Comment Bozizé a hypothéqué la Centrafrique.
Nous avions indiqué dans un précédent article que le Général François Bozizé pourrait avoir l’aspiration légitime, le droit “constitutionnel” (sur ce dernier point, nous ne le savons pas encore) et présenter sa candidature aux prochaines élections présidentielles en Centrafrique. Nous ne reviendrons plus sur ce sujet que nous considérons clos.
Cependant, la démesure des ambitions politiques peu louables du Général Bozizé, ses objectifs personnels inavoués, les limites de ses compétences, son absence d’un engagement patriotique, ainsi que son incapacité à penser les stratégies de développement de la Centrafrique nous préoccupent à plus d’un titre. Depuis son coup d’état, nous avons observé avec consternation ses carences à diriger avec intelligence les affaires du pays qu’il avait engagé sur une voie sans issue et extrêmement dangereuse, en s’associant à des pilleurs et envahisseurs étrangers.
Pour commencer notre analyse, jetons un regard rapide sur certains éléments de la carrière militaire du Général Bozizé et sur les relations qu’il avait depuis tissées, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Un rapport d’audit de l’Inspection Générale des Forces Armées Centrafricaines avait révélé les détournements orchestrés par le Général Bozizé, lorsque celui-ci avait, à différentes occasions, assumé différentes fonctions de commandement, de supervision et de gestion de l’Intendance de l’armée nationale centrafricaine. Ce dont il avait été question, c’était des biens d’équipement qui avaient été vendus à vil prix à des receleurs des quartiers populaires de Bangui; d’importantes quantités d’hydrocarbures qui avaient été écoulé sur une station d’essence que Bozizé louait auprès de Petroca. Ces biens énumérés et d’autres avaient manqué à l’inventaire des nombreuses possessions de l’armée, pour des raisons que le Général Bozizé n’avait jamais expliquées. Malgré ce rapport accablant qui accusait le Général Bozizé de détournements, et, qui avait été remis à Patassé à l’époque, ce dernier n’avait jamais exigé que Bozizé rende des comptes à une autorité judiciaire quelconque. Les militants du MLPC et les autres avaient parfaitement compris les hésitations du grand camarade Patassé à demander des comptes à Bozizé, si celui-ci avait les mêmes penchants que Bozizé, et, si lui aussi avait considéré le stock de carburant offert par la Libye comme un cadeau privé, à lui offert? Ces actes de l’un et de l’autre ne constituent-ils pas des détournements de biens de l’état, passibles de sanctions pénales en bonne et due forme? Est-ce que le peuple, vous et moi et nos enfants comprennent pourquoi le train du développement de la Centrafrique n’est toujours pas arrivé en gare? Mais enfin, qui donc donnera le bon exemple? Patassé et Bozizé avaient berné tout le monde. Mais n’avaient-ils pas voulu s’accaparer du pouvoir pour siphonner les ressources du pays en voulant faire croire à tout le monde qu’ils protégeaient les intérêts du peuple? Avaient-ils jamais pensé aux préjudices qu’ils causaient à leurs concitoyens, au trésor public et à l’économie du pays tout entier? Les résultats des affaires peu louables de Patassé, Bozizé, de leurs proches et de tous ceux qui les avaient précédés, sont ceux que nous observons aujourd’hui à Bangui et dans l’arrière pays. A cause de leurs actes non patriotiques, le peuple avait observé l’insécurité s’établir sur tout le territoire, la destruction des infrastructures et la paralysie de la machine économique; le peuple avait été aussi témoin de l’incapacité des militaires et des dirigeants politiques à reconnaître avec clarté les causes profondes des grands maux, à penser des solutions pratiques, puis à les résoudre promptement. Aujourd’hui, chaque citoyen devrait être embarrassé par toutes ces médiocrités et ces incompétences des militaires, de la classe politique et des technocrates. A cause de toute cette incurie, le véritable problème de la Centrafrique ne serait plus uniquement d’ordre économique, parce qu’il y a maintenant plus grave; le peuple centrafricain de Bangui et de l’arrière pays vit par dessus tout une véritable psychose et ne sait plus à quel saint se vouer; le peuple vit une profonde dépression dont il a du mal à se remettre. Au point où de nombreux fils du pays seraient persuadés que tous les maux du pays proviendrait d’une malédiction des dieux. Cependant, ô combien ce peuple voudrait avoir de bons leaders qui lui redonneraient sa dignité et sa fierté!
Aujourd’hui enfin, c’est un Général Bozizé grandi de son expérience de baroudeur et fort d’une conception fallacieuse de l’organisation d’un état moderne, qui croit qu’il aurait les aptitudes nécessaires pour conduire valablement les destinées de la République Centrafricaine. Si celui-ci avait eu beaucoup de mal pour gérer sainement les biens d’une armée nationale, forte seulement de 4.000 hommes, comment pourrez-vous vous convaincre que cet homme serait capable de conduire le peuple centrafricain, de plus de 3.000.000 d’âmes, vers la satisfaction de toutes ses aspirations et vers la réalisation des rêves des hommes, des femmes et des enfants de ce pays? Prenez par exemple le rêve de liberté. Bozizé et ses hommes foulent au pied cette liberté à la moindre occasion. Ce qui est à la fois triste et déconcertant, c’est qu’en dépit de toutes les dispositions défaillantes observées chez le Général Bozizé, certains centrafricains font semblant de se laisser convaincre que celui-ci serait l’homme providentiel pour conduire les destinées du pays après les élections. Disons le tout haut. Aujourd’hui et demain, ce que le Général Bozizé et sa clique recherchent c’est l’enrichissement personnel, illicite, qui détournerait le pays de ses objectifs de développement socio-économique. Et ils procèdent avec arrogance dans chacun de leurs vils actes, conscients que ceux qui avaient agi de la sorte avant eux n’avaient jamais été punis. Kolingba et Patassé ne vivent-ils pas un exil doré, après tout! Pourquoi donc Bozizé et sa clique se priveraient-ils?
Nous observerons aussi que notre Général avait eu des contacts, au cours de ses aventures de l’exil, avec des petits truands de tout poil dont il avait fait sien leurs attributs, leurs comportements et leurs manies. C’était donc tout naturellement qu’il avait recherché puis établi des relations avec des individus peu recommandables et pas du tout digne de la confiance des autorités et notables d’un état souverain, digne de ce nom. Mais que voulez-vous? Ne dit-on pas dans ce petit milieu des affaires que l’occasion fait le larron? Le Général Bozizé avait eu des ambitions tenaces, notamment celle de devenir chef d’état, à l’exemple de son parrain dont il avait été le chef de camp. Bozizé avait su très tôt que les affaires au sommet de l’état étaient lucratives. Et pour lui, ne pas se présenter aux prochaines élections présidentielles ne saurait être considéré comme une option valable.
Mais seulement voilà! Le Général Bozizé s’était également associé à des désoeuvrés, issus des différentes rebellions tchadiennes. La grande majorité de ces hommes étaient nés dans cet environnement de guerre civile latente, entretenue par les chefs sudistes des différentes factions armées. A la fin des hostilités dans ce pays voisin du nord et malgré la découverte et l’exploitation du pétrole dans sa partie australe, ces hommes n’avaient entrevu aucune initiative adéquate qui leur donnerait une véritable formation professionnelle et un emploi honnête. Pour ces hommes, le quotidien était plein d’aléas et ce quotidien seul comptait. Leur seule issue de secours se résumait donc à continuer à offrir leurs services de bandes armées, à des hommes du genre de Bozizé, afin de subvenir à leurs besoins. Ces hommes qui se battent pour vivre au jour le jour sont des hommes sans foi ni loi. Et Bozizé avait pensé en faire des alliés. Depuis, l’observation de certains évènements à Bangui indique que Bozizé a beaucoup de mal à rompre les liens avec ses anciens associés, issus des rebellions tchadiennes. Celui-ci ne réussira jamais à s’en débarrasser totalement. Ceux-ci demeureront une gangrène pour la Centrafrique. Mais où voulez-vous que ces derniers aillent? En restant en Centrafrique, ils pourraient toujours continuer à faire chanter Bozizé, ils pourraient trouver à manger en assurant la sécurité des commerçants centrafricano-tchadiens ou centrafricano-soudanais qui parlent leurs dialectes, ils pourraient joindre leurs compagnons qui sévissent à l’intérieur du pays, tiennent en otage la population et l’empêchent de vaquer librement à ses occupations. C’est cela la triste réalité des alliances avec le diable, conclues par Bozizé pendant sa campagne pour chasser Patassé du pouvoir. Et tant que Bozizé sera en place à Bangui, ces désoeuvrés feront toujours la loi dans le pays. Vous conviendrez donc avec nous que la seule solution pour résoudre définitivement ce problème d’insécurité serait la mise en place d’un nouveau régime qui n’aie aucun lien avec ces brigands, afin de rétablir l’autorité de l’état et la sécurité, en prenant des mesures diplomatiques, légales et militaires appropriées pour sortir le pays de ce traquenard. Voilà un problème à résoudre, digne d’être traité par les dirigeants d’un pays souverain. Nous espérons que Bozizé, son Ministre de la Justice et autres comprendront que les arrestations de simples citoyens pour délit d’opinion ne constituent point les étapes importantes dans la résolution des véritables problèmes de développement du pays. Bozizé et les siens ne réalisent bien évidemment pas la mauvaise posture dans laquelle se trouve le pays, à cause de la présence de ces étrangers dont plusieurs avaient été intégrés par Bozizé au sein de l’armée nationale centrafricaine. Comprennent-ils l’importance et l’urgence de la résolution de ce problème? Selon nous, le chantage permanent dont Bozizé ferait l’objet de la part de ses amis, anciens rebelles tchadiens, a un impact négatif et sans commune mesure sur l’intégrité du territoire et la sécurité des citoyens et des biens, et, sur le processus de développement du pays. Cette conséquence seule devrait dicter à Bozizé l’option sans équivoque de ne pas se présenter aux prochaines élections présidentielles, afin de donner au pays l’occasion de se débarrasser en premier de ces envahisseurs indésirables qui se considèrent comme en territoire conquis.
Tout espoir de meilleures perspectives pour la Centrafrique ne pourrait se matérialiser si le peuple tout entier reste soumis aux exactions qu’imposent sur lui les pilleurs et leurs parrains. Et dans ce contexte, à quoi serviraient donc les élections? Nous espérons que le Général Bozizé n’a pas encore perdu tous ses sens et que quelqu’un parmi ses frères, conseillers et amis lui fera entendre raison.
Jean-Didier Gaïna
Virginie,
Etats-Unis d’Amérique (14 août 2004)