre 2002 - La frontière tchado-centrafricaine connaît un répit après un an de tensions depuis que les rebelles centrafricains de François Bozizé occupent tout le nord de la RCA, d'où ils ont chassé les miliciens envoyés par le régime de Bangui pour sécuriser la région.
Les autorités tchadiennes, accusées par Bangui, démentent soutenir les partisans de l'ancien chef d'état-major centrafricain, le général Bozizé, qui avait fui la capitale centrafricaine après une première épreuve de force, en novembre 2001, pour se réfugier au Tchad. C'est aussi ce général qui a revendiqué la tentative de coup d'Etat du 25 octobre 2002 à Bangui.

Sarh, dernière grande ville du sud tchadien avant la Centrafrique. Le préfet Mahamat Nimir Hamata reçoit en boubou, à l'ombre d'un arbre. "Il y a un an, quand les partisans de Bozizé se sont réfugiés dans le nord de la RCA (République de Centrafrique), nous avons renforcé notre dispositif de sécurité à la frontière", explique-t-il.

Mais "c'est un dispositif défensif et nous n'avons jamais envoyé de chars à la frontière pour attaquer la RCA", ajoute le préfet, démentant des accusations du régime centrafricain.

Deux heures de piste séparent Sahr de Moyenne Sido, le bourg-frontière tchadien avec la RCA, situé dans le "grenier du Tchad". Villages de cases rondes. Savanes, champs de coton, de canne à sucre, de mil. Planteurs chrétiens, éleveurs et commerçants musulmans.

On croise parfois des troupeaux de boeufs et leurs bergers armés d'arcs, des cavaliers arabes-tchadiens, sabre en bandoulière ou sagaie à la main.

Mais il faut attendre la frontière, à Moyenne Sido, pour rencontrer les premiers et derniers militaires tchadiens. Une quinzaine d'hommes campent à l'écart du bourg. Deux véhicules auto-mitrailleurs sont garés en bordure du camp. Contrôle courtois et voeux de bon voyage.

Pour arriver en Centrafrique, on franchit un petit pont au bout duquel on peut lire sur une pancarte l'inscription à la main: "RCA".

Nul douanier ou militaire centrafricain à l'horizon. Juste le silence bientôt troublé par le ronflement approchant d'un moteur. Un pick-up hérissé de jeunes hommes en armes aux tenues dépareillées apparaît.

A Sido, cent mètres plus loin, se trouve le premier quartier général des partisans de Bozizé. Celui qu'ils ont établi après leur fuite de Bangui en novembre 2001.

Un homme dans la trentaine déclenche des garde-à-vous spontanés sur son passage: Francis Bozizé, fils du général, organise la logistique de la rébellion.

Une petite centaine d'hommes, certains enturbannés, mangent de la viande braisée et s'apprêtent une nouvelle fois à bivouaquer sous les étoiles, dans la fraîcheur d'une nuit d'harmattan.

"C'est vrai qu'il y a des Tchadiens parmi nous", explique Francis Bozizé, qui a regagné la RCA il y a trois ans, après vingt ans en France, dont deux au sein de l'armée. "Mais c'est (Ange-Félix) Patassé (président centrafricain) lui-même qui les a recrutés à Bangui pour nous combattre. Ils nous ont ensuite rejoints". Ils sont au nombre de 57, expliquera plus tard un officier rebelle.

Il s'agirait d'ex-miliciens d'Abdoulaye Miskine, colonel centrafricain selon Bangui, ancien rebelle tchadien pour N'Djamena, que le président Patassé avait chargé de sécuriser en décembre 2001 la frontière nord de la RCA.

La présence à cette frontière des partisans de Bozizé et des hommes de Miskine, aujourd'hui éloigné au Togo, a suscité une vive tension entre Tchad et RCA pendant un an, marquée par des accrochages et des accusations réciproques d'incursions militaires.

Les miliciens de Miskine semblent aujourd'hui volatilisés. Les rebelles de Bozizé disent les avoir chassées fin octobre, en progressant vers Bangui pour leur tentative de coup d'Etat.

Kabo, l'ancien fief de Miskine, ressemble à un village fantôme. Certaines cases ont été brûlées. Sur environ 50 kilomètres, les villages longeant la route ne semblent plus peuplés que de cabris et de poules.

"Les paysans sont aux champs et reviennent le soir", affirme un rebelle. "Ce sont les villages des gens de Miskine. Si on trouve un homme ici la nuit, on l'abat", confie un autre.


Actualité Centrafrique de sangonet - Dossier 13