Insécurité et quadrature de cercle en Centrafrique - Le président Bozizé lance un appel à l'aide


M. Bozizé désigne les commandants militaires provinciaux

Nations Unies (IRIN), 21 mai 2003, 07:20:02 -  Pour améliorer la sécurité dans toute la République centrafricaine (RCA), le nouveau dirigeant du pays, François Bozizé, a désigné mardi les commandants de sept régions militaires, selon la station d’État Radio Centrafrique. Ces nominations ont été faites à la suite d’informations émanant surtout de travailleurs humanitaires, indiquant que des voleurs armés rôdaient dans une grande partie du pays depuis le 15 mars, date à laquelle M. Bozizé a évincé par un coup d’État le président de l’époque, Ange-Félix Patassé.

Dans les nominations de mardi, M. Bozizé, qui est aussi ministre de la Défense, a conservé Antoine Gambi comme chef d’état-major de l’armée centrafricaine.

 

CENTRAL AFRICAN REPUBLIC: Bozize appoints provincial military commanders

BANGUI, 14 May 2003 UN (IRIN) - In efforts to improve security across the Central African Republic (CAR), new CAR leader Francois Bozize on Tuesday appointed commanders for the seven military regions in the country, government-run Radio Centrafrique reported.

The military appointments follow those of governors for the 16 CAR provinces in April. However, several of the provincial governors, especially those posted to the north of the country, which was affected by six months of fighting between government and rebel troops from October 2002 to March 2003, have yet to report to their stations.

Tuesday's appointments were made following reports, mainly from humanitarian workers, that armed robbers had been roaming most of the CAR countryside since 15 March when Bozize ousted the then president Ange-Felix Patasse in a coup.

According to recent humanitarian missions to the north of the CAR, no military or administrative officials have reported to their stations to date, and this has discouraged thousands of people who were displaced by the fighting from returning home.

In Tuesday's appointments, Bozize, who is also the defence minister, retained Antoine Gambi as the CAR army chief of staff.

Since taking power, Bozize has dissolved a battalion that was responsible for Patasse's protection, and created an amphibious battalion and other units. He has also reinstated in the army and appointed to key positions former army officers who had been sentenced in absentia in August 2002 in connection with the 28 May 2002 coup attempt by former president Andre Kolingba. Bozize has also granted amnesty to all those who had been convicted in relation to the coup attempt.

Meanwhile, one of the leaders of the 1996-7 mutinies against Patasse, Cyriaque Soucket, has returned to the CAR and declared his support for Bozize. Speaking on Radio Centrafrique on Tuesday, Soucket urged all CAR people "to support the transitional process" instituted by Bozize.

Soucket led the first mutiny in 1996, three years after Patasse's democratic election. The mutiny ended after an accord with the government. Soucket then went into exile until his return on 1 May.

http://www.irinnews.org/print.asp?ReportID=34087


Le président centrafricain à la France: "il faut nous aider"

PARIS, 20 mai 2003 (AFP) - 19h28 - Le chef de l'Etat centrafricain François Bozizé a lancé dans le quotidien français "Le Monde" paru mardi un véritable appel à l'aide à la France en déclarant: "Nous sommes au fond du gouffre, il faut nous aider".

"Depuis une décennie, les médiateurs et contingents d'interposition -français, africains, onusiens...- se sont succédé chez nous. Nul n'ignore que nous sommes au fond du gouffre!", a-t-il assuré.

"Nous pensons d'abord à la France, notre amie de toujours, qui ne nous a jamais fait défaut dans les moments difficiles. (...) J'ai écrit au président Chirac, qui a bien voulu maintenir à Bangui les 300 soldats français venus pour évacuer leurs ressortissants. J'espère qu'ils resteront pour, d'une part, soutenir le contingent d'interposition de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cemac) et, d'autre part, pour réorganiser notre armée nationale", a-t-il ajouté.

Le général Bozizé est, parvenu au pouvoir en Centrafrique le 15 mars dernier à la faveur d'un coup d'Etat.

Il s'est autoproclamé "président de la République" au lendemain d'un coup d'Etat éclair déclenché en l'absence du président élu, Ange-Félix Patassé.


Deux mois après le changement de régime, l'insécurité menace la "transition" à Bangui
Le Monde, édition diffusée le 20 mai 2003

Le nouveau pouvoir cherche le consensus mais ne parvient pas à maîtriser ses partisans armés.

Ce n'est peut-être pas la fin de l'état de grâce, deux mois après la "libération", mais c'est une mise en demeure pour que cesse, enfin, l'insécurité que font régner à Bangui les "patriotes"qui ont porté au pouvoir le général François Bozizé. D'autant que ces "patriotes" sont, parfois, des combattants tchadiens que l'ex-chef d'état-major a enrôlés pour renverser le président Ange-Félix Patassé, lequel, pour défendre son régime, avait lui-même fait venir des combattants du Congo-Kinshasa voisin, coupables des pires exactions à l'égard de la population centrafricaine...

Lundi 19 mai, pour dénoncer le "racket" des "libérateurs", les chauffeurs de taxi et de minibus ont entamé une grève de 48 heures, qui a paralysé Bangui. En même temps, dans des rues abandonnées aux cyclistes et piétons, les avocats centrafricains ont organisé une marche symbolique jusqu'au ministère de la justice, pour protester contre les méfaits de "certains éléments tchadiens et centrafricains incontrôlés". Ils ont sommé les nouvelles autorités à "prendre des mesures énergiques" pour mettre un terme aux abus, qui vont du "pillage" aux "humiliations" que constituent les corrections infligées aux civils, sur la voie publique, par des hommes en armes.

La société civile entend ainsi faire valoir ses droits d'avoir transmuté le coup de force du général Bozizé en une "insurrection populaire", pour mettre fin à l'arbitraire. Elle entend rappeler à l'ancien chef d'état-major de l'armée, qui a pris le pouvoir le 15 mars, que son accession à la tête de l'Etat n'aurait rien de légitime, si elle n'était due qu'à la force des armes.

Pour avoir longtemps subi la terreur du "colonel Mustapha", le chef des combattants congolais ayant sévi à Bangui sous le défunt régime, les habitants de la capitale centrafricaine sont bien décidés à ne plus se laisser faire. "On ne s'est pas débarrassé des Congolais pour souffrir maintenant des Tchadiens", a expliqué un chauffeur de taxi, qui s'était fait braquer, samedi, sur l'un des nombreux barrages "improvisés". Signe des temps qui, tout de même, ont changé : le nouveau ministre de la communication, le colonel Mbaye, a donné instruction aux médias d'Etat d'interviewer les grévistes sur les ondes nationales...

Après avoir chassé du pouvoir le fantasque Ange-Félix Patassé, exilé au Togo, le général Bozizé saura-t-il se défendre de ses encombrants alliés d'hier, moins "libérateurs" que pillards ? Ayant échappé à une tentative d'arrestation, le 25 octobre 2001, François Bozizé s'était enfui de Bangui avec 56 fidèles. Dix-sept mois plus tard, il y est rentré victorieux, à la tête d'une force "descendue" du Tchad, d'où un tiers des effectifs - et pas les moins combattants - sont originaires.

GOUVERNEMENT D'UNION

Le général-président est conscient de cette tache d'ombre sur sa victoire et, aussi, du fait que seuls les dividendes de la paix pourront pacifier son pays en réconciliant militaires et civils. Dans ce contexte, son appel à une aide militaire de la France est un appel au secours.

Peu expansif, économe de ses gestes et paroles, le nouveau chef de l'Etat centrafricain a, jusqu'ici, plutôt bien manœuvré. Loin de toute chasse aux sorcières, il a embarqué l'ensemble de la classe politique au sein d'un gouvernement d'union, dirigé par Abel Goumba, l'éternel opposant de 76 ans, qui sert d'icône à une "transition consensuelle". Le premier ministre coiffe aussi un superministère de l'économie, des finances, du budget et du plan. Le chef de l'Etat, seul apte à faire rentrer dans les rangs - ou repartir au Tchad - ses frères d'armes, cumule le portefeuille de la défense.

A Bangui, où de nombreuses armes restent disséminées, une force régionale de paix de 350 soldats d'Afrique centrale, de même que 300 militaires français initialement dépêchés sur place pour l'évacuation des ressortissants étrangers attendent qu'on leur précise leur mandat. Et s'il consistait, dans un premier temps, à participer à des patrouilles mixtes pour sécuriser la capitale ?

Stephen Smith


Général François Bozizé, président de la République Centrafricaine : interview
Le Monde, édition diffusée le 20 mai 2003 - Bangui, de notre envoyé spécial

"Nous sommes au fond du gouffre, il faut nous aider".

Vous avez pris le pouvoir dans une capitale qui a connu trois mutineries et quatre coups d'Etat en sept ans - et autant de pillages. A quelle situation devez-vous faire face ?

A la situation dramatique d'un pays qui, depuis tant d'années, n'a vécu que des soubresauts. Cette situation est connue du monde entier. Depuis une décennie, les médiateurs et contingents d'interposition - français, africains, onusiens... - se sont succédé chez nous. Nul n'ignore donc que nous sommes au fond du gouffre ! Tout est urgence ici ! Dans l'immédiat, nos deux priorités sont la sécurisation de la ville de Bangui, puis de l'arrière-pays, et le paiement de la fonction publique qui, selon les catégories, a cumulé des arriérés allant jusqu'à 30 mois de salaires.

On parle beaucoup d'aide "post-conflit". Que pouvez-vous espérer ?

Le premier ministre est parti en tournée d'explications en Europe, pour faire comprendre qu'il ne s'agit pas d'un énième putsch pour accaparer le pouvoir mais d'une tentative désespérée de sauver notre pays. Nous avons un besoin vital d'aide. Il faut voler au secours de la République centrafricaine avant qu'il ne soit trop tard. Y a-t-il besoin de nouvelles "missions d'évaluation", alors que notre misère crève les yeux ? Je crois qu'il n'y aurait aucune excuse pour la communauté internationale si elle devait tarder à nous venir en aide.

Qu'attendez-vous, en particulier, de la France ?

C'est vrai que nous pensons d'abord à la France, notre amie de toujours, qui ne nous a jamais fait défaut dans les moments difficiles. Je l'ai dit : la situation de nos finances publiques est désespérée. Mais, aussi, la sécurisation du pays est une tâche urgente. Il faut entièrement réorganiser notre armée, nos forces de police et de gendarmerie. Pour ce qui est de l'armée, il faut intégrer quatre composantes : les Forces armées centrafricaines (FACA) que le défunt régime a totalement démobilisées en faisant appel à des mercenaires, dont le capitaine Barril [ex-gendarme et numéro deux de la "cellule terroriste" à l'Elysée, sous François Mitterrand] et ses hommes ; l'ancienne garde présidentielle, près d'un millier de soldats ; les ex-mutins, environ 800 hommes, qui viennent de rentrer au pays à la faveur d'une amnistie ; enfin, les quelque 1 300 patriotes en armes qui viennent de libérer le pays et qui n'ont souvent aucune formation militaire. Toutes ces forces doivent être brassées, équipées et redéployées sur l'ensemble du territoire.

La tâche est ardue, nous avons besoin de la France. J'ai écrit au président Chirac, qui a bien voulu maintenir à Bangui les 300 soldats français venus pour évacuer leurs ressortissants. J'espère qu'ils resteront pour, d'une part, soutenir le contingent d'interposition de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cemac) et, d'autre part, pour réorganiser notre armée nationale.

Quelles sont les relations avec le Tchad, qui veille à la sécurité de sa frontière méridionale, près de ses gisements pétrolifères dont l'exploitation doit débuter cet été ?

Le Tchad m'avait accordé l'asile, et c'est moi-même qui ai sollicité l'aide de son armée pour mettre fin aux pillages à Bangui. Depuis, les soldats tchadiens sont repartis ou ont été intégrés dans les forces de la Cemac. Nous nous sentons libres de nos décisions.

Quelle est votre ligne de conduite pour la "transition", le retour à un ordre légal ?

Nous cherchons le consensus le plus large et, pour cela, nous avons fait monter dans le char de l'Etat toutes les forces de la nation. Nous avons formé un gouvernement d'union où toutes les sensibilités sont représentées, même le parti au pouvoir sous le défunt régime. Il en sera de même au sein du Conseil national de transition, qui tiendra lieu d'organe consultatif et qui sera mis en place avant la fin du mois. J'ai ainsi voulu donner des gages à mes compatriotes et à la communauté internationale pour qu'ils ne pensent pas que je suis venu pour m'imposer. Je suis venu pour trouver, dans la concertation, la solution pour faire redémarrer le pays.

Dans quels délais comptez-vous organiser des élections ?

Tout dépend de la communauté internationale, et de l'aide qu'on veut bien nous apporter. Nous ne voulons pas organiser des élections pour des élections, mais pour refonder la démocratie en Centrafrique. Pour cela, il faut des bases solides qui permettront au futur pouvoir élu de gouverner, d'appliquer son programme. Il faut la sécurité, un minimum de remise en état. Il ne suffit pas de bricoler, sous peine de voir le désordre revenir et emporter l'Etat. Voilà notre but. Si on nous aide massivement, on pourra l'atteindre même dans les dix-huit mois. En revanche, si l'aide se fait attendre, l'échéance ne peut que s'éloigner, compte tenu de notre dénuement. Il faut bien comprendre : pour mettre fin à l'assistanat permanent, il faut agir maintenant pour rasseoir l'autorité de l'Etat. C'est tout l'enjeu de la transition.

Serez-vous candidat à la prochaine élection présidentielle ?

On ne cesse de me poser la question, qui n'est pourtant pas d'actualité. Pire, y répondre d'une façon ou d'une autre, cela reviendrait à introduire un facteur de déstabilisation dans la transition en cours. Je m'en tiens donc à ceci : je me suis fixé pour objectif de contribuer au changement - ce qui est fait - et de mener à bien la transition - ce qui reste à faire. Après, on verra. Mon souci, c'est la réussite de la transition. Son échec serait une catastrophe pour la Centrafrique.

Propos recueillis par Stephen Smith. Bangui de notre envoyé spécial


Actualité Centrafrique de sangonet - Dossier 16