Ce que je pense : Quelle génération d'hommes politiques centrafricains pourra-t-elle sauver le pays des eaux ? (Le Citoyen N°1542 du vendredi 24 janvier 2003, pp 2-12)
Je ne comprends pas que les Centrafricains ne comprennent pas que le problème centrafricain pourrait bien être un problème de générations. Bien évidemment, pour certains la question de la génération serait l'arbre qui cache la forêt de la stratification de la société centrafricaine en "classes d'âge", de l'exclusion d'une partie de la société au nom de la durée ou de la "fossilisation", du sectarisme et de la discrimination politique et sociale. Normal qu'ainsi perçu, la question de "I'émergence d'une nouvelle classe politique" ou du renouvellement de la classe politique centrafricaine puisse achopper sur les faux-débats du "rajeunissement de la classe politique" qui n'est pas forcément synonyme de "renouvellement de la classe politique". Le second concept induit une dynamique sociopolitique plus large qui implique l'apport d'une "nouvelle race" d'hommes politiques, de nouvelles idées, de nouveaux comportements, de nouvelles méthodes de gestion et de gouvernance qui s'adaptent aux exigences de la modernité qui appelle la technicité, l'expertise avérée, le professionnalisme, la transparence, la compétitivité, la communication et une exigence morale au-dessus du soupçon.
A l'évidence, les "dinosaures", les "tyrannosaures" et autres "arché-démocrates" centrafricains se sentent souvent visés par le "complot de l'exclusion" ourdi par des intellectuels dont on dit qu'ils seraient des "illuminés" qui prennent leurs fantasmes pour la réalité. Mais la réalité sur laquelle personne ne peut sauter les pieds joints comme sur un feu ardent, c'est que de l'indépendance à nos jours, toute une "génération" d'hommes politiques et surtout de dirigeants politiques civils et militaires se sont plutôt largement illustrés par leur nanisme en matière d'idées, par leur comportements nihilistes, égoïstes, prédateurs, ravageurs et de façon générale par la "mauvaise gouvernance" que certains voudraient situer l'origine en remontant le cours du temps et en indexant le régime dictatorial de Bokassa comme la source de toutes les dérives du pays. Comme s'il est permis d'expliquer les "causes" de ce qui nous arrive par leurs "effets". Une grossière tentative de "dédouanement" dont la source ne peut-être qu'une masturbation intellectuelle de la part de ceux qui ont souvent tendance à ne pas reconnaître leur responsabilité quand ils ont échoué sur toute la ligne.
Une génération de "gérants de l'indépendance nominale" a bien échoué à l'image du président Patassé qui offre le plus bel exemple de dérive d'une génération, mais elle refuse obstinément de faire son "mea culpa" continuant de pointer du doigt le "nihilisme" des Centrafricains qui n'est en fait que la conséquence d'un "trop-plein" de frustration et de déception. Mieux, on pense même que la communauté internationale doit porter à elle seule le fardeau des problèmes centrafricains comme si c'est cette communauté qui est responsable de notre irresponsabilité légendaire, de notre médiocrité avérée et de notre manque de sérieux sur tous les plans.
Aujourd'hui, la vérité c'est qu'une génération d'hommes politiques, toutes tendances confondues, est sur le déclin parce que essoufflée, sans idées novatrices, sans initiatives et surtout sans "projet" pour un peuple et une nation qui dépérissent au quotidien malgré l'étendue de leurs richesses naturelles qui ne demandent qu'à être mises en valeurs par des "hommes inventifs" et soucieux du développement harmonieux de leur pays. Au lieu de cela, depuis toujours en dépit de quelques îlots de patriotisme, l'élite politique complètement dévoyée s'est toujours illustrée par son égoïsme, son égocentrisme, sa cécité et son peu d"empressement à prendre en compte l'intérêt supérieur de la nation et à soigner l'image de marque d'un pays devenu aujourd'hui la risée de toute la communauté internationale.
Mais au-delà de cette forfaiture de l'élite dirigeante, y a-t-il en préparation une "génération montante" capable de relever le défi et de corriger dans la "praxîs", c'est-à-dire dans la totalité de l'activité sociale, politique, économique, culturel, éthique... les erreurs et sinon les fautes graves de ceux qui ont conduit droit la nation vers le tombeau? Si cette "génération" existe, comment peut-on l'identifier? Comment se comporte-t-elle et quelles sont ses marques à travers des idées novatrices, des projets novateurs et une ligne de conduite pleine de promesses? Ce sont là des questions de fond dans un pays où l'élite politique est plutôt besogneuse et encline à se faire l'otage de "valeurs refuges" que sont le tribalisme, la fidélité au parent-président, le népotisme, le mercantilisme et tout ce qui en découle comme la corruption, le gain facile et les trahisons multiples au nom d'intérêts toujours alimentaires qui ne dépassent guère le niveau d'un certain "nombrilisme" qui infantilise d'ailleurs très largement la classe politique centrafricaine en miettes non pas au nom de la démocratie mais au nom de la "mangeaille". Ô sacrilège ennemi! Ô génération maudite!...
La crise centrafricaine vient de ce que, au lieu que les générations se succèdent et fassent chacune preuve de leur génie, de leur talent, de leur savoir, de leur savoir-faire au service de la nation, elles s'interpénètrent négativement en se neutralisant dans un immobilisme intellectuel, idéologique, politique et moral. Tout se passe comme selon l'adage qui dit: "Tel père, tel fils"... mais malheureusement, tous nos "pères politiques", en dehors de la très haute stature de Barthélemy BOGANDA, n'ont pas toujours donné l'exemple de l'esprit de sacrifice, de l'abnégation, du patriotisme non démagogique et de la vitalité politique au service de la "cause commune" qui n'a pas de commune mesure avec les intérêts de la région, du village, de l'ethnie, du clan, des partis politiques même sans représentation nationale et de la carrière personnelle de l'élite politique toujours en déphasage par rapport aux vraies aspirations du peuple oublié.
Les chances de l'émergence d'une génération consciente de ses responsabilités sont si minces que les tirs au flanc sont la spécialité de l'élite politique d'hier et d'aujourd'hui démesurées de gloutonnerie, de trahison et de "castration doctrinaire", et intellectuelle. Quelle génération, sacré Dieu! ...
Certes, une génération vieillissante a donné ce qu'elle a pu même si le résultat est largement négatif (l'Etat du pays est là pour l'attester), mais devons-nous continuer de l'accompagner dans ses échecs quand la voix de la raison nous appelle au "sursaut patriotique" ? ...
Question intéressante a laquelle le dialogue national (DN) pourrait peut-être répondre...
Le Citoyen N°1542 du vendredi 24 janvier 2003, pp 2-12