Pourquoi un changement de garde serait nécessaire en Centrafrique
Introduction:
Le Général François Bozizé et d’autres jeunes centrafricains qui avaient été à l’Ecole Spéciale de Formation des Officiers d’Active (ESFOA) de Bouar avaient dû étudier des sujets au programme, tels l’organisation d’une armée, le rôle du chef d’état major, l’autorité du président de la république sur l’armée, l’importance du maintien de la discipline militaire, le principe de neutralité politique d’une armée nationale, etc. Et pour assurer à ces jeunes conscrits une formation complète, au sens large du terme, les officiers français qui dispensaient les cours au sein de cette noble institution avaient certainement saisi une occasion ou une autre pour parler à leurs poulains de l’importance de la Constitution dans l’organisation des affaires d’un pays. A moins que la Constitution ait été délibérement écartée du programme de formation sur les recommandations du fondateur de ladite l’école, qui aurait considéré parler ou débattre de la Constitution n’être autre chose que de la subversion, passible de peine de prison, de peine de mort ou d’une toute autre peine, selon ses humeurs et les circonstances.
1. La Mission de l’Armée Nationale:
Si le sujet du rôle fondamental de la Constitution ne figurait pas au programme de formation à l’ESFOA, cela expliquerait peut-être l’inadéquation des décisions importantes et l’absence d’une vision civique et d’une conscience morale qui avaient caractérisé la conduite par ces officiers militaires des affaires de l’état centrafricain. Tous avaient manqué de saisir l’occasion pour instiller dans les esprits, le souffle d’un véritable développement de la Centrafrique. Chacun de ces officiers avait eu une vue très limitée des notions d’organisation administrative d’un état et de développement social. La preuve est qu’aujourd’hui encore le Général François Bozizé croit et fait la démonstration que l’organisation civile de la société centrafricaine devrait fonctionner sur le modèle d’une armée nationale centrafricaine qui n’a plus de principe, ni de morale, ni d’âme, faute d’un leadership adéquat qui avait manqué à cette armée nationale depuis les assassinats de ses officiers les plus méritants. Les mutineries et les coups d’état en Centrafrique étaient également la démonstration d’un modèle décadent d’une éducation militaire et civique qui n’avait plus de mérite dans une société qui se voulait démocratique. Le citoyen est tout à fait convaincu que les officiers et soldats de cette armée centrafricaine avaient, chacun, oublié les termes réels de la mission dévolue à une armée dite nationale. Il y a 40 ans (ce n’est pas si vieux que cela) la mission de l’armée nationale avait été (je devine) de protéger la Constitution de la République qui venait de naître, de défendre l’intégrité du territoire et la nation contre l’ennemi, et de participer à l’oeuvre de construction du pays. Aujourd’hui tout cet idéal s’est envolé parce que les officiers supérieurs de l’armée centrafricaine en avaient tour à tour fait une armée de Ngbaka, de Yakoma, de Kaba, puis de mutins, et enfin de mercenaires de tout poil. L’on s’était rapidement rendu compte que l’armée nationale, détournée de sa mission originale, était une armée destinée à orchestrer des coups d’état et non à garantir l’ordre et le droit, et, une armée destinée à terroriser les citoyens et non à les protéger. Ne pensez-vous pas qu’après avoir amnistier les militaires pour courage et loyaux services rendus à la nation centrafricaine, pour tous les sacrifices en vies humaines, et pour les pillages, Bozizé devrait aussi songer à ériger un monument pour rendre honneur à ces héros nationaux? Où sont donc parties les valeurs militaires telles l’intégrité, la valeur et le courage qui avaient été prêchées à l’ESFOA, à l’Ecole Militaire des Enfants de Troupe (EMET) et dans d’autres institutions militaires de pays amis? Elles se sont émoussées. Qui sont donc ces officiers centrafricains qui, un jour, raviveraient ces valeurs?
2. Cette Nouvelle Classe de Mercenaires Africains:
Revenons encore au Général Bozizé. Pourquoi était-il entré en dissidence et avait pris la route de l’exil sous les régimes de Bokassa puis de Kolingba? Il nous avait semblé comprendre que le Général Bozizé avait des critiques à faire aux régimes de Bokassa et de son frère d’armes Kolingba. Mais quelles étaient donc réellement ses critiques? Comme celui-ci n’a jamais écrit de mémoire, ni établi un compte-rendu des ses doléances ou griefs, l’on ne saura peut-être jamais de quoi ils retournaient. Après moult cabales, évasions et autres, l’on se demanderait bien quelles leçons le Général Bozizé avait tiré de toute son expérience militaire et politique. De prime abord, pas grand chose. Et l’on pourrait même avancer, sans commettre de grands écarts, que le Général Bozizé fait aujourd’hui ce que hier il avait reproché aux deux autres que j’avais nommés plus haut. En plus de suspendre la Constitution, l’assemblée nationale et la cour suprême de l’état, le Général Bozizé avait fait mieux; il avait fait appel à des mercenaires étrangers et des bandits de grand chemin pour l’aider à prendre le pouvoir à Bangui. C’était un fait militaire sans précédent dans l’histoire de la République Centrafricaine. Hier Patassé, avait lui aussi eu besoin des forces lybiennes et des rebelles de Jean-Pierre Bemba pour se maintenir au pouvoir. Vous observerez que l’élève va bien à l’école pour, un jour, faire mieux que ses maîtres, n’est-ce pas! Le peuple devrait se demander si c’était réellement dans les intérêts du pays que Patassé et aujourd’hui Bozizé avaient conclu ces pactes avec ces conquérants étrangers qui étaient venus opprimer le peuple centrafricain. La réponse à ce simple questionnement devrait donner, sans ambigüité, la véritable mesure de ces hommes qui avaient gouverné la Centrafrique, et en particulier, de celui qui prétend aujourd’hui être le libérateur et serviteur des intérêts du pays.
3. Ces Hommes et leurs Ambitions:
Depuis très longtemps déjà, le Général Bozizé avait rêvé d’être le locataire du Palais de la Renaissance à Bangui. On pourrait le lui accorder, toutes ces années, depuis l’époque de Bokassa, avaient été celles de sa longue marche. Et comme il n’aurait jamais pu arriver à ses fins de manière légitime et démocratique, il avait alors décidé de prendre le maquis, puis de chasser Patassé du pouvoir, et enfin, d’établir sa nouvelle dictature en Centrafrique. Le peuple, fatigué de la cupidité et de la stupidité de Patassé (comme de ses prédécesseurs), était prêt à accepter toute personne qui se présenterait en libérateur. Même si ce libérateur devait apporter avec lui le diable en personne ou tous les hors-la-loi que le pays avait connu. C’était chose faite. Il y a eu des hésitations légitimes de tous les bords. A la fin la Cemac, la Communauté Européenne et les autres avaient décidé d’accorder l’absolution au Général Bozizé sur la base de ce que ce que l’on pourrait appeler le principe du fait accompli, qui a rien à voir avec la démocratie, la justice, le respect des droits de l’homme, le développement, etc. Ce faisant, ces dignes institutions avaient oublié qu’elles foulaient ainsi aux pieds ces mêmes principes qu’elles prônaient. Elles avaient dû se dire que faute de candidat valable à la tête de l’état centrafricain, il était juste d’immoler ces principes et de célébrer, à l’occasion, le départ de Patassé qui avait refusé d’être sevré de ses deux victoires aux élections présidentielles. Ces institutions devraient se dire tout bas que la Centrafrique ne méritait pas mieux que Bozizé, et, que c’était tant mieux (ou tant pis) si la Centrafrique n’était plus un modèle de démocratie (franchement, qui est-ce qui voudrait de véritable démocratie en Afrique Centrale) et demeurait où elle était, c’est à dire dans le camp des pays les plus misérables du monde. Pauvre, le pays le restera et son peuple avec si les militaires, les politiques et autres illuminés (tous démagogues d’ailleurs) croient que le pouvoir est un territoire à conquérir et à régenter, afin de satisfaire leurs égos. Ces militaires, politiques et activistes avaient cependant oublié ce qui était et est toujours essentiel et incontournable. Le développement de la Centrafrique n’est pas l’affaire des seuls politiciens, militaires et autres. C’est chaque citoyen et le peuple tout entier qui sont acteurs et qui produisent le développement. Et ce développement ne peut se faire que dans un cadre serein où les ennemis à combattre sont l’ignorance, la maladie, la faim, la malnutrition, l’injustice, les arriérés de salaires et pensions, le népotisme, la corruption, les coups d’état, et autres tares du pays. L’ennemi n’est point le militant du parti politique d’en face, qui pense différentes approches de la gestion du pays. Les ennemis ne sont point les membres des autres ethnies du sud, du nord, de l’est ou de l’ouest. L’ennemi n’est pas celui qui désapprouve objectivement les mauvaises décisions et l’inefficacité du pouvoir en place. Ceux sont là quelques concepts simples que les militaires, politiques et autres activistes et leurs tuteurs n’avaient peut être pas encore saisi et qui seraient nécessaires pour guider à la réalisation des aspirations réelles du peuple centrafricain.
4. La Nécessité d’une Relève Politique:
Le peuple refuserait d’aspirer à une forme quelconque de médiocrité, surtout de la part d’un général, d’un ingénieur-chercheur ou d’un de ceux qui ont le titre de docteur. Le peuple a eu la preuve de ce dont les dirigeants des partis politiques et des forces armées, et leurs émules sont capables. Plusieurs avaient fait la démonstration de leurs aptitudes à diriger les affaires de l’état, qui était demeurée peu convaincante. Le pays a besoin de nouveaux dirigeants politiques, car tous ceux qui étaient hier les chantres de l’indignation face aux malversations et intransigences des régimes en place, les griots du rétablissement de la démocratie, les chevaliers de la dignité du peuple et des droits de l’homme, ont tous perdu leur vocation. La conjoncture leur ayant été favorable, tous ces politiciens et activistes avaient ajouté de l’eau à leur vin, avaient changé de camp et aujourd’hui rejoint Bozizé dans ses fantasmes de modèle antique de gouvernement militaro-civil et sa promesse des élections de 2005 en Centrafrique. Quelle institution oserait rappeler le régime de Bozizé à l’ordre? Le CNT? Allez-vous me dire que la population avait été convoquée pour élire au suffrage universel les membres du CNT? Mais quelle est donc cette mascarade! Comment le président de ce CNT se sent-t-il dans sa peau dans cet autre rôle que lui a confié Bozizé? Comment concilierait-il son rôle dans ce contexte de juge et partie, sutout si l’on sait par exemple qu’il n’a pas démissionné de son poste de président de la ligue centrafricaine des droits de l’homme? Quel dirigeant politique continuerait à dénoncer cette dictature qui n’est pas différente des précédentes et qui empêche le pays entier d’avancer en communion avec les autres? Quel dirigeant politique serait la locomotive des nouvelles aspirations de la jeunesse à une éducation scolaire et professionnelle débouchant à un emploi, à un meilleur système de santé, et, à un meilleur cadre de vie? Quel dirigeant politique ou militaire aurait la vision et le charisme nécessaires pour redonner un sens de dignité et d’orgueil au peuple centrafricain? Je n’en vois aucun parmi ceux qui trournent dans l’arène des coups tordus à Bangu et à l’extérieur. Tous sont comme les loups qui s’animent et montrent déjà les dents en songeant à cette échéance arbitraire des élections de 2005, fixée par Bozizé. Mais feront-ils mieux que Dacko et Patassé s’ils étaient élus? Le peuple émettrait des réserves et serait persuadé que ceux-ci se refuseront, à leur habitude, de tirer des leçons de l’histoire politique de la Centrafrique. La jeunesse centrafricaine devrait donc apprendre à être rigoureuse, exigente et sceptique à l’égard des ambitions politiques proclamées par ces ténors du savoir-faire politique. Cette jeunesse devrait apprendre à choisir ses prétendants avec beaucoup de circonspection et de sagesse. Mieux encore, cette jeunesse devrait choisir en son sein même des nouveaux venus qui n’ont pas encore été corrompus par le vieux système politique inadéquat, à caractère tribaliste et immobiliste, en place dans le pays et dans les communautés centrafricaines à l’étranger; un système politique maintenu par ceux qui feraient tout pour prendre le pouvoir à Bangui et prolonger inutilement les souffrances du peuple centrafricain. Qu’est-ce qu’il conviendrait donc de faire? Tous les centrafricains devraient se mobiliser, les jeunes en particulier, pour commencer ou continuer un débat de nouvelles alternatives (différents des vieux discours démagogiques et de la pratique des coups d’état) pratiques pour rétablir une Constitution solide, pour proposer un plan de développement qui serait rapidement exécutable,fondamental et pratique pour le pays, et, pour refuser de faire la place à toute dictature d’où qu’elle vienne. Il est temps que la classe politique centrafricaine se fasse du sang neuf et renouvelle son cercle de nouveaux dirigeants politiques, jeunes, dynamiques, qui ait de grands idéaux nationalistes, recherchant des actions spontanées, courtes, efficaces et durables pour résoudre les problèmes urgents du pays. Il faudrait de nouveaux dirigeants politiques en Centrafrique parce que tous les anciens ont compromis pour toujours leurs principes d’émancipation de la Centrafrique, au nom d’ambitions personnelles, obscures et peu louables qui n’ont enrichi ni les débats politiques ni l’économie centrafricaine.
Jean-Didier Gaïna
Virginie, Etats-Unis d’Amérique