LE TEMPS NE JOUE PAS EN NOTRE FAVEUR
Nous vivons dans un monde en mutation et terriblement rapide. L’illusion bolchevique (le communisme soviétique) est morte et enterrée, la chine s’est ouverte à l’économie de marché. Partout dans le monde, des regroupements régionaux se font, des multinationales se fusionnent, la course à l’excellence est devenue la règle de réussite, aucun pays n’attend son voisin, aucune entreprise ne fait du social. Le visage du monde a sensiblement changé et évolué ces trente dernières années.
Mais si autour de nous, tout semble avancer à une vitesse exponentielle ; le tableau centrafricain est terriblement négatif.
Ø La forme républicaine et unitaire de notre pays est menacée à cause du développement du sentiment tribal et régional.
Ø Notre indépendance est mise entre parenthèse à cause de l’incapacité de nos dirigeants à assumer l’ordre et la sécurité, ce qui a entraîné la présence de forces non centrafricaines et le retour de l’armée française en Centrafrique.
Ø Notre armée est devenue une coquille vide, régionaliste, ethnique et fortement politisée.
Ø Notre niveau scolaire est l’un des plus bas au monde.
Ø Notre économie n’existe que de nom.
Ø Notre agriculture est encore archaïque et nos productions et rendements à l’hectare demeurent parmi les plus faibles au monde.
Ø Notre système sanitaire est l’un des plus inefficaces au monde.
Ø Le taux de séroprévalence chez nous est le dixième au monde 16%.
Ø Notre jeunesse est l’une des plus nonchalantes du monde.
Ø Notre élite politique et intellectuelle est l’une des plus bêtes du monde.
Nous brillons par notre excellence négative dans tous les domaines d’existence d’un peuple et d’une nation.
A la lecture du tableau centrafricain, trois mots qui résument mon sentiment se détachent : PESSIMISME, DESESPOIR ET ESPOIR.
PESSIMISME : parce que beaucoup de pères, de guides, d’éclaireurs, de libérateurs, de pays, d’organisation et d’experts se sont penchés sur notre cas. Beaucoup de débats, de conférences, de dialogues, d’états généraux ont eu lieu. Beaucoup d’hommes se sont engagés, d’autres ont payé le prix ultime : le sang. Mais malgré tout cela, la pathologie centrafricaine n’a guère évolué vers une guérison ou un début de solutionnement, chaque avancée, même minime se transforme rapidement en prison pour le peuple qui paie toujours le plus lourd tribut et face à cela ; nous versons dans le désespoir.
DESESPOIR : pour cette nation en danger et sans défense, pour ce pays sans véritable élite politique, économique et intellectuelle capable de le mettre sur les chemins de la prospérité. Pour ce pays à l’économie moribonde et archaïque. Pour ce pays dont l’agriculture n’est pas florissante. Pour ce pays décimé par le SIDA. Pour cette jeunesse sans avenir prometteur. Pour ce pays qui est une banlieue oubliée de la planète. Pour ce pays qui risquent de se retrouver coloniser une seconde fois par ses propres frères africains. Pour ce pays sans véritable culture d’entreprenariat et du capitalisme. Mais dans ce désespoir pathologique, en faisant un recul historique, un sentiment d’espoir naît.
ESPOIR : parce qu’au cours de l’histoire de ces cent dernières années, nous avons vu des peuples refuser la misère, la tyrannie, l’ignorance et se lever pour le progrès. Nous avons assisté à la transformation du japon, de la Corée du sud, de la Thaïlande, des Philippines, du Burkina Faso, de la Guinée équatoriale, de l’Ouganda, de la Namibie, du Mali, du Venezuela…
Ces pays avaient en commun le tableau présent du Centrafrique et le triste sort du peuple centrafricain ; mais des hommes et des femmes ont dit un jour NON ; se sont levés et ont résolument tourné le dos au passé dans la vérité ,se sont réconciliés et ont attaqué les défis que devraient relever leur société.
Le problème centrafricain d’après moi , ne se situe pas au niveau du savoir et du savoir-faire ; à mon avis nous le possédons ; mais c’est l’expression qui nous fait défaut. Ce potentiel ne pourra jamais être exploiter tant que subsisteront des ombres sur nos têtes, tel un parapluie nous empêchons de voir le soleil en plein jour.
I) La vérité
Il faudrait que la culture de la vérité et de la transparence s’installe chez nous. De 1975 à 2004, de Goumba (vice président et ministre des finances et du plan en 1957) à Bozizé en passant par Dacko I, Bokassa 1 er, Dacko II, Kolingba et Patassé ; il s’est passé beaucoup de choses : privation de liberté, vol, corruption, assassinat et tant d’autres ; or ce sont les mêmes acteurs qui tournent depuis cinquante ans, s’ils le veulent ; ils peuvent rendre une vérité historique sur cet gâchis collectif. L’action judiciaire ne doit pas seulement se limiter à la période Patassé ; elle doit remonter jusqu’à la genèse de tous les gâchis : Boganda et Dacko I.
Pourquoi une vérité s’impose ? je dirai : aussi longtemps que dure la nuit ; le jour ne peut se lever. Nous continuons de naviguer dans le mensonge et l’hypocrisie ; sans pardon, réparation et justice ; les changements à la tête de l’état ne seront que des périodes de règlement de compte passionnels et personnels. L’exemple qui devrait nous servir est ce qui s’est passé en Afrique du sud après l’arrivée de l’ANC au pouvoir. Sommes plus bêtes que les sud-africains pour ne pas arriver à réaliser cela ?
II) La réconciliation
L’érosion tribale et régionale de ces 16 dernières années a terriblement entamé l’identité unitaire nationale. Sans réconciliation véritable, tout processus de renaissance est voué à l’échec. Tout le monde parle de réconciliation ; mais sait on réellement ce qu’elle implique et appelle ?
Ce n’est pas par une poignée de mains entre Kolingba et Bozizé ; ou un baiser entre Patassé et Goumba que s’établit la réconciliation.
Avant d’être une réalité entre hommes, la réconciliation doit d’abord passer par des réparations ; et chez nous en Centrafrique, la première étape passe par la réparation de certaines injustices et le rétablissement de certains droits qui vont à coup sûr réconcilier le citoyen avec le politique, le politique avec le travail et la productivité, le citoyen avec sa marmite et sa tête, le citoyen avec ces devoirs :
Ø Actions judiciaires rétrogrades et exécution des peines;
Ø Droit au travail ;
Ø Droit à la libre circulation et à l’entreprenariat ;
Ø Droit à l’éducation, à la santé et à l’expression démocratique pluraliste ;
Ø Respect de l’expression universelle du peuple ;
Ø Droit de toutes les régions du pays au progrès ;
Ø Respect des textes et lois de la république ;
Cette première étape est essentiellement politique, car elle relève du pouvoir et de l’autorité de celui-ci.
La seconde étape est citoyenne, elle passe par le bannissement de l’hypocrisie, de la ghettoïsation, par le retour du brassage ethnique et régional, par la course à l’entreprenariat et au capitalisme excellent.
Une fois cette vérité historique et judiciaire établie, une fois la réconciliation véritable entamée ; reste alors au peuple de se lancer sur les chemins de la prospérité.
Nous devrons arrêter cette pratique qui consiste à nous dire que la RCA est un pays très riche, car à force d’en parler et de ne pas voir les transformations de cette richesse en pouvoir d’achat local et constater les réalisations dans les domaines économiques et social ; cela risquera de rendre beaucoup d’entre nous incrédules et pessimistes pour la vie ; au point de ne vouloir faire d’effort.
Chaque centrafricain, où qu’il soit, soucieux du devenir de son pays ; se doit d’initier des projets générateurs de revenus et d’emplois au pays. Cette interpellation s’adresse tout particulièrement à la diaspora centrafricaine d’Europe et d’Amérique : cessons nos abonnements à Western union, transformons nos stériles soirées de discussions politiques, nos pouvoirs économiques, nos costumes, nos bouteilles de Bordeaux et de Dauphin de cellier ; en investissement au pays.
Longtemps nous avons bâti notre politique de développement avec perfusion de l’extérieur (FMI, BM, France, Chine, Japon…) ; or la récalcitrante histoire est toujours là pour nous dire qu’aucun pays dans le monde ne s’est développé avec l’aide et la perfusion financière. C’est pourquoi nous insistons sur l’apport de capitaux privés centrafricains ; sans oublier un transfert de technologies et de compétence : c’est en nous centrafricains que se trouvent la voie de notre salut. Nous avons été capable de causer notre malheur, nous pouvons aussi provoquer notre bonheur et de le vivre.
C’est par le retour et l’argent de la diaspora juive que l’état d’Israël a vu le jour en 1948 ; le problème centrafricain est celui de l’argent ; mais ne se résume pas seulement à lui ; il fait appel à l’émergence d’une nouvelle conception du management étatique, à l’essor d’une nouvelle classe politique, à l’abandon de certaines traditions et pratiques négatives, à l’initiation à l’entreprenariat et au capitalisme, au retour du sens civique, citoyen, politique et historique.
Je pense que le temps est venu, pour que nous unissons et fédérons nos énergies afin de relever ensemble les défis de notre société, de notre pays et surtout de notre époque.
De l’émergence d’une nouvelle société en Centrafrique, tout le monde a quelque chose à y gagner : du peuple au politique, le gâteau centrafricain peut satisfaire tout le monde, c’est pourquoi : CENTRAFRICAIN DE TOUTES LES REGIONS, DE TOUTES LES ETHNIES, DE TOUS LES PAYS REVEILLEZ VOUS, SINON…
Clément BOUTE-MBAMBA (Villeneuve St- Georges, France)
(15 janvier 2004)