BANGUI, 22 mai 2003 (AFP) - 17h22 - Dépourvu de moyens malgré les énormes richesses potentielles du pays, le nouveau pouvoir centrafricain issu du coup d'Etat du 15 mars hérite d'une situation catastrophique et doit faire face à une tâche titanesque
Vingt-cinq années de chaos politique et militaire ont ruiné le pays et imposé comme normaux, à tous les niveaux de la société, des comportements incompatibles avec la gestion saine d'un Etat.
"L'Etat a un déficit d'autorité. Les structures, les cadres règlementaires existent mais ne sont pas respectés", constate Joseph Kamach, "patron des patrons" centrafricains.
Ce qui est vrai pour les affaires - la nécessaire restauration de l'autorité de l'Etat à travers notamment la reprise en main des régies financières -, l'est tout autant pour le contrôle des frontières ou la sécurité des citoyens: il y a belle lurette que Bangui n'a pas les moyens de contrôler l'ensemble d'un pays faiblement peuplé (3,8 millions d'habitants) mais plus vaste que la France.
D'où le champs libre laissé, dans les régions frontalières, aux braconniers "industriels" des pays voisins, aux fraudeurs en tous genres, ou la difficulté de venir à bout des "zaraguinas" (coupeurs de route) sans une remotivation et une restructuration vigoureuses des forces de sécurité.
Déjà peu développée, l'industrie a subi de nouvelles destructions à chaque coup de force militaire. Désormais réduite à la portion congrue (une brasserie, une fabrique de cigarettes et une d'huile de palme, une sucrerie), elle est le pendant d'un secteur agricole abandonné malgré d'excellentes conditions de production.
Peut-être mieux que tout autre, un chiffre symbolise cet état de délabrement de la Centrafrique: sous Jean-Bedel Bokassa (1965-1979), conspué par les Occidentaux pour ses frasques grandiloquentes et ses dernières années sanglantes au pouvoir, le taux de scolarisation était de 85%. Selon les Nations Unies, il était en 2002 de 43%.
En matière de santé, la situation est tout aussi préoccupante. Pour se cantonner au sida, la RCA a le triste privilège du taux de séropositivité le plus élevé d'Afrique centrale, supérieur à 15%.
Où que l'on se tourne en matière d'infrastructures -routes, eau, électricité, etc...-, le bilan est identique, aggravé par les combats de ces derniers mois qui ont dévasté le nord et le nord-ouest du pays.
Même la Poste n'est plus qu'une coquille vide. "Ses employés l'on tuée: personne ne veut plus leur confier ni argent, ni colis", assure un ministre.
"Le problème n'est pas ce qui reste, mais comment relancer la machine", dit M. Kamach. "On dit que c'est un pays riche, mais hormis le bois, toutes ses richesses (diamant, or et minerais rares, coton et café) dépendent des cours mondiaux".
"Il faut que l'Etat apprenne à juguler la fraude à tous les niveaux, qu'il développe les notion de citoyenneté, de civisme", estime le patron du plus grand groupe privé centrafricain (2.000 salariés). "Il faut que les entrepreneurs donnent de la richesse à l'Etat pour que ce dernier nous la retourne à travers les salaires et les investissements".
"Il faut changer les mentalités", renchérit Me Nicolas Tiangaye, président de la Ligue centrafricaine des droits de l'homme (LCDH). "Pour certains, le 15 mars, ça veut encore dire que c'est le moment de voler à leur tour et de remplacer les voleurs rassasiés".
Dans l'immédiat, le pays devra compter sur ses propres forces malgré la tournée d'explication que vient d'effectuer son premier ministre à Paris et à Bruxelles: il faudra des actes pour convaincre les bailleurs de fonds, échaudés par des années de gestion erratique.