Le Mythe du Technocrate

L'expression latine: "Veritas odit moras" pourrait être traduite par "la vérité hait le délai". Cette expression nous amène à écrire ci-dessous ce que nous pensons de l'illusion et de l'allusion que les technocrates produiraient le développement de la Centrafrique; ce que nous considérons volontairement comme un mythe.

Si nous regardons l'histoire politique de la Centrafrique, chaque régime légitime ou non s'était comporté comme un clou dans une pièce de bois. Chaque nouveau clou, placé à la tête du clou précédent, s'était logé à son tour dans le bois en chassant vers l'avant celui qui y était. Celui de plus gros calibre que le précédent avait la prétention d'être le mieux désigné pour assurer la besogne. L'on serait bien en droit de se demander quelle serait la raison d'être d'un clou dans une charpente si celui-ci ne sert pas à maintenir deux ou plusieurs pièces ensemble? En exagérant un peu, cette métaphore ressemble à la course en avant que se sont imposés nos militaires et nos activistes devenus politiciens. Ils se donnent la chassent en voulant faire croire au peuple qu'ils servent les intérêts du pays.

Les "chefs d'état" ou "présidents" qui avaient imposés leurs despotismes ou ceux qui avaient été choisis par le peuple et qui cependant avait refusé d'être à son écoute, étaient issus des différentes écoles de formation d'Afrique ou d'Europe. La République Centrafricaine avait été fière de ses cadres nationaux qui étaient sans aucun doute qualifiés et très doués dans leurs domaines respectifs de formation. Des commis de l'administration civile, médecins, avocats, ingénieurs et officiers étaient rentrés au pays en fin de formation et avaient intégré les différents corps de l'administration et de l'armée, afin de se mettre au service du peuple et participer à la construction du pays.


Mais seulement voilà! Le peuple qui avait beaucoup d'attentes, avait espérait beaucoup de bien de ces retours au bercail. Et ces technocrates avaient longtemps fait croire à la majorité de la population qui n'avait pas suivi leurs parcours, qu'à eux seuls ils pouvaient sortir la Centrafrique du sous-développement par leurs savoirs, leurs connaissances techniques et certaines habiletés exceptionnelles des leurs. A ce propos, disons le tout de suite, tout le monde s'était trompé et avait refusé de voir la réalité en face. De nombreux technocrates avaient été nommés au gouvernement sous tous les régimes politiques possibles en Centrafrique. Depuis, comment cela se fait-il donc que ces technocrates n'aient toujours pas réussi à faire acquérir au pays toutes les technologies, à faire inculquer à la population les savoirs, à faire créer les petites et moyennes entreprises, les industries et l'emploi en abondance, et, à apporter au pays tous les bénéfices d'un progrès que le peuple attend depuis?

Certains articles du média centrafricain s'étaient félicités de l'entrée massive de technocrates au sein du gouvernement de Gaombalet et anticipent par fantasme la mise en place par ceux-ci de grandes réalisations économiques qui aideraient enfin le peuple centrafricain à sortir de la misère. Disons ceci sans equivoque, ni Bozizé ni Gaombalet ne sont sûrs des stratégies à adopter pour arriver au développement d'une part, et, d'autre part les technocrates seuls n'apporteront pas les solutions concrètes et rapides aux problèmes cuisants de la Centrafrique. Est-ce que ces médias voudraient prétendre qu'il n'y avait jamais eu de technocrates dans les gouvernements de Dacko, Bokassa, Kolingba et Patassé; ce qui expliquerait les échecs socio-économiques de ces régimes? Quels miracles, bénéfiques pour le peuple avaient donc opéré ces technocrates? Plusieurs d'entre eux n'avaient-ils pas été soupconnés ou accusés de syphoner les ressources du trésor public ou de s'enrichir illicitement? Ces technocrates de l'équipe Gaombalet seront-ils capables de résoudre les problèmes sur lesquels l'équipe de Goumba s'était cassée les dents? Seront-ils capables de résoudre rapidement, par exemple, les problèmes de l'insécurité créés par la "Bande à Bozizé" ou de trouver une solution définitive aux arriérés des salaires? Que l'on ne se méprenne, le développement de la Centrafrique ne pourrait arriver que par le banissement de toute forme de dictature, notamment celle de de Bozizé qui fait honte aux centrafricains qui ont encore de la pudeur. Le développement ne pourrait se réaliser que par le rétablissement de la Constitution du pays et des lois républicaines, par l'application sans détours de la justice et par la participation de toute la population centrafricaine aux décisions fondamentales qui touchent à sa destinée. Les technocrates auraient, certes, un rôle important à jouer dans ce processus, cependant au même titre que toutes les autres couches de la population. Que certains le croient ou non, le rétablissement de la véritable démocratie et de tous ses corollaires constitue le cadre minimum pour commencer à résoudre les problèmes liés à l'insécurité, pour engager ensemble la lutte contre la pauvreté et pour remettre le peuple au travail dans la paix. Kolingba, Bozizé et les militaires centrafricains sont coupables d'avoir créé toute cette situation d'insécurité qu'aujourd'hui Bozizé n'arrive ni à gérer et ni à contrôler. Ces militaires ont allumé un grand incendie qui brûle encore et dont ils n'avaient nullement prédit les conséquences.

Par ailleurs, ce n'est certainement pas en répudiant le gouvernement d'Abel Goumba que les problèmes énumérés plus haut disparaîtraient miraculeusement. Ce serait se leurer que de penser qu'un gouvernement de technocrates ferait oublier au peuple l'existence de la dictature militaro-civile de Bozizé, qui existe bel et bien, et dont ces mêmes technocrates sont devenus les complices à part entière. Mais dites moi donc pourquoi cette dictature de Bozizé serait-elle différente de la dictature de Bokassa, que plusieurs de ces mêmes technocrates avaient jadis désapprouvée ou militée contre? Qu'est-ce que donc les technocrates avaient fait sous tous les gouvernements précédents pour faire éviter au pays cette descente en enfer? Est-ce que ces technocrates avaient été absents de la scène politique quand les différents régimes politiques avaient entraîné au trot le peuple dans cette misère?

Peut-être qu'un jour l'histoire fera la lumière sur toute cette hypocrisie des technocrates centrafricains qui ont accepté de participer à leur manière à la désintégration de la démocratie en Centrafrique. J'espère cependant que chacun d'eux trouvera une occasion pour expliquer au peuple les raisons de cette collaboration avec ces dictatures! Si le peuple centrafricain continue à croire à ce mythe des technocrates qui résoudraient les problèmes du pays et si celui-ci continue à donner carte blanche à une élite qui se réclame d'être uniquement technocrate sans grande conviction politique, celui-ci n'aura pas fini de voir dans le pays la manifestation de cette misère chronique sous des formes plus vicieuses.

Jean-Didier Gaïna
(Sat, 24 Jan 2004 00:10:56 -0500)

Actualité Centrafrique de sangonet - Dossier 18