Jean-Paul Ngoupandé : " je ne me reconnais pas du tout dans ces pratiques d’un autre âge "

 

INTERVIEW AU QUOTIDIEN L’HIRONDELLE

L’Hirondelle : Dans une longue interview que vous avez accordée la semaine dernière à notre confrère Temps Nouveaux, vous exprimez votre déception par rapport à la Transition consensuelle ? Que reprochez-vous exactement au Général François Bozizé ?

Jean-Paul Ngoupandé : Ce n’est pas une question de personne, bien entendu. Je n’ai pas de problème personnel avec le Général Bozizé, comme certains pourraient le penser. Ce dont il est question, c’est de l’avenir immédiat du pays. Le Chef du régime de Transition ne me semble pas avoir tiré les leçons de tout ce qui nous a conduits, nous, Centrafricains, au désastre actuel. Nous sommes en train de refaire les mêmes erreurs, et même en pire : l’ affairisme, qu’illustre l’équipée de Düsseldorf , qui porte un coup sévère – un de plus, dirais-je ! – à l’image et à la crédibilité de la RCA vis-à-vis de l’extérieur ; la préférence ethnique que démontre l’intervention intempestive et maladroite du Chef de l’Etat dans la gestion de l’ENERCA.

Pour tout dire, je ne me reconnais pas du tout dans ces pratiques d’un autre âge. Je ne peux donc que les combattre, et avec une détermination d’autant plus grande que ces pratiques ont, à mon avis, causé beaucoup de tort au développement du pays par le passé.

LHRD. Vous êtes apparemment très sévère, et pourtant votre parti, le PUN, est toujours représenté dans le Gouvernement et dans le Conseil National de Transition !

JPN Pour le CNT, il n’y a évidemment pas de problème. Cet organe a pour vocation de jouer un rôle de contre-pouvoir face au gouvernement, en attendant le retour à un parlement élu. C’est une tribune où toutes les tendances représentées expriment leurs opinions, même si le gouvernement n’en tient pas souvent compte.

En revanche, je reconnais que la question de notre participation au gouvernement n’est pas simple. Effectivement, nous pourrions donner l’impression de cautionner les dérives actuelles. Mais, tout compte fait, le PUN n’est pas partisan de la politique du pire. Tant qu’il y aura un petit espace de coopération pour conduire le pays aux élections sans dérapages, nous y serons malgré les très grandes réserves que nous exprimons sur la gestion de la Transition. Et, naturellement, nous continuerons de nous démarquer de la façon la plus claire d’une politique de retour en arrière.

D’autre part, nous avons des partenaires au sein des forces démocratiques. Nous ne pouvons pas prendre la décision de quitter le gouvernement sans un minimum de concertation.

LHRD. – Et si le remaniement qu’on annonce permettait au Président Bozizé de se débarrasser de certains ministres représentant les partis politiques, dont votre Secrétaire Générale, ministre des Affaires sociales ?

JPN -Nous n’en porterons pas le deuil. Dans ce cas, il prendra tout simplement la responsabilité de consacrer la fin du consensus, qui bat déjà de l’aile.

En réalité, nous n’avons pas besoin d’un remaniement ministériel maintenant. Dans six mois, les Centrafricains doivent aller aux élections, pour permettre le retour à la légalité constitutionnelle. C’est cela qui importe aujourd’hui. Est nécessaire tout ce qui peut permettre de hâter la préparation des élections, pour respecter le délai et respecter aussi les règles de transparence et d’équité. Le reste est sans signification.

Les Centrafricains peuvent compter sur le PUN, qui est déterminé à œuvrer, en rapport avec les autres forces démocratiques, pour que les prochaines élections ne soient pas truquées.

LHRD. – Qu’en est-il de votre candidature ?

JPN - Personne ne peut imaginer un seul instant que le PUN ne soit pas présent aux prochaines échéances électorales, présidentielle et législatives. Ce n’est pas la candidature comme telle qui compte d’abord. C’est ce que nous allons proposer aux Centrafricains comme voie possible pour une sortie durable de la crise. Le 8 avril dernier, à l’ouverture de notre deuxième Congrès ordinaire, j’ai esquissé les grandes lignes de ce que devrait être une politique de réconciliation vraie et de modernisation de la gouvernance, pour en finir avec le cycle de la médiocrité et du naufrage. Il s’agit maintenant de traduire ces orientations en programme crédible de gouvernement. Nous pensons qu’il faut le faire avec les autres forces démocratiques, dans un élan unitaire, pour donner une chance à la réconciliation et à la reconstruction de la RCA dans l’unité et la paix. C’est ce à quoi nous nous employons actuellement.

LHRD.- Que pensez-vous des Chefs d’Etat d’Afrique centrale dont on dit qu’ils s’apprêtent à soutenir la candidature du Général Bozizé ?

JPN. - Je n’en sais rien, et, de toutes façons, ce n’est pas vraiment mon problème.

Ce que je sais en revanche, et de manière certaine, c’est que ce sont les Centrafricains qui souffrent dans leur chair des conséquences dramatiques de la mauvaise gouvernance. Ce sont donc eux qui vont choisir le nouveau président et les nouveaux députés, et pas les autres pays, y compris les voisins, parce qu’ils s’agit de leur avenir. Ils ont suffisamment souffert pour savoir à quoi s’en tenir.

Il y a une information publiée cette semaine par un de vos confrères, Le Citoyen, et qui révèle l’ampleur du drame centrafricain : ce sont les chiffres du dernier recensement de la population. On a recensé 3 100 000 Centrafricains. Or nous aurions dû être au moins quatre millions d’habitants en 2004, sur la base du chiffre de 1988 et du taux de croissance démographique de l’époque, c’est-à-dire 2,5 % par an. Même en tenant compte de tous ceux qui, pendant le dernier recensement, se trouvaient encore en brousse ou à l’étranger suite aux affrontements de 2001-2003, il est clair que la RCA a perdu près d’un million d’habitants. Causes principales : le sida et les autres maladies, la misère et l’insécurité.

Je n’ai pas le moindre doute sur le fait que nos compatriotes ont envie que cela change, que leur sort ne soit pas indéfiniment entre les mains des prédateurs et des diviseurs. Chacun a pu constater la silencieuse mais remarquable réprobation qu’ils ont manifestée à l’égard de la fameuse " marche de soutien " du 19 juin 2004, malgré l’argent déversé massivement pour les attirer.

Il ne faut pas désespérer des Centrafricains !

(Diffusion Internet 10 juillet 2004)

Actualité centrafrique de sangonet – Dossier 19