Mais qu’est-ce que c’est que le militantisme politique?

 

Avant l’accession de l’Oubangui-Chari à son indépendance vis à vis de la France, il existait déjà dans le pays des mouvements politiques et des courants de pensées pour l’émancipation du peuple.  Ceux-ci étaient supposés avoir recensé les aspirations générales de la population et posé l’échafaudage de plans de développement social et de construction des infrastructures du pays. A l’époque, il existait deux grands courants, l’un en faveur du maintien du territoire de l’Oubangui-Chari sous la tutelle de l’administration française avec le Rassemblement du Peuple Français (RPF) comme fer de lance, et, le second pour l’indépendance à une échéance qui conviendrait à la métropole. Il y avait des dirigeants politiques oubanguiens remarquables, tels Boganda, Maléombo, Goumba, Songomali, etc. pour ne citer que ceux-là.  Dans cette campagne pour l’indépendance de l’Oubangui-Chari, le Mesan de Boganda avait émergé parmi d’autres comme le plus charismatique dans sa vision du développement dont le programme se résumait par les “cinq verbes du Mesan”. Dans ma famille, mon père avait milité pour la défense des vues du RPF. Ce qui avait été cependant remarquable avait été le motus operendi approuvé par tous et axé sur le respect de la volonté du peuple, le respect des règles démocratiques et surtout sur la ferme volonté des oubanguiens, eux-mêmes, à s’auto-déterminer civilement et pacifiquement. Vous observerez donc avec moi que l’expression démocratique n’est point un phénomène récent sur cette parcelle de terre du grand continent africain. La démocratie dont on parle aujourd’hui en Centrafrique est bien la même que celle qui avait cours en Oubangui-Chari, et, est aussi vieille que nos parents et grands-parents.  Ce n’est donc pas une création récente de Clinton ou de Bush, ni de Chirac!  Il y avait simplement eu de mauvais élèves de l’école démocratique, à l’exemple de Bokassa, de Kolingba et de Bozizé qui nous avaient fait oublier sa réalité. Voilà donc pour la petite histoire du militantisme politique et de la démocratie en Oubangui-Chari

 

Après la proclamation de l’indépendance et sous la bannière du Mesan hérité de Boganda, Dacko avait petit à petit érigé le Mesan en parti national unique; celui-ci avait également décidé la réclusion des partis dirigés par Maléombo et Goumba.  Bokassa était ensuite entré en scène, renversant Dacko et usurpant le pouvoir sur la base des critiques de mauvaise gestion qu’íl avait formulées à l’endroit des affaires du Mesan, et qu’il avait attribuée à Dacko et Ondoma, le secrétaire général du Mesan de l’époque.  Il serait important de rappeler ici une chose fondamentale. Les fonds de fonctionnement de l’administration du Mesan provenaient essentiellement des caisses de l’état.  Les finances étant assurés, l’on pourrait s’expliquer la popularité du Mesan et la mort lente et certaine des activités des autres partis qui avaient du mal à trouver l’assistance financière nécessaire pour faire avancer leurs causes. Les voix de l’opposition avaient été ainsi muselées. Bien qu’existant pendant cette période, l’exercice de la démocratie avait également eu ses hoquets, ses mauvaises passes et ses moments de douleurs, comme à l’habitude.  Et Bokassa avait simplement eu besoin de certains petits artifices pour s’accaparer de toute la machine déjà rôdée du Mesan.  Après avoir réussi ce projet, Bokassa devait enfin réaliser son rêve suprême que tout le monde connaît.  Il était arrivé à ses fins avec le soutien des militants véreux du Mesan et des dirigeants d’un bureau politique nommés par ses soins et qui étaient acquis à sa cause.  Le Mesan devenait ainsi une grande toile d’araignée qui avait servi à semer la peur, la délation et à contrôler toute expression de mécontentement de la population. Un système de taxation obligatoire ou d’escroquerie avaient été mis en place pour alimenter les caisses personnelles de Bokassa ou du Mesan en prenant la forme de cartes et timbres sanitaires annuelles ou de cartes et boutonnières du Mesan.  Bokassa et le Mesan ne formaient plus que l’unité et ne rendaient de compte à personne, même pas aux militants du Mesan. Mieux, Bokassa avait institué un deuxième gouvernement qui siégeait à Bérengo; selon lui, en plus de la nouvelle appellation, l’empire centrafricain méritait bien deux gouvernements pour faire bonne mesure. La désaffection du Mesan n’attendait qu’un évènement ou deux pour être amorcée. La décision du port obligatoire de l’uniforme par les élèves, prise par le gouvernement du premier ministre Henri Maïdou, le non payment des salaires qui auraient permis aux parents d’offrir ces uniformes à leurs enfants, et, le monopole acquis par l’impératrice même pour la vente des tenues, tout cela devait engager le commencement de la fin de l’empire centrafricain que Bokassa s’était arrogé sans coup férir. En conclusion, Bokassa avait bien refait ce qu’il avait reproché au Mesan en 1966.

 

L’on observerait que lorsqu’un militaire centrafricain s’accapare les pouvoirs de l’état, en abuse et ne peut s’en séparer, cela entraîne inéluctablement la fin de son régime.  C’est un peu comme mourrir de son propre venin, après s’être piqué. L’on observerait aussi d’une manière générale que le parti politique au pouvoir, dans son exercice abusif et sa jouissance sans bornes des prestiges à lui, accordés par le peuple, faisait la sourde d’oreille et refusait d’entendre les voix discordandes qui s’élèvaient. Le RDC de Kolingba dont Jean-Paul Ngoupandé avait été le géniteur, avait opéré de la même manière. Le RDC et Kolingba avaient refusé d’écouter les voix qui n’étaient pas celles des siens et de son clan de conseillers. Cela avait entraîné sa chute.  Patassé qui s’était accaparé le MLPC avait joui du soutien de la population, mais s’était très vite transformé en démagogue.  Patassé et d’autres ténors de son ethnie avaient refusé d’écouter les objections de certains membres du bureau politique qui avaient des reproches légitimes à faire. Tout le monde est tombé d’accord aujourd’hui que le MLPC a failli de beaucoup à sa mission et à ses objectifs par la cupidité du clan Patassé et le refus de Patassé d’accepter la désaffection du peuple qui l’avait élu.  Patassé par orgueil avait refusé toute concession et reporté aux calandres grecques la poursuite des grands idéaux du MLPC. Toute cette histoire est fort triste.  Et aujourd’hui, l’on est encore surpris de lire sur l’Internet et ailleurs que ceux qui, hier, n’avaient rien fait pour faire entendre la raison à  Patassé, trouvent aujourd’hui la voix pour prêcher l’excellence de la gestion des affaires de l’état par le MLPC.  Certes, les affaires mafieuses, organisées par les membres influents du MLPC leur avait énormément profité!  C’est peut-être pour cette raison uniquement qu’il y a des nouveaux de tout bord qui veulent s’essayer au pouvoir.  Mais où sont donc passés les bénéfices économiques pour le peuple?  Pourquoi tout le peuple serait-il aujourd’hui en pleurs? Une brève visite à Bangui donnerait la juste mesure des résultats médiocres de la politique de ceux qui rêvent encore aux intentions louables du grand parti qui était le MLPC.  Ces militants du MLPC avaient tous été dupés comme l’avaient été, avant eux, les militants du Mesan et du RDC.  Les membres du bureau politique et le président du parti s’étaient tous largement servi de naïveté de ceux qui se considéraient les militants de la base. Dans tous les cas, chaque président à vie de parti, que ce soit le MESAN, le RDC ou le MLPC avait rompu avec la réalité économique et sociale, parce que le pouvoir leur était monté à la tête.  Chacun avait perdu le nord parce que leurs conseillers personnelles et tous leurs proches parents, leur avaient fait croire que la Centrafrique ne pouvait aspirer à un meilleur avenir sans leur présence à la tête du pays. Les militants de base avaient soutenu leurs dirigeants surtout des raisons d’appartenance tribale.  C’est ce népotisme de masse, à la fois inconscient et incontrôlable qui, réellement, empêche les services publiques de l’administration entière du pays d’apporter le progrès et le bien-être à tous les citoyens. Ces militants devraient soutenir des idéaux et non un homme, parce que celui-ci serait ngbaka, yakoma, kaba, gbaya, gbanziri, mandja, banda ou autre.  Si les dirigeants et chaque militant des partis politiques existants décidaient de ne pas accorder une attention particulière à ce phénomène et refusaient d’amputer cette gangrène, le développement de la Centrafrique ne sera pas pour demain et devra attendre des jours meilleurs. Alors, par quel bout devrait-on attaquer ce problème?  Ce serait par exemple en recherchant ensemble une meilleure définition et un modèle pratique d’un militantisme politique qui serait au service de la Centrafrique et qui ne servirait point à entretenir le culte nuisible de la personnalité qui, on l’a vu, est mauvais conseiller et donne des mauvaises idées aux chefs.

 

Jean-Didier Gaïna

Virginie, Etats-Unis d’Amérique (20 juillet 2003)

Actualité Centrafrique de sangonet - Dossier 17